Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Le billet de Jean-Pierre Allali – Il était une fois… Les Juifs d’Algérie

10 Mars 2025 | 207 vue(s)
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Opinion

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Crédit photo : ©MEHDI FEDOUACH / AFP

Illustration : Armel Touboul, Française juive, contemple la tombe de son grand-père au cimetière juif de Tlemcen, le 16 mai 2005.

 

 

Depuis quelques mois, l’Algérie est à la Une de l’actualité. Il y a d’abord eu la triste affaire « Boualem Sansal ». Arrêté le 16 novembre 2023, l’écrivain franco-algérien a été transféré le 8 décembre à la prison de Koléa, à une trentaine de kilomètres d’Alger. Motif invoqué : atteinte à l’unité nationale en vertu de l’article 87 bis du Code pénal algérien. Plus récemment, le refus des autorités algériennes de récupérer des individus frappés par une obligation de quitter le territoire français. On a évoqué, à cette occasion, l’éventualité d’une rupture des Accords franco-algériens du 27 décembre 1968, relatifs à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens en France. Une convention particulièrement favorable à l’Algérie.

Cette actualité algérienne nous amène à poser la question : quid des Juifs en Algérie ?

Comme dans toute l'Afrique du Nord, la présence juive en Algérie était particulièrement ancienne.

Hélas, comme le disait fort justement le Grand rabbin René-Samuel Sirat, en parlant de l'Algérie contemporaine : « L'Algérie est l'un des rares pays au monde judenrein [1] ». L'écrivain Albert Bensoussan, constatait, pour sa part :« Que reste-t-il en vérité de notre Algérie ? Les pierres tombales sont dispersées dans des cimetières non protégés et voués à la désolation ou à la démolition. La jeunesse algérienne, dans sa grande majorité, ignore aujourd'hui que des Juifs, en très grand nombre, ont peuplé leur terre depuis des siècles, voire des millénaires, et qu'ils ont contribué, par leur apport, par leur culture, par leur foi inébranlable, à l'histoire de l'Algérie. » [2] Quel meilleur exemple pourrait-on donner de ce véritable gommage de la présence juive en Algérie que celui de la Grande Synagogue d'Alger devenue la mosquée Ibn Farès. Bizarrement, les étoiles de David extérieures n'ont pas été enlevées, mais la plaque portant l'ancien nom de la rue mitoyenne : « Rue du rabbin Bloch » a été recouverte d'un cache [3].

À l'aube de l'indépendance du pays en juillet 1962, 140 000 Juifs vivaient en Algérie. Il n'en reste probablement plus un seul. Retour sur une histoire millénaire.

Contrairement à de nombreuses communautés juives à travers le monde dont l'installation date de la destruction, en 70, du Second Temple de Jérusalem, la communauté juive est présente en Algérie depuis des temps beaucoup plus reculés [4].

Au 11e siècle avant J.-C., les Hébreux, associés aux Phéniciens desquels ils sont très proches par la langue et par les pratiques religieuses parviennent à prendre le dessus sur les Crétois pour ce qui est du commerce maritime en Méditerranée. Dès lors, ils se lancent dans une entreprise d'investissement humain en fondant des comptoirs dans ce qui sera plus tard l'Algérie : Hippo Regius (Annaba-Bône), Igilgili, Tipasa, Iol Caesarea (Cherchell), Cunugu (Gouraya) et même Icosium (Alger).

Un peu plus tard, vers -930, lorsque les Égyptiens, emmenés par Hedjkhéperrê II, mettent la main sur la Terre Sainte et pillent Jérusalem, ils emmènent des Juifs captifs vers l'Afrique du Nord.

Plus tard encore, en -301, lorsque Ptolémée 1er envahit la Terre d'Israël, 100 000 Juifs sont déportés en Égypte puis déplacés en Cyrénaïque et en Afrique du Nord [5].

