Ancien Président du CRIF
Il y a un aspect symbolique dans la mort de Jimmy Carter qui avait fêté ses cent ans et dont les obsèques nationales sont prévues pour le 9 janvier. Ce sera l’un des derniers événements présidés par Joe Biden. Ni Carter, ni lui n’ont pu obtenir le deuxième mandat qu’ils espéraient, le premier parce qu’il a été battu par Reagan, le second parce qu’il n’était pas en état de se représenter. Là ne s’arrêtent pas les analogies entre les deux hommes, considérés par le public comme des présidents faibles. Le slogan de campagne de Reagan contre Carter était : « Let’s make America great again ». Trump s’est contenté de retirer le « let’s », ce qui donne MAGA, et, comme c’est un homme d’affaires, il a déposé son slogan, ce que Reagan n’avait pas fait…
Contrairement à Biden, Carter était un outsider avant d’être élu Président des États-Unis en 1976. C’était un ancien gouverneur de Géorgie, un inconnu se détachant grâce à une campagne minutieuse de nombreux autres candidats démocrates contre Gérald Ford, devenu Président après le Watergate. Au scandale qui avait conduit à la démission de Nixon, à la sensation du public d’une corruption à la Maison Blanche, s’ajoutaient alors le marasme économique lié à la crise pétrolière de 1973 et l’humiliante constatation que les Américains présents à Saigon s’étaient enfuis en panique en abandonnant leurs alliés sud-vietnamiens lors de la prise de la ville par les communistes en avril 1975.
Beaucoup rêvaient d’un homme nouveau. Ce fut Carter. Sa victoire contre Ford fut serrée, sa défaite contre Reagan fut massive.
Les hommages après décès ne lui accordent pratiquement qu’un seul succès : les pourparlers entre Begin et Sadate à Camp David, qui aboutiront au traité de paix signé en mars 1979 à la Maison Blanche. Mais sans l’initiative de Sadate d’aller à Jérusalem et la décision de Begin d’abandonner le Sinaï, rien n’aurait eu lieu.
Carter envisageait le long terme, il a eu sur plusieurs sujets, comme l’énergie, des idées en avance sur son temps, reposant sur ses compétences d’ancien officier de sous-marin spécialisé dans le nucléaire, mais ce fut pendant sa présidence qu’eut lieu en Pennsylvanie l’incident de Three Miles Island qui, bien qu’il n’eût pas fait de victimes, entraîna l’abandon de la construction de centrales nucléaires aux États-Unis.
De plus, Carter ne savait pas manipuler un Congrès pourtant à majorité démocrate car il en ignorait les rouages et ne voulait pas les connaitre. La tendance à moraliser de ce baptiste « born again », prêcheur du dimanche dans sa petite ville de Géorgie, devint le masque de son impuissance, comme lorsque dans un discours de juillet 1979, où au plus fort de la stagflation et des pénuries de carburant, il blâme les Américains pour leur consommation excessive.
En février de cette année, l’ayatollah Khomeini prend le pouvoir à Téhéran. Il institue un régime islamiste violemment anti-américain dans un pays qui était jusque-là pour les États-Unis un allié capital. Carter hésite, essaie de garder un semblant de coopération, mais quand en octobre il accepte, malgré les mises en garde de son entourage, l’entrée du Shah aux États-Unis pour des raisons médicales, les étudiants iraniens téléguidés par le régime envahissent l’ambassade et gardent 52 Américains en otages. Six mois plus tard, critiqué pour son inaction, Carter enclenchera une opération pour les libérer. Un grain de sable, ou plutôt une tempête de sable dans le désert iranien, imprévisible par les moyens techniques de l’époque, en fera un échec retentissant, qui portera le coup de grâce à sa réélection. Bien plus, c’est à Reagan que les Iraniens enverront les otages le jour même de sa prise de fonction, alors même qu’ils avaient obtenu de l’administration Carter, lors de négociations secrètes à Alger, d’énormes avantages financiers (sept milliards de dollars de l’époque) en paiement de rançon.
La même année 1979 voit pendant quinze jours la prise de la Grande Mosquée de La Mecque par des insurgés en révolte contre l’occidentalisation de la monarchie saoudienne. Elle voit aussi et surtout, fin décembre, l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan. Pour lutter contre cette nouvelle avancée communiste, tout en évitant un nouveau Vietnam, les Américains vont armer les moudjahidines afghans, auxquels vont bientôt s’agglomérer des militants islamistes du monde entier. Ils seront aidés par le Pakistan voisin, où la même année, le Président Zia-ul-Haq, allié des Américains, a décrété la charia.
1979 est donc l’année où l’islamisme devient un facteur de la géopolitique mondiale alors que Carter, comme les autres dirigeants occidentaux, tel Giscard d’Estaing, le voient comme une péripétie folklorique et locale. Ben Laden, les talibans, le Hamas, l’État islamique et l’auteur du massacre du 1er janvier à La Nouvelle Orléans découlent de cette mauvaise analyse. Utiliser un ennemi pour lutter contre un autre ennemi est un art difficile, encore faut-il savoir qui sont les ennemis…
Carter n’était pas, contrairement à son image, un pacifiste béat. Son conseiller Zbigniew Brzeziński était obsédé par le danger communiste et considérait que Kissinger avait laissé trop de marge de manœuvre à l’URSS. C’est Carter qui a poussé à restructurer et moderniser l’armée américaine pour l’adapter aux défis du futur, c’est lui qui a édicté la doctrine Carter qui reste à la base de l’action militaire américaine au Moyen Orient et stipule que les États-Unis interviendront militairement contre toute agression dans le Golfe persique. Reagan a tiré les bénéfices de cette inflexion, en même temps que l’intervention soviétique en Afghanistan tournait au désastre pour les Soviétiques. Mais le prix à payer de cette lutte contre l’emprise communiste fut de lâcher la bride à l’islamisme.
En s’appuyant sur la Conférence de Helsinki de 1975, que Kissinger avait supervisée sans trop y croire, l’administration Carter utilisa les Droits de l’Homme comme levier contre l’URSS.
Un jeune militant juif, du nom de Anatoli Chtcharanski, porte-parole du groupe de surveillance des accords d’Helsinki, arrêté à Moscou en 1977, écrivit plus tard, devenu Natan Sharanski qu’il devait la vie au poids que les Droits de l’Homme avaient pris sous Carter.
Mais il fustige les positions de l’ancien président, transformé après son départ de la Maison Blanche en activiste de ces mêmes Droits de l’Homme et gagnant au passage un Prix Nobel. Carter s’était révélé aussi indulgent envers les États ou mouvements islamistes qu’il était sévère à l’égard des implantations en Cisjordanie, contextualisant les premiers, ne contextualisant pas les secondes.
En 2008, il publia un livre où il parlait d’apartheid envers les Palestiniens. Il prétendit ensuite qu’il avait été mal compris et que en réalité, il admirait la démocratie israélienne, mais le mal était fait. Une fois le mot apartheid lâché en pâture au public, Israël devenait l’équivalent de l’Afrique du Sud raciste, avant que le mot de génocide ne l’envoie au niveau de l’Allemagne nazie.
Le vieil homme avait, du fond de sa bonne conscience, nourri une fois de plus l’hydre islamiste et ses alliés. L’enfer est pavé de bonnes intentions…
Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif
- Les opinions exprimées dans les billets de blog n'engagent que leurs auteurs -