Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Lectures de Jean-Pierre Allali - L'ombre pâle, par David Naïm

26 Février 2025 | 52 vue(s)
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Opinion

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L'ombre pâle, par David Naïm (*)

 

La maladie, la mort, les cimetières, les cadavres dans les placards et les fantômes peuplent ce premier roman de David Naïm, par ailleurs consultant. « J’ai commencé à m’occuper de mon père lorsqu’il est mort », nous conte le narrateur, Simon, propriétaire avec son épouse, une femme peu commode, d’une pharmacie dans le 15e arrondissement de Paris, en préambule. Moïse, alias Mouchi, né en Tunisie en 1934, fils de Clément et d’Aimée et frère de Belinda, future grande mathématicienne, était, de son vivant, un architecte renommé et dynamique, l’Albert Londres du BTP. Avec l’âge et depuis son divorce avec Strella, une juive marocaine et, surtout, la mort de sa mère, il avait changé et n’était plus que l’ombre pâle de lui-même. Il faut désormais penser à ses obsèques. Mais, chez les Juifs, qui dit enterrement pense talith, le châle de prières avec lequel le défunt doit reposer. Le fils finit par retrouver le précieux talith mais là, un petit problème surgit : le sac de Moïse contient deux taliths entremêlés. Lequel est le bon ?

C’est en songe que Moïse propose à son fils une solution : pour démêler le vrai du faux et pour conjurer le sort funeste dû à l’entremêlement des châles, la mission du narrateur sera de reconstituer la vie de Clément, à propos duquel il ne sait rien ou presque. Mais qu’importe : « Enquête. Invente. Brode ». « Le salaud : Voilà que je devais lui raconter son père ! ... »

L’enquête de Simon l’amène à retracer l’histoire du judaïsme tunisien car Clément était natif de Gabès dans le sud de la Tunisie. On évoque le statut d’infériorité des Juifs en terre d’islam, l’occupation de la Tunisie par les Allemands, six mois sous la botte, qui amènera Clément à se réfugier chez des amis arabes, Rayen et Emna. On évoque même la fameuse rue Abdallah Guèche de Tunis où siégeaient alors les bordels de la capitale. Sans oublier la Hara, le quartier juif de Tunis. Et la boukha, alcool de figues, l’huile d’olives, l’harissa, les sandwiches au thon, les sardines à la méchouia, la chakchouka, les bricks à l’œuf, les fricassés, le pain tabouna, la chorba, le lagmi et le lablabi. Sans oublier les cornes de gazelle.

On suit les pérégrinations de la famille : Tunis, Marseille, Grenoble, Paris…

Au fil des pages, on croise bedeaux, rabbins et piliers de synagogue, des personnages croustillants comme Monsieur Bouaziz, le chamache de la synagogue de Versailles et le rabbin Abitbol.

Clément, en son temps, avait disparu de son pays natal, abandonnant femme et enfants. C’est grâce à Belinda, retrouvée aux États-Unis, que Simon va pouvoir lever un coin du voile. C’est un soldat franco-américain en garnison en Tunisie, Pascal Lajeunesse dit Le Cajun, qui, un jour, lui avait lancé : « Si un jour tu en as marre de la Tunisie et de ta folle de femme, tu sais où me trouver ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Clément se retrouvera à Las Vegas, le paradis des jeux avec un projet fou qui n’aboutira pas : créer en Amérique une production d’harissa sous le logo d’HarissAmerica. Plus tard, ce sera une entreprise de fabrication de vêtements à l’enseigne de Sahara Uniform Design. Et, pour couronner le tout, une aventure amoureuse avec Marie, une danseuse de boîte de nuit.

Curieusement, les mathématiques sont omniprésentes dans ce récit : Belinda, bien sûr, mais aussi le calcul de probabilités, la logique ou encore la fameuse bande de Moebius. Un peu déjanté mais très sympathique.

 

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions de l’Antilope, mai 2024, 240 pages, 21 €.

 

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