Au début du 2e siècle de notre ère, les Juifs de Cyrénaïque et d'Égypte qui se sont soulevés contre Rome sont contraints de fuir et gagnent l'Algérie. On dispose de plusieurs inscriptions juives, notamment funéraires, qui datent de cette époque. Datant du 3e siècle, l'inscription Avila Aster Judea M. Avilius Januarius Pater Synagogae témoigne de la présence d'une synagogue à Sétif.

Selon Saint Jérôme (347- 420), on pouvait constater la présence d'une chaîne continue de communautés juives de la Mauritanie à l'Orient.

Les Juifs d'Algérie vont, au cours des siècles à venir, connaître les envahisseurs vandales et Byzance.

Au 7e siècle, les rois wisigoths ayant édicté des décrets antijuifs en Espagne, de nombreux Juifs de ce pays s'établissent en Afrique du Nord en général et en Algérie en particulier.

Une nouvelle ère, décisive pour le pays, va s'ouvrir pour l'Algérie avec la conquête arabe. En 688, Sidi Oqba et ses troupes, s'ils viennent facilement à bout des Byzantins, se heurteront à la résistance des Berbères et des Juifs. C'est à cet époque que se situe l'épisode légendaire de la Kahéna, reine juive des Berbères [6]. On raconte que la Kahéna, voyant sa fin proche, incita ses enfants à se convertir à l'islam plutôt que de mourir.

L'islam va, conformément au texte du Coran, imposer le statut de la dhimma [7] aux Juifs d'Algérie auxquels vont se joindre des coreligionnaires venus de Syrie et d'Irak.

Sous les Almohades, forcés de choisir entre l'apostasie et la mort, de nombreuses communautés juives d'Algérie vont être littéralement rayées de la carte.

Avec l'arrivée de Juifs espagnols à la fin du 14e siècle, on assiste à une forme de renaissance du judaïsme et des communautés sont répertoriées notamment à Alger, à Tlemcen et à Tiaret.

Une immigration juive va s'opérer au fil des siècles. Pour des raisons de tous ordres, des Juifs rejoignent l'Algérie venant de Majorque, d'Espagne, d'Italie, des Pays-Bas, de France et d'Angleterre.

Les Juifs « d'origine », « Porteurs de turban » se mêlent peu aux Juifs européens, « Porteurs de bérets ». Des rabbins dont les noms resteront dans les mémoires marquent leur époque : Ephraïm Enkaoua (1359-1442) de Tlemcen, Simon Ben Semah Duran, le Rashbach (1361-1442), Isaac Ben Chechet, le Ribach (1326-1408) d'Alger et bien d'autres.

Les communautés juives d'Algérie, peu à peu reconstituées, s'organisent. Malgré la dureté de la dhimma, qui impose des vêtements spécifiques, des impôts supplémentaires et des mesures vexatoires, les Juifs s'adonnent au commerce, au colportage, à l'artisanat et à la pêche.

L'Algérie va connaître une période turque quand les frères Barberousse, Arudj et Khayr ad-Din, s'emparent d'Alger en 1516 et font allégeance au sultan de Constantinople, Sélim 1er. L'Algérie sera turque jusqu'en 1830, date à laquelle elle sera conquise par les Français.

Ironie de l'Histoire, c'est une famille juive d'Alger, les Bacri-Bousnach, qui va, indirectement, être à l'origine de la conquête française de l'Algérie. En effet, en 1793, à la suite d'une grave disette qui frappait alors la France, la firme Bacri-Bousnach lui avait fourni des céréales pour un montant de 15 millions de francs de l'époque. Le dey Sidi Hassan prendra même sur ses réserves pour approvisionner la France. Les sommes dues par la France ne sont pas réglées à temps et des procédures sont engagées qui ralentissent les paiements. Le successeur de Sidi Hassan, Hussein Dey, s'indigne de cette façon de faire des Français et réclame un paiement immédiat des sommes dues. Il écrit une missive à Charles X en 1826, qui reste sans réponse. C'est lors d'une réception donnée le 27 avril 1827 à l'occasion de la fête du Baïram que les choses tournent au vinaigre. Alors que le consul de France, Deval, présente ses hommages au souverain, ce dernier lui réclame sa dette. Deval reste impassible mais le dey s'énerve et frappe le diplomate au visage à l'aide de son chasse-mouche. La France se vengera de « l'affaire du soufflet » en envoyant, le 25 mai 1830, à partir de Toulon, une expédition punitive. C'est la conquête d'Alger. Le 5 juillet 1830, en présence du maréchal De Bourmont, le dey Hassan signe la capitulation, un document où l'on peut notamment lire « La liberté des habitants de toutes les classes, leur religion, leurs propriétés, leur commerce et leur industrie ne recevront aucune atteinte ».

