Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Le billet de Jean-Pierre Allali – Sur les traces de la « Maison Sublime » : Les Juifs de Normandie

07 Avril 2025 | 110 vue(s)
Catégorie(s) :
Opinion

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Illustration : La Maison Sublime de Rouen

 

La Normandie, et plus particulièrement Deauville est un lieu de villégiature  particulièrement prisé par les Juifs parisiens qui sont nombreux à y avoir une résidence secondaire. Pourquoi cet engouement ? Peut-être, inconsciemment, parce qu’ils sentent qu’il y a, dans cette belle région quelque chose de profond qui se rattache au judaïsme. On ne le sait pas toujours : des Juifs étaient présents en Normandie dès l'Antiquité. Grâce aux travaux de chercheurs passionnés, notamment le professeur Norman Golb, historien paléographe de l'université de Chicago, on est certain aujourd'hui, que l'installation de Juifs dans la région, notamment à Rouen, remonte à la colonisation romaine. En effet, pour consolider leur conquête militaire de la Gaule, les Romains y acheminèrent des milliers de Juifs venus de Terre Sainte et d'Italie.

Et c'est ainsi que des cultivateurs juifs, encouragés par le pouvoir romain, mirent en valeur la Normandie et que des marchands juifs, avisés et entreprenants, participèrent à l'essor de la région, vivant en bonne entente avec leurs voisins chrétiens.

Plus tard, pour bien asseoir cette présence, un « Roi des Juifs », « Rex Judaeorum », fut installé à Rouen. L'un de ces « Rois » sera Jacob Bar Jéquthiel. Vers 911, les premiers ducs de Normandie s'appuieront sur les Juifs du pays pour le développement du territoire. Cette implantation démographique conséquente s'est maintenue de manière continue pendant un millénaire jusqu'à l'expulsion des Juifs de France ordonnée par Philippe le Bel en 1306.
C'est tout à fait fortuitement que l'attention des scientifiques du monde entier a été attirée sur les Juifs de Normandie. En 1976, lors de travaux de réfection de la cour d'entrée du Palais de Justice de Rouen, un édifice est découvert en sous-sol. Il apparaît très rapidement qu'il s'agit d'un monument à caractère juif. Si la datation du lieu ne pose pas de problème, on est en présence d'un édifice datant du Moyen Âge, les spécialistes hésitent pendant quelque temps, sur son caractère : s'agit-il d'une synagogue, d'une habitation privée ou d'une école talmudique. C'est cette dernière option qui est finalement retenue. C'est ainsi qu'est mise en évidence la « Maison Sublime de Rouen » [1], une yéchiva médiévale, seule école rabbinique de cette époque au monde dont on ait conservé les vestiges.

Au XIIe siècle, Rouen comptait entre 5 000 et 6 000 Juifs, soit 15 à 20 % de sa population. Une synagogue monumentale dominait le quartier avec ses treize mètres de hauteur et sa tour centrale. Et ce n'était pas un cas isolé. Norman Golb a dénombré 85 sites attestant d'une présence juive en Normandie à l'époque, comme la yéchiva de Touques, à l'entrée de Deauville. De même, les « Rue aux Juifs » sont monnaie courante dans la région et de nombreux hameaux normands portent le nom de « Les Juifs » ou « La Juiverie ».

Il convient de noter, par ailleurs, qu'à l'instar des Romains, un millénaire plus tôt, Guillaume le Conquérant utilisera les Juifs rouennais pour organiser, en 1066, l'immigration d'une partie d'entre eux en Angleterre fraîchement conquise. Ainsi, des Juifs normands, descendants de Juifs palestiniens et italiens installés par les Romains, ont contribué au renforcement de la communauté juive anglaise. Le développement des relations maritimes entre Londres et Rouen connut alors un essor sans précédent.

De nos jours, si le public est nombreux à visiter la Maison Sublime de Rouen, l'intérêt des Juifs pour la Normandie se tourne plutôt vers Deauville et Trouville. Depuis les années 1970, des Juifs d'Afrique du Nord, essentiellement de Tunisie, ont rejoint leurs cousins ashkénazes qui avaient déjà investi la place bien avant eux, pour faire de Deauville et, dans une moindre mesure de Trouville, un lieu privilégié de vacances estivales et, depuis peu, un lieu de résidence à l'année. Des commerces spécialisés et des restaurants « cacher » ont ouvert leurs portes. À Deauville, sur la grande place centrale de la ville, la place Morny, une boulangerie propose à ses clients, tous les vendredis, des pains de chabbat, les traditionnelles « hallot ».

À Deauville, en juin 1991, rue Castor, une synagogue a été inaugurée, en présence du Grand rabbin de France de l'époque, Joseph Sitruk. On peut y trouver un « mikvé », bain rituel. Une Association Israélite de Deauville a été créée. Dix ans plus tard, le mouvement Loubavitch installait une autre synagogue et un centre communautaire Habbad, boulevard Maugier, animé par le rabbin Samuel Lewin. Enfin, une loge du B'nai B'rith, « Deauville-Jérusalem », propose des activités tout au long de l'année.

En 2025, le judaïsme normand a de beaux jours devant lui.

 

Jean-Pierre Allali 

 

[1] On pourra, sur ce sujet, consulter mon roman Les vengeurs de La Maison Sublime (Éditions Glyphe, 2011)

 

 

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