Jean Pierre Allali

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Lectures de Jean-Pierre Allali - Tout le bruit du Guéliz, par Ruben Barrouk

09 Avril 2025 | 84 vue(s)
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Opinion

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Tout le bruit du Guéliz, par Ruben Barrouk (*)

Le Guéliz, c’est un quartier de Marrakech, au Maroc. C’est là, au premier étage du 66, avenue Al-Mâ Az-Zahr, que vit Paulette, la grand-mère du narrateur. Contrairement à ses enfants, Charly, Michel, Annie et Sabrina, qui ont tous quitté le Maroc, Paulette a choisi de demeurer sur sa terre natale, contre vents et marées, maintenant, au fil des ans, un lien téléphonique, tous les vendredis soir, avec sa famille. Mais, depuis peu, un phénomène inquiétant trouble la vie de la vieille femme : un bruit incessant la harcèle, traversant le plafond. De quoi s’agit-il ? Acouphènes, illusions auditives, gêne occasionnée par des voisins impolis ? Pour tenter de rassurer Paulette et pour essayer de mettre fin à ce bruit du Guéliz, l’auteur et sa mère, Annie, décident de rejoindre Marrakech. Nous voici donc dans la vieille ville, avenue prince Moulay-Rachid, près de la tour de la Koutoubia où Paulette, revêtue de sa gandoura rouge traditionnelle, accueille ses visiteurs avec force « yak » (N’est-ce-pas) et « mchikpara ». « Mchikpara », en judéo-arabe, c’est l’abréviation d’une expression ancestrale « Nemchi Kappara alik », à savoir : « Que Dieu fasse que je sois sacrifiée à ta place ». Tout comme on sacrifie des poulets en expiation de ses péchés comme le raconte si bien André Nahum dans son savoureux roman Partir en kappara [1]. La traque du bruit du Guéliz est en réalité une occasion de revenir sur la vie des Juifs du Maroc qui étaient plusieurs centaines de milliers avant l’indépendance du pays et qui, de nos jours, ne sont plus que quelques centaines. Les Juifs marocains vivent désormais en Israël, en France, au Canada, en Belgique et ailleurs. Il est loin le temps où Paulette tenait un salon de coiffure et où son mari, Simon Hayot, gérait son atelier de tailleur. Annie et son fils profitent de leur séjour pour visiter les reliques juives d’un passé à jamais disparu : la synagogue, près de la rue du Pacha, le Mellah, quartier juif dont le nom vient, semble-t-il de l’hébreu « Milah », « Circoncision ». Après le départ massif des Juifs, le quartier avait été rebaptisé « Hay Salam » mais le roi avait décidé, en 2017, de lui redonner son nom d’origine, le cimetière juif du Miaara, « Maison du temps vivant », vingt mille tombes dont celles de Tsadikim, de sages comme le  Rav Hanania Hacohen. Plus tard, accompagnés par un chauffeur bienveillant nommé Bouriel, ce seront des pèlerinages plus lointains : la tombe du Rav Raphaël Hacohen puis à l’Ourika, celle du vénéré Rabbi Salomon Bel-Hench alias Moul Asguine, gardée par Fatma, épouse de feu Hananiyah, dernier Juif berbère de la région.

L’échoppe de tailleur de Simon Hayot dit le fassi, a été rachetée par son collègue arabe Emad.

Un fassi, c’est-à-dire un Juif converti à l’islam. « À Marrakech, l’Arabe a quelque chose de juif en lui. Des parcelles de notre identité se sont réfugiées là, en eux, comme quelque chose de profondément intime. C’est ainsi. L’Arabe garde le Juif. Il le protège. Il couve ce qu’il en reste… ».

Cela dit, malgré les Accords d’Abraham et bien que, le 13 mars 2022, un premier vol Casablanca-Tel Aviv ait été inauguré, le judaïsme marocain n’est plus qu’un lointain souvenir. « Elli Fêt Mêt » dit un adage judéo-arabe. Ce qui est passé est trépassé. Ainsi va le monde…

L’écriture de ce roman, parfumée de l’encens local, le bakhour, est magnifique. Ce premier ouvrage de Ruben Barrouk est prometteur. À découvrir.

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Albin Michel, août 2024, 224 pages, 19,90 €

 

[1] Partir en kappara, André Nahum, Éditions Piranhas, 1977

 

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