Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - De Ozar Hatorah à la Cour internationale de Justice

18 Janvier 2024 | 216 vue(s)
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Faisant un bref séjour en Israël pour des raisons familiales, j’ai regretté de ne pas avoir pu participer à l’enterrement de Samuel Sandler à Jérusalem. Il a rejoint son fils Jonathan et ses petits-fils Arié, 6 ans et Gabriel, 3 ans assassinés, avec la petite Myriam Monsonego, le 19 mars 2012 dans l’école Ozar Hatorah de Toulouse, par un homme dont il refusait de prononcer le nom. J’étais Président du Crif à cette époque et depuis lors j’ai déjeuné régulièrement avec Samuel Sandler, un homme d’une droiture, d’une humanité, d’une gentillesse comme il n’y en a plus guère. Un homme qui poursuivait ses engagements de vie dans la cité et dans le judaïsme, mais dont le ressort avait été irrémédiablement brisé. Que sa mémoire soit bénie…

Cette semaine marquait aussi l’anniversaire du massacre de l’Hyper Cacher le 9 janvier 2015, le second assassinat collectif de Juifs, après celui de Toulouse, par un ressortissant français, et celui des 100 jours après le 7 octobre. 

C’était aussi la semaine où Israël se défendait devant la Cour Internationale de Justice à la Haye d’une accusation de génocide et je ne peux m’empêcher de tresser des fils entre ces événements.

Je me revois à l’Élysée le 19 mars 2012, appelé en urgence par la Présidence de la République dès que les assassinats d’enfants juifs à l’école Ozar Hatorah de Toulouse furent connus. Trois soldats aux noms arabes, Imad ibn Ziaten, Mohamed Legouad et Abel Chennouf (ce dernier était catholique) avaient été assassinés les jours précédents ; un quatrième soldat, Loïc Liber, d’origine antillaise, devint tétraplégique. Le Président du Conseil français du culte musulman (CFCM) avait été invité lui aussi à l’Élysée car les assassinats de soldats avaient fait évoquer dans la presse une attaque contre les musulmans. Il a déclaré qu’un musulman ne pouvait pas être responsable des assassinats d’enfants, comme certains commençaient à le suspecter, car, avait-il dit, « l’Islam est une religion de paix ». Quelques heures plus tard le doute était levé. L’assassinat était le fait d’un islamiste. À supposer qu’il ait su la religion des soldats, Mohammed Merah les considérait comme des apostats, des « koufar », puisqu’ils travaillaient pour la France.

Comme lors de la rue Copernic, 32 ans auparavant, les crimes avaient donc d’abord été attribués à des néo-nazis. La DCRI a privilégié cette piste malgré son dossier sur l’islamisme à Toulouse et sur Mohamed Merah en particulier, ancien délinquant radicalisé, touriste en Afghanistan puis au Pakistan et acrobate sur deux roues, ce qu’était à l’évidence l’homme que la presse appelait le tueur au scooter. Plus tard, la DCRI soutiendra contre vents et marées l’hypothèse du loup solitaire ne voulant pas incriminer une filière islamiste terroriste en France. Et pourtant elle savait que Merah et sa famille étaient liés à un inquiétant gourou, Olivier Corel, alias Abdelilah Al Dandachi, l’émir blanc d’Artigat, qui avait fui la Syrie baathiste et avait obtenu sans difficulté la nationalité française. Olivier Corel deviendrait le père spirituel des Frères Clain et de Sabri Essid, demi-frère de Merah, plus tard militants célèbres et ultra-violents de Daech.

Les Frères Musulmans, dont Corel faisait partie, et dont le Hamas est un fleuron, étaient choyés en France à cette époque. Leur ténor européen Tariq Ramadan était une vedette des médias, le mot d’ordre était le « vivre-ensemble », la crainte d’être qualifié d’Islamophobe se généralisait, et je fus sévèrement critiqué par le syndicat de journalistes de TF1 pour y avoir dit que la haine envers Israël était devenue la haine contre les Juifs. Le déni faisait des ravages depuis des années, le livre sur les Territoires perdus de la République avait été ignoré, le rapport Obin mis au placard. Gilles Kepel révèle d’une plume acérée dans ses récents mémoires (Prophète en son pays, Éditions de L’Observatoire, 2023) la naïveté et l’ignorance des pseudo-spécialistes de l’Islam et de ces hommes politiques qui crurent que les Frères Musulmans seraient des alliés et des paravents contre Al-Qaïda. 

