Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier – Contrastes israéliens : union et désunion

19 Septembre 2024 | 131 vue(s)
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Jeudi, il y a une semaine, je croise avec surprise un vieil homme arborant un drapeau israélien en descendant prendre mon petit-déjeuner dans le café en face de l’appartement de ma famille.

C’est un café branché d’une petite rue de Ramat Aviv non loin du bord de mer.

On y rencontre des trentenaires enfoncés dans leurs ordinateurs, des sexagénaires revenant de leur jogging, des jeunes femmes tatouées aux conversations frivoles, une ambiance bien loin de cette guerre qui empêche de dormir ma belle-fille et d’autres mères de soldats.
Mais ce matin est différent, car au fil des minutes, la rue se couvre de monde et de drapeaux : 300, 400 peut-être ; parmi eux le drapeau druze aux cinq couleurs mystérieuses…

Un soldat habitant la maison en face de ma famille a été tué à Rafah ; le fourgon funéraire va venir et on l’attend dans un silence absolu. La notice nécrologique a été diffusée dans les réseaux sociaux, des inconnus et leurs drapeaux vont saluer le cortège dans les rues tout au long de son trajet vers le cimetière où des milliers de personnes seront peut-être présentes. Puis certains viendront rendre hommage au cours de la shiva.

La peine est commune car Israël est une famille, mais demain, la vie au café reprendra comme hier. Ce contraste est pour les Israéliens la meilleure façon de poursuivre le combat contre leurs ennemis. Mais dans ce petit pays les morts, les blessés ou les otages ne sont pas de simples noms. Le frère de la copine d’un de mes petits-fils a été tué les premiers jours des combats, cette dame avec qui je venais de parler de façon insouciante a perdu un petit-fils à Gaza, une parente m’a annoncé hier la mort d’un de ses cousins à Rafah et la famille d’un ami a été en partie assassinée et en partie transitoirement otage à Gaza… Sans compter le cousin retourné malgré tout dans son kibboutz de la frontière libano-syrienne où dans l’abandon des terres agricoles se réinstallent sangliers et végétation sauvage.

Mais la famille israélienne, unie sur la nécessité d’éradiquer le Hamas, est aujourd’hui désunie quant au reste.

Les fils de Jacob étaient au nombre de douze, mais Reuven Rivlin, président du pays entre 2014 et 2021, avait décrit, de façon dont on peut se servir à condition de ne pas en faire une séparation infranchissable, un Israël divisé en quatre tribus, avec une majorité sioniste laïque, entourée de minorités sioniste religieuse, ultra orthodoxe non sioniste et arabe. Il prônait la construction de ponts entre ces quatre tribus ce qui fut partiellement la tentative des gouvernements de Naftali Bennet et de Yair Lapid entre juin 2021 et juin 2022. Des défections de membres du parti Yamina de Bennet, inquiets de l’arrivée dans la coalition d’un parti arabe proche des Frères Musulmans, ont obligé à de nouvelles élections. Les cinquièmes depuis avril 2019…

Dans le Parlement actuel, il y a une majorité de 64 voix (dont 32 pour le Likoud seul) pour la coalition que Benyamin Netanyahu avait concoctée avec Smotrich, devenu ministre des Finances et chef de l'administration civile en Cisjordanie et Ben Gvir, devenu ministre de la sécurité nationale, et en tant que tel responsable de la police israélienne : des postes d’importance majeure pour deux hommes considérés jusque-là comme des racistes infréquentables. En position de dauphin de Netanyahu, c’est Yariv Levine, le ministre de la Justice dont le projet de réforme de la Cour Suprême a déclenché les protestations que l’on sait et qui va certainement tenter de peser sur le choix des membres de la Commission d’enquête que le pays attend sur les défaillances qui ont conduit au 7 Octobre.