Nombre de Juifs verront dans ce texte l'abolition de la dhimma et le début de leur émancipation.

À quelques exceptions près, les Juifs d'Algérie vont se lancer à corps perdu dans la voie du savoir, de la culture et de la modernité que leur offre désormais le conquérant français.

Tandis que des écoles sont créées, qui propagent la langue française, les vêtements orientaux font peu à peu la place aux tenues occidentale. Le chapeau melon remplace la chéchia et, chez les femmes, le hénin pointu traditionnel, la kouffia, est peu à peu abandonné.

La pratique religieuse elle-même, malgré les réticences de certains rabbins algériens, est touchée par cette volonté de franciser le culte. Les Juifs de France, désireux de se porter au secours de leurs frères arriérés contribuent à cette action qu'ils estiment salvatrice.

En 1839, le gouvernement français crée une commission dont la tâche est l'organisation, sur de nouvelles bases, du judaïsme algérien. Une mission, composée du président du consistoire de Marseille, Jacques-Isaac Altaras et de l'avocat aixois Joseph Cohen se rend en Algérie en 1842 et publie un rapport qui conduira, en 1845, à la création d'un Consistoire algérien siégeant à Alger, bâti sur le modèle de celui régissant le judaïsme métropolitain et de deux consistoires régionaux à Oran et à Constantine.

Dans son ensemble, la population juive s'intègre au mode de vie français. En 1865, Napoléon III est reçu par la communauté juive. En réponse au discours du Grand rabbin d'Oran, Mahir Charleville, l'empereur déclare : « J'espère que bientôt, les Israélites algériens seront citoyens français. »

Aussitôt dit, aussitôt fait : le senatus-consulte du 14 juillet 1865 permet aux Juifs [8] qui le souhaitent de solliciter à titre individuel la nationalité française.

Mais la véritable révolution aura lieu cinq ans plus tard avec le fameux décret Crémieux [9] qui attribuera de manière collective, à tous les Juifs d'Algérie, la nationalité française [10].

Si, inévitablement, ce décret va créer un fossé entre Juifs et Musulmans, il va surtout déchaîner la passion antisémite, notamment à l'époque de l'Affaire Dreyfus.

Pendant des années, notamment à travers la presse, les Juifs d'Algérie vont subir la hargne de l'extrême-droite : Édouard Drumont, auteur de La France Juive, Émile Morinaud, maire de Constantine, Arthur Gobert et le docteur Jules Molle, maires d'Oran, Firmin Faure, député d'Oran et futur élu de la Seine, Charles Marchal et son journal Le Petit Colon Algérien ou encore Max Régis [11] avec son journal, L'antijuif.

La Première Guerre mondiale est l'occasion, pour les Juifs d'Algérie, d'affirmer leur patriotisme.

14 000 Juifs seront mobilisés. Le Livre d'Or du Judaïsme Algérien (1914-1918) comptabilise 1 700 Juifs sur les 12 000 Français d'Algérie qui tomberont au champ d'honneur.

En août 1934, à Constantine, la communauté juive va connaître des jours particulièrement sombres. Entre le 3 et le 6 août 1934, ont lieu des violences antijuives d'une ampleur inouïes, le point culminant ayant lieu le 5 août.