Pendant qu’il était assiégé par le Raid, Merah avait déclaré à une journaliste qu’il avait tué des enfants juifs pour venger les enfants de Gaza. C’était une allusion à l’affaire Al-Durah, l’un des faux les plus nocifs concoctés par le Hamas. Plus tard, certains essaieront de faire passer Merah pour une victime de la société et un protestataire contre la barbarie israélienne ; d’autres insinueront qu’il avait été manipulé par la police pour qu’on mette ses crimes sur le dos de l’Islam. Ces aberrations eurent un succès limité car la population n’était pas mithridatisée contre des crimes aussi affreux et le complotisme et les réseaux sociaux n’avaient pas le poids qu’ils ont aujourd’hui. Mais chez beaucoup de jeunes des quartiers dits difficiles, Mohamed Merah devint un héros, comme Ben Laden l’avait été, comme on préférait ne pas le voir, et comme le Hamas l’est aujourd’hui.

Il avait filmé ses exploits avec une caméra GoPro. Les experts parlèrent alors d’une personnalité narcissique. Ils n’avaient pas compris ce qu’est l’exaltation religieuse islamiste. Filmer les assassinats avait une valeur pédagogique, que Daech plus tard sut exploiter. Les assassins du 7 octobre ont poussé ce filmage aux limites de l’horreur, avec jouissance, fierté et dans la certitude d’être dans le bien. 

100 jours déjà après le 7 octobre, ce jour de Simhat Torah qui aurait dû être d’autant plus joyeux qu’il tombait un Shabbat (comme le jour de l’attentat de Copernic) et qui restera gravé à jamais dans la mémoire juive. Il y aurait aujourd’hui 132 otages aux mains du Hamas. Combien sont morts, combien sont en train de mourir ? On ne peut même pas imaginer le calvaire de leurs proches. L’exigence de leur retour « maintenant », a été criée par des dizaines de milliers d’Israéliens rassemblés à Tel Aviv sur le lieu emblématique de la Place des Otages. Mais peut-on tout subordonner au retour de ceux que le Hamas accepterait de relâcher en prétendant que les frappes israéliennes ont tué les autres alors que cela acterait le succès du terrorisme et la promesse de récidives ? 

Il y a là pour les décideurs un dilemme insoutenable. Chaque israélien tué est pour Israël un monde qui disparait, chaque civil palestinien mort est un cadeau pour le Hamas qui conforte son discours victimaire. Son jeu pervers est clair et pourtant il en est qui continuent d’appeler au cessez-le-feu et à la paix comme si ces mots avaient un sens pour une organisation qui ne s’est jamais cachée de vouloir éliminer les Juifs de cette terre.

En fait ne sont aveuglés que ceux qui ne veulent pas voir ce qui n’est même pas caché : pour un islamiste, tous les crimes s’appellent des exploits s’ils sont effectués au nom de la gloire divine dont ils se prétendent dépositaires…

Mais pour parfaire le syllogisme du Hamas victime essayant seulement de se défendre, il faut que le crime d’Israël soit immense, qu’il efface toute mémoire de Juifs victimes dans le passé d’un autre ennemi inhumain. Il faut qu’Israël soit le vrai nazi. Il faut que le combat qu’il mène soit appelé génocide.

L’Afrique du Sud, hôte de la Conférence de Durban de septembre 2001 et de longue date compagne de route du Hamas, a été chargée de ce travail immonde.

Je ne m’étendrai pas sur cette accusation, car je ne vois rien à ajouter à l’admirable texte de Manuel Valls.

Une triste coïncidence, cependant : Samuel Sandler s’est éteint le vendredi 12 janvier 2024, le jour où des juristes expliquaient à la Cour Internationale de Justice de La Haye une évidence, à savoir qu’Israël loin d’effectuer un génocide, avait été victime d’une action terroriste à caractère génocidaire.

Je pense que Samuel Sandler, en voyant l’infamie de l’accusation a pensé qu’on voulait considérer désormais que son fils et ses deux petits-fils étaient les vrais coupables de leur propre assassinat et leur assassin n’était qu’une victime indirecte de la barbarie des Juifs…

Samuel Sandler a quitté un monde à l’envers…

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif 

 

 

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