Jamais Israël n’a été comme aujourd’hui uni contre ses ennemis implacables et clivé sur les autres sujets. Que ce soit sur le sauvetage des otages, la situation dans le Nord, l’aide aux réfugiés internes, les cadeaux aux ultra orthodoxes, le serpent de mer de la réforme judiciaire, le maintien du ministre de la Défense, dernier opposant au Premier ministre en position de haute responsabilité, c’est in fine Benyamin Netanyahu qui polarise les hostilités comme les soutiens. Ses partisans accusent, entre autres, leurs opposants de faire le jeu du Hamas par leurs manifestations antigouvernementales sur la place Kaplan de Tel Aviv, par leur focalisation sur les otages et leur soumission supposée aux diktats dangereux des Démocrates américains. Au fond, il y a aussi ce vieux contentieux contre la soi-disant vieille élite ashkénaze déjudaïsée de Tel Aviv…

Inversement les reproches à Netanyahu portent sur les responsabilités qu’il n’a jamais reconnues, le flou sur ses objectifs de guerre, son manque visible d’empathie humaine et sur le fait qu’il se comporte en dirigeant d’une coalition cherchant à étouffer les débats plutôt que comme le chef d’équipe d’un pays en danger. La campagne judiciaire menée contre lui a été d’une telle âpreté que c’est elle qui fissure en profondeur la société israélienne, alors même qu’une logique unitaire aurait dû à l’évidence s’imposer dans un contexte aussi grave.

En tout cas, si sa majorité lui reste fidèle, Netanyahu sera jusqu’en octobre 2026 le chef légitime du gouvernement. La bascule du Shas que certains anticipent ferait courir des risques au subtil Arié Derhy car ses députés seraient en décalage avec leur base électorale. Les sondages qui aujourd’hui donnent la première place à un parti dirigé par Bennett et Lieberman sont des instantanés qui confirment qu’il existe à droite un électorat hostile à Benyamin Netanyahu et ses alliés, mais ils ne préfigurent pas des élections anticipées, un événement qui dans les démocraties occidentales ne s’est jamais produit au milieu d’une guerre existentielle. C’est plus de deux mois après la fin de la Guerre de Kippour qu’ont été reportées, il y a cinquante ans, des élections antérieurement prévues pendant le mois où sont survenues les hostilités, élections, qui ont commencé de changer le paysage politique israélien en affaiblissant le parti travailliste.

Quant aux Juifs de France, qui ne votent pas en Israël, ils doivent avant tout ne pas servir d’idiots utiles à ceux qui sont trop heureux de focaliser sur la personnalité de Benyamin Netanyahu et de ses alliés pour attaquer les conditions mêmes de l’existence d’Israël.

Quelles que soient leurs opinions personnelles, les Juifs de la diaspora n’ont pas à se comporter en partisans de Benyamin Netanyahu, mais en défenseurs d’un État d’Israël dont le Premier Ministre légitime actuel est Benyamin Netanyahu.

Ils doivent admettre qu’il n’y a pas de solution toute faite, que crier pour la paix n’amènera pas la paix, qu’il faut regarder en face la profondeur de la haine islamiste envers Israël et espérer que les décisions, qui sont de toute façon dramatiques, sont prises sur une base de lucidité politique patriotique et d’expertise militaire et technique.

Les récentes explosions au Liban ont confirmé cette dernière. Ils ne surviennent contre un Liban qui joue la triste mascarade d’un pays en paix et indépendant mais contre un mouvement hégémonique dont seuls les membres ont été ciblés et qui mène contre Israël depuis plusieurs mois des actions de guerre qui ont obligé à l’évacuation d’une partie de la population du nord du pays. Ceux qui feignaient de croire que cette guerre n’était pas dirigée par l’Iran doivent expliquer pourquoi l’Ambassadeur iranien possédait un des beepers assignés aux membres de l’organisation terroriste.

Le contraste entre cette efficacité incroyable des services israéliens et les carences qu’ils ont montrées le 7 octobre est-il dû à une confiance exagérée dans leurs possibilités et au mépris envers les possibilités de leurs adversaires ? Ce clivage a-t-il des liens avec celui de l’indifférence quotidienne et de l’émotion publique manifestée lors du micro événement de la petite rue de Ramat Aviv ? Entre les succès d’une armée israélienne apparemment organisée d’une manière extrêmement efficiente et la négligence qui a conduit la semaine dernière au vol massif de stocks militaires ?

Israël, c’est bien connu, est une terre de contrastes. Ce dont je suis sûr, c’est que la guerre y est menée par une jeunesse qu’on qualifiait d’individualiste et hédoniste et qui s’est révélée être d’une qualité humaine personnelle et d’une force d’engagement collectif exceptionnelles.

Vive le peuple d’Israël

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

 

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