Le vendredi 3 août, un zouave juif, Éliahou Kalifa, 45 ans, père de cinq enfants, rentre chez lui, rue Combes. Pour accéder à sa demeure, il doit traverser un couloir qui donne sur les fenêtres d'une mosquée. Ces fenêtres sont ouvertes.

Pour éviter d'assister aux ablutions des fidèles, le zouave demande aux responsables de fermer les fenêtres. Les Musulmans refusent, déclarant être chez eux. Éliahou Kalifa rentre chez lui. Mais l'affaire ne va pas, hélas, en rester là. Certains déclareront que Kalifa a injurié le prophète et l'islam, d'autres même qu'il était ivre et aurait uriné sur les murs de la mosquée. Très vite, les esprits s'échauffent. Des centaines de Musulmans envahissent le quartier et saccagent des habitations et des commerces tenus par des Juifs qui ripostent en jetant des casseroles et autres ustensiles sur les assaillants. Une nuit d'émeute. Bilan : 23 blessés dont 14 Juifs, 8 Musulmans et 1 Italien. Le 4 août, les dirigeants des deux communautés tentent par tous les moyens de calmer leurs paroissiens. Mais la rumeur se fait persistante, attisée par les propos du quotidien La dépêche de Constantine qui écrit : « Un passant en état d'ébriété pénètre dans une mosquée ». Des rumeurs circulent : « Les Juifs tuent nos frères à Constantine ; ils brûlent nos mosquées ».

Le matin du 5 août, jour de marché. À neuf heures du matin, au lieu-dit « Les Pins », un millier de Musulmans sont réunis. Le mystère restera total sur l'organisateur de ce rassemblement au cours duquel on fait courir le bruit de l'assassinat du docteur Bendjelloul, personnalité locale, par des Juifs. Furieux, chauffés à blanc, les Musulmans déferlent sur le quartier juif. Les édiles, dont le maire, sont en vacances. Les forces de l'ordre, dont les armes ne sont pas chargées, ne réagissent pas. Quant aux policiers juifs, ils sont consignés par leurs supérieurs dans les commissariats au motif de « les protéger » ! Les émeutiers pillent les magasins, incendient les demeures, attaquent les passants juifs. Hommes, femmes et enfants sont battus, égorgés, mutilés. C'est le pogrom ! [12].

On pourra consulter avec profit mon article paru à l'occasion du cinquantième anniversaire du pogrom dans La Terre Retrouvée d'octobre 1984.

J'y donne notamment la liste de toutes les victimes juives avec la nature de leurs blessures mortelles. À consulter également dans Radiocom'Magazine de septembre 1984, les interviews que j'ai réalisées de survivants du massacre : Raymond Attali et Roland Halimi. Toujours dans ce journal, une interview de Jean-Pierre Bloch alors président de la L.I.C.R.A. et envoyé spécial du Populaire à Constantine en 1934. Enfin, sous ma signature, dans Le Droit de Vivre de septembre 1984, une analyse des faits où je rappelle que Pierre-Emmanuel, envoyé spécial de la L.I.C.A. en Algérie en août 1934, avait parlé d'un « Kichinev II », considérant qu'il s'agissait incontestablement d'un pogrom.
On compte 26 morts juifs, 15 hommes, 6 femmes et 5 enfants et des dizaines de blessés. Jusqu'à aujourd'hui, le souvenir de ces journées reste dans la mémoire juive algérienne comme celui d'un événement épouvantable.
Leurs morts enterrés après le pogrom, les Juifs d'Algérie ne vont avoir qu'un court répit dans leurs malheurs. L'ascension de Hitler et du nazisme en Allemagne, la défaite de la France en juin 1940, le vote des pleins pouvoirs par le parlement français, le 10 juillet suivant, au maréchal Pétain, vont avoir des répercussions néfastes sur la communauté juive d'Algérie.

