Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Lectures de Jean-Pierre Allali – Devant Pluton, Paris-Berlin, Itinéraires d’un féal, par Daniel Cohen

19 Février 2025 | 66 vue(s)
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Opinion

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Devant Pluton, Paris-Berlin, Itinéraires d’un féal, par Daniel Cohen (*)

 

Comme je le disais dans ma recension de l’ouvrage de Joann Sfar, Nous vivrons. Enquête sur l’avenir des Juifs, je pensais avoir eu entre les mains le livre le plus lourd jamais rencontré. Eh bien, avec le nouveau livre de Daniel Cohen, le record est battu. La fiche technique de l’ouvrage indique : poids : 1,0590 kg !

Autre particularité de cet ouvrage, par ailleurs fort intéressant : l’abondance de citations. L’auteur, par ailleurs éditeur, est, depuis sa plus tendre enfance, un passionné de la lecture. Aucun auteur ne lui est inconnu et il se plaît à rendre hommage à tous ceux qui ont éclairé, au fil des ans, sa lanterne. Bien qu’originaire de Colomb-Béchar, dans le Sahara algérien, Daniel Cohen s’est, très jeune, épris de Prague [1]. Plus tard, c’est l’Allemagne et sa capitale, Berlin, qui ont ravi son cœur. Malgré la tragédie effroyable de la Shoah, malgré l’ignominie infinie du nazisme, il constate et assume son admiration devant la capitale allemande : « Berlin, plus que toute autre ville, vous étreint et vous étouffe. Il est des villes suffocantes comme Jérusalem, rien n’est fait dans la mesure – la joie et le malheur, le sentiment que l’autre est un péché mortel, le désir de l’éliminer afin de servir son Dieu porté dans ses reins avec ce que cette grossesse a de charnel ». Dès lors, « Parlant de l’Allemagne, du cercle infernal qu’elle a dessiné, en y associant les Juifs, qui viserais-je, sinon l’homme ? ». En résumé, pour de bonnes et de mauvaises raisons : « Allemagne, tu me hantes », reconnaît Daniel Cohen. Et il ajoute : » Et, quoi, au risque de vous faire sursauter, aurais-je une passion de l’Allemagne ? ». Ou encore ; « Me serais-je intéressé à l’Allemagne pour le seul motif qu’elle est l’Allemagne ? ». Et, plus fort encore : « Pour connaître la Shoah, connais l’Allemagne ! » car, il faut le souligner, « Le Reich ne fut pas l’Allemagne ».  Ce véritable voyage initiatique au pays du malheur du peuple juif est entrecoupé de réflexions personnelles sur la mère de l’auteur, morte en 1979, après un long calvaire [2] ou sur sa chatte adorée, Blanche. Ou encore sur l’enfance en Algérie, les rapports ambigus entre Juifs et Arabes, l’État d’Israël et les Palestiniens : « Israël est l’un des rares États de cette planète, sinon le seul, à être rabaissé au rang des immondices » et « Le refus arabe d’un établissement juif en Palestine n’est pas une vue de l’esprit », le pogrom du 7-Octobre 2023, l’identité juive, l’extrême droite. En fait, on réalise au fil des pages que l’Allemagne est le dénominateur commun qui permet à l’auteur d’aborder les sujets les plus divers. C’est le cas des écrivains antisémites, de Louis-Ferdinand Céline à Lucien Rebatet en passant par Léon Daudet, Brasillach, Maurras, Pierre Gripari, pour lequel « la Torah juive est un texte criminel » ou encore Jean Genêt, admirateur béat des Palestiniens. Sans oublier les frères de Goncourt, Jules et Edmond et Gustave Flaubert, notamment dans ses démêlés avec son éditeur Michel Lévy. Au passage, le père de l’État juif, Theodor Herzl, reçoit une volée de bois vert pour ses écrits jugés pour le moins indigestes. Autres thèmes abordés dans cet ouvrage véritablement encyclopédique : le procès Eichmann, la musique de Wagner, les promenades dans Berlin en compagnie d’Inge, la déportation, « Le Vicaire », de Rolf Hochhuth, Jean-Paul Sartre et Albert Camus, le génocide des Arméniens, la villa Wannsee, lieu de l’épouvantable Conférence où fut décidé, en janvier 1942, l’anéantissement du peuple juif ( l’auteur brosse un portrait édifiant de quinze participants à cette infame réunion), une visite déclinée en treize stations. La dédicace de la troisième et dernière partie de l’ouvrage : « Être à Berlin », s’ouvre sur une dédicace particulièrement émouvante. L’auteur y rend hommage à son homonyme, un jeune garçon juif de huit ans, Daniel Cohen, assassiné à Hambourg par les Allemands. En fin d’ouvrage, une brève histoire du judaïsme allemand qui prit naissance sur les bords du Rhin entre 300 et 320, nous est proposée avec une liste impressionnante de personnalités juives qui, dans les domaines les plus divers : arts, sciences, lettres, sports, ont marqué leur époque.

Tout compte fait, nous dit l’auteur : « Allemands, j’ai passé ma vie, modeste et anonyme, à vous scruter ; j’ai tenté de vous aimer malgré ce qui rend moins cet intérêt que cet amour quasi impossible ».

Un important corpus de notes complète cet ouvrage érudit et passionnant.

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Orizons, novembre 2024, 708 pages, 30 €

[1] Prague de leur fenêtre, Éditions Orizons, 2020
[2] Ma mère, Éditions Orizons, 2024

 

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