Le 7 octobre 1940, le décret Crémieux est abrogé. Les Juifs d'Algérie se retrouvent apatrides. De véritables parias. Les choses vont aller en s'aggravant. Le Statut des Juifs est appliqué à l'Algérie avec son lot d'interdictions, d'aryanisation des biens et de numerus clausus. Des notables sont arrêtés et internés. Même les militaires juifs sont frappés d'exclusion. Des camps d'internement sont ouverts, notamment dans le Sahara, camps de travail, camps d'éloignement, camps d'isolement, camps pour internés politiques, camps disciplinaires [13].

Dès lors, c'est tout naturellement qu'à Alger et ailleurs en Algérie, les Juifs, notamment au sein de la jeunesse, aient été nombreux dans la résistance au régime de Vichy.

La direction du mouvement de résistance fut installée au domicile du professeur Henri Aboulker et son fils, José Abouker, sera l'âme de ce mouvement.

Lorsque, en novembre 1942, les troupes anglo-américaines débarquent sur les côtes d'Afrique du Nord, une opération, intitulée « Torch », est montée avec Henri d'Astier de la Vigerie. Il convient de noter que sur les centaines de résistants et de meneurs impliqués, plus des deux tiers étaient juifs.

Cela n'empêcha pas le général Giraud et les Vichystes d'arrêter et d'interner, en décembre 1942, ces résistants. Il faudra attendre l'intervention du général Catroux, représentant le général de Gaulle, pour qu'ils soient libérés et décorés.

Le décret Crémieux, lui, ne sera rétabli qu'en septembre 1943 et la situation juridique des tous les Juifs spoliés ne sera complètement réglée qu'en mai 1945.

Si l'Algérie, contrairement à la Tunisie, ne fut pas occupée par les troupes allemandes, des centaines de Juifs algériens furent arrêtés en France et déportés dans les camps de la mort. Jacques Giami a patiemment répertorié les noms des personnes concernées [14].

En entrant dans les années cinquante, les Juifs d'Algérie ne vont connaître que quelques années de répit. Le mouvement national est en marche. S'ils ne l'affichent pas, au début, les leaders indépendantistes savent que leurs plans ne prévoient aucune place pour les Juifs dans un pays qu'ils n'envisagent que musulman. Les Juifs vont payer un lourd tribut lors de la guerre civile. Les assassinats de Juifs seront le lot quotidien pendant des mois [15]. Le 1er novembre 1954, considéré par les Algériens comme « le premier jour de la guerre de libération », la première victime du FLN est un Juif : Georges-Samuel Azoulay, chauffeur de taxi de 28 ans à Oran. Émile Atlan, l'un des organisateurs de l'opération « Torch », est assassiné à Alger en 1956. La même année, le doyen de la communauté de Constantine, Jacob Choukroun est assassiné. Sans oublier le grand musicien Raymond Leyris, tué à Constantine en 1961 et Edmond Baruch Sirat, frère de René-Samuel Sirat, exécuté à Constantine en 1962.

On ne compte pas le nombre de rabbins assassinés à cette époque, tels Isaac Aziza et Jacob Chekroun de Nédroma en 1956 et 1957.

L'année 1962 va être celle du départ. Bien que les sentiments sionistes aient été fortement ancrés dans la population juive algérienne, très peu de Juifs choisissent l'alyah en Israël : quelques milliers. Les autres vont refaire leur vie, pour l'essentiel en France.

En 1830, la population juive d'Algérie est de 17 000 âmes sur trois millions d'habitants soit 0,5 %.

Elle est alors répartie pour l'essentiel entre Constantine, Alger, Tlemcen et Oran mais on trouve de petites communautés dans de nombreuses villes et villages.

À la fin du 19e siècle, cette population passe à 57 000 individus pour un total de quatre millions, soit 1,4 %. Ils sont 70 000 en 1911 et 140 000, on l'a dit, à l'aube de l'indépendance. En 1992, on comptait encore 200 Juifs en Algérie.

Depuis, si, selon le mot terrible du Grand rabbin Sirat, l'Algérie, de nos jours, est, hélas, judenrein et si, dès lors, les vivants, par leur absence, ne posent plus de problème, les morts, eux, font l'objet depuis peu, d'une polémique.
En effet, lors des accords franco-algériens qui ont conduit à l'indépendance de l'ancienne colonie, il avait été convenu que la France conservait la garde et la conservation des cimetières « européens », entendez chrétiens et juifs. Or, pour des raisons financières, un regroupement des « petits » cimetières a été décidé. Les restes funéraires seraient déposés dans une fosse commune ou dans un ossuaire [16]. Or, il y a environ 50 000 tombes juives en Algérie et le regroupement envisagé n'est pas conforme à la halakha, la « loi juive ». Une pétition anti-profanation a été lancée en juillet 2016.

Autre sujet récurrent : l'antisémitisme sans juifs. Dans un pays où le judaïsme a disparu, certains partis politiques, comme le F.I.S. (Front Islamique du Salut) dans les années 90 ne se privait pas de dénoncer le « lobby juif international » et le « complot » juif. L'injure favorite des manifestants contre les forces de l'ordre était souvent : « Sales Juifs ». La presse n'est pas en reste, tel l'hebdomadaire Le Jeune Indépendant qui a publié les infâmes « Protocoles des Sages de Sion », célèbre faux antisémite fabriqué en son temps par la police tsariste en Russie, en feuilleton. Quant à L'Hebdo Libéré, il a proposé à ses lecteurs un dossier consacré aux banquiers juifs qui veulent déstabiliser l'Algérie. Parlant de la conférence de Madrid, la station de radio d'Alger Chaîne 3 n'a pas hésité à parler de « youpinerie » et le quotidien Le Matin des « médias occidentaux enjuivés jusqu'à la moelle ». Au même moment, le quotidien en langue arabe, El Khabar, dénonçait « la pénétration juive dans l'État et la société algérienne ». À l'époque, Georges Marion dans Le Monde, estimait que « dans ces conditions, le filon antisémite devrait encore livrer quelques belles pépites » [17].

Le judaïsme algérien nous a donné de très nombreuses figures. Citons, parmi bien d'autres : Jacques Attali (Alger), qui fut conseiller spécial du président Mitterrand et son frère jumeau Bernard, qui fut, lui, président d'Air France, le chanteur Enrico Macias (Gaston Ghrenassia, Constantine) dont le beau-père et maître, Raymond Leyris, fut assassiné en 1961, le Grand rabbin de France, René-Samuel Sirat, dont le frère Edmond Baruch fut assassiné en 1962, le Grand rabbin Emmanuel Chouchena, le président du Consistoire Central, Jean-Pierre Bansard (Oran), le grand cancérologue Maurice Tubiana, natif de Constantine, les écrivains Léon Askénazi Manitou ( Oran), Raphaël Draï (Constantine), Shmuel Trigano (Blida), Jacques Tarnero (Oran), les acteurs Roger Hanin (Alger), Jean Benguigui (Oran), Jean-Pierre Bacri ( Castiglione), les chanteurs Salim Simon Halali (Bône), Blond-Blond ( Albert Rouimi, Tlemcen ), Lili Boniche (Alger), Reinette l'Oranaise (Sultana Daoud, Tiaret), l'humoriste Roland Bacri (Alger), Sans oublier, Henri et José Aboulker, résistants de la première heure, André Chouraqui (Aïn Témouchent) qui fut maire adjoint de Jérusalem, le champion du monde de boxe Alphonse Halimi ( Constantine), les journalistes Jean-Pierre Elkabbach (Oran) et Jean Daniel (Jean Daniel Bensaïd, Blida), Benjamin Stora (Constantine), président de la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration et l'ancien président du Crif, Francis Kalifat (Oran).

L'Algérie n'entretient pas de relations diplomatiques avec Israël. On a pu constater, néanmoins, au fil des ans, quelques tentatives de rapprochement. Ainsi, pendant la présidence de Chadli Bendjedid, entre 1986 et 1988, un haut fonctionnaire algérien a rencontré à plusieurs reprises à Paris, Shimon Peres, alors ministre israélien des Affaires étrangères. Plus tard, en octobre 1998, une déclaration d'intention signée Hanane Echeikh dans La Nouvelle République d'Alger, plaidait pour « une normalisation des relations qui serait bénéfique à la fois à l'Algérie et à Israël, en suivant la voie du cœur et de la raison ».

Un an après, en juillet 1999, aux obsèques du roi Hassan II du Maroc à Rabat, la spectaculaire poignée de mains entre Abdelaziz Bouteflika et Ehud Barak, alors Premier ministre d'Israël, avait défrayé la chronique. Mais l'embellie est de courte durée. Un an plus tard, en juin 2000, la rencontre, en Israël, entre une délégation de journalistes et d'universitaires algériens et le ministre israélien des Affaires étrangères, David Lévy, est fustigée par la présidence algérienne qui parle de « trahison ».

On notera, enfin, qu'en juin 2000, lors de sa visite officielle en France, le président algérien avait rencontré le président du Crif, Henri Hajdenberg, accompagné d'une délégation.

En 2025, il n’y a plus de Juifs dans ce pays. Il était une fois, des Juifs en Algérie.

 

Jean-Pierre Allali 

 

Notes :

[1] Exempt de Juifs.
[2] Information Juive, février 2010.
[3] Reportage de Gidéon Koutz. L'Arche, juin 2000.
[4] Si l'Algérie, dans ses frontières actuelles, s'est formée au temps de la régence turque en 1516, le nom même du pays n'est employé qu'à partir de la présence française en 1831. Nous l'utiliserons néanmoins pour toutes les époques.
[5] Flavius Josèphe. Antiquités Juives.
[6] Cette héroïne est également revendiquée comme Tunisienne.
[7] Ce statut infamant sera également imposé aux Chrétiens.
[8] Et aux Musulmans, on ne le dira jamais assez !
[9] Du nom d'Adolphe Crémieux, alors ministre de la Justice.
[10] C'est un fait peu connu, le décret ne s'est pas appliqué à tous les Juifs d'Algérie. En effet, sauf exception, les Juifs de Ghardaïa et du Mzab n'en bénéficieront pas (Voir à ce sujet l'ouvrage de Lucette Valensi, « Juifs et Musulmans en Algérie. VIIe-XXe siècle ». Éditions Tallandier, 2016.
[11] De son vrai nom : Massimiliano Milano.
[12] Une abondante littérature a été consacrée à ces événements, certains auteurs se refusant à utiliser le mot de « pogrom » pour les qualifier.
[13] Jacob Oliel consacre un article très documenté sur ce sujet « Les camps d'internement en Algérie (1941-1944) » in Les juifs d'Algérie. Une histoire de ruptures. Sous la direction de Joëlle Allouche-Benayoun et Geneviève Dermenjian.
[14] Jacques Giami. Chronique des années de déportation. 1942-1944. Éditions Pro-Arte, 2011. Voir aussi dans « Les Juifs d'Algérie. Images et textes ». Éditions du Scribe, 1987, la liste établie par Jean Laloum.
[15] Dans sa contribution à l'ouvrage « Les Juifs d'Algérie. Une histoire de ruptures ». Éditions des Presse Universitaires de Provence, 2015, intitulée « La judéophobie musulmane en Algérie avant, pendant et après la période française, Jean-Pierre Lledo dresse une liste impressionnante des assassinats de Juifs.
[16] Le décret, dans son article 1, stipule que « Sur le fondement des propositions formulées par l'ambassadeur de France en Algérie et de l'arrêté du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales algérien du 14 mars 2016 susvisé, un regroupement en tombes collectives ou ossuaires, selon le cas, de sépultures européennes en Algérie est engagé selon le tableau annexé au présent arrêté ; »
[17] Georges Marion. « Algérie : sur fond de crise économique et politique. La presse algérienne stigmatise la "pénétration juive" » in Le Monde, 27 novembre 1991.

 

 

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