Jean-Pierre Allali
Crédit photo : DOMINGO LEIVA / ONLY WORLD / Only France via AFP
Illustration : La Grande synagogue Dohany de Budapest.
La récente visite du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou à Budapest avec la décision annoncée à cette occasion du retrait de la Hongrie de La Cour Pénale Internationale (CPI), a mis en évidence l’étroitesse des relations entre la Hongrie de Viktor Orbán et l’État juif. La Hongrie est un pays où a résidé, pendant des siècles, une grande communauté juive. Elle a été presque anéantie par la barbarie nazie. De nos jours, fortement amoindrie démographiquement, elle continue d’être dynamique et prospère malgré les difficultés. Pleins feux sur l’histoire des Juifs de Hongrie.
Il est généralement admis que des communautés juives étaient installées dès le troisième siècle de l'ère chrétienne dans la province romaine de Pannonie qui sera plus tard une partie de la Hongrie. Si on ne dispose pas d'éléments sur leur parcours au cours des siècles qui suivent, une fameuse lettre que le célèbre Hasdaï Ibn Shaprut adresse au 10e siècle au roi des Khazars fait mention de la présence de Juifs en Hongrie. Des échanges commerciaux ont alors lieu entre marchands juifs hongrois et commerçants de toute l'Europe Centrale. Les Magyars, habitants majoritaires du pays, adoptent la religion chrétienne en 992. Dès lors, des décrets et des lois vont être promulgués pour limiter la liberté des Juifs. Le synode de Szabolc, en 1092 prohibe le mariage entre Chrétiens et Juifs et interdit à ces derniers d'avoir des serviteurs chrétiens et de travailler le dimanche et les jours des fêtes chrétiennes. En 1100, le droit de résidence des Juifs subit un certain nombre de restrictions.
En 1251, le roi Bela IV publie une Charte de Privilèges qui régule dans un sens plus favorable la situation des Juifs. Cela n'était pas très apprécié par la hiérarchie chrétienne et le Synode de Buda, en 1279, imposa aux Juifs le port d'un signe distinctif, une rouelle rouge. Sous le règne de Lajos, au 14e siècle, les tentatives de conversions furent nombreuses. Face au refus des Juifs, le roi proclama leur expulsion en 1364, mais fut obligé de révoquer sa décision quatre ans plus tard pour des raisons économiques. Les Juifs étaient alors quelques 20 000 personnes réparties dans une vingtaine de villes.
Le 16e siècle et le 17e siècle sont marqués par les guerres entre la dynastie des Habsburg qui règne sur la Hongrie et la Turquie, conflits qui ne seront pas sans influence sur la population juive. Le pays est alors scindé en trois. Le sud et le centre sont sous l'autorité turque, le nord et l'ouest demeure entre les mains de Habsburg et, à l'est, la Transylvanie est une principauté hongroise sous protectorat turc. Les zones sous autorité turque sont plus favorables aux Juifs et l'on assiste à l'émergence de communautés sépharades. C'est à cette époque que l'influence du faux messie Sabbataï Zvi, se fait sentir dans le pays.
Au cours du siècle qui suit, nombre de Juifs venus d'Autriche et de Pologne notamment s'installent en Hongrie. Le recensement de 1787 ordonné par l'empereur Joseph II, qui, par ailleurs fut animé de bonnes intentions à l'égard de la communauté juive, dénombre 80 885 Juifs répartis dans 115 points de peuplement. La plupart des Juifs pratiquaient de petits métiers bien que certains d'entre eux, comme Shimson Wertheimer, parvinrent à atteindre le statut envié de « Juifs de Cour ».
Au cours du siècle qui va suivre, la lutte des Juifs pour obtenir l'égalité avec leurs concitoyens chrétiens va s'amplifier. Elle s'accompagnera de l'émergence d'un judaïsme libéral, les « néologues » en opposition avec l'orthodoxie. Un temps affaibli, l'antisémitisme va resurgir avec la Première Guerre mondiale. En octobre 1918, l'ancien régime s'écroule laissant la place à une République Démocratique dirigée par Mihaly Károlyi à laquelle contribueront de nombreux Juifs. Cette éphémère République laissera rapidement la place à un régime communiste en mars 1919 avec, à sa tête, un Juif, Béla Kun, régime qui ne durera pas longtemps, lui non plus. La contre-révolution dirigée par l'amiral Miklos Horthy prend le pouvoir. C'est le temps de la peur et, pour les Juifs, des pogromes et de la « Terreur Blanche ».
Dans cette tourmente et malgré un numerus clausus introduit légalement en 1920, la communauté juive s'organise et le mouvement sioniste se développe. Grâce à une action énergique des organisations juives internationales auprès de la Société des Nations, le numerus clausus sera amendé en 1928. Cependant, dès le début des années trente, les idées racistes venues d'Allemagne commencent à se propager en Hongrie puis à être mises en pratique.
À l'aube de la Seconde Guerre mondiale, on dénombre 800 000 Juifs en Hongrie.
La barbarie nazie, on le sait, va s'abattre sur le judaïsme hongrois qui paiera un lourd tribut à la folie hitlérienne : 600 000 victimes assassinées dans les camps de la mort, notamment à Auschwitz. Parmi les survivants, beaucoup choisiront une seconde vie en émigrant en Israël.
En 2013, au moment où plus de 500 Juifs représentant les communautés juives du monde entier sont réunies à Budapest, la communauté juive hongroise compte environ 120 000 âmes. Elle est dirigée depuis 2005 par le docteur Peter Feldmajer, président du MAZSIHISZ, Fédération des Communautés Juives de Hongrie. Le Grand rabbin est Robert Deutsch qui, depuis, a laissé sa place à Robert Fröhlic.
De nos jours, iI y a plus de vingt synagogues à Budapest, dont certaines, comme la synagogue Rumbach, devraient être transformées en musées. La Grande Synagogue monumentale Dohany qui compte 3 000 places est un lieu de visite obligé de la capitale hongroise. Il y a également de nombreuses synagogues en province. Des musées, des cimetières, des monuments commémoratifs, des écoles dont la remarquable « Lauder Javne School » de Budapest gérée par la Fondation Ronald Lauder avec ses 600 élèves, des mouvements de jeunesse, des publications régulières. C'est à Budapest, la capitale de la Hongrie, que le Congrès Juif Mondial (WJC) a choisi de tenir son congrès en mai 2013.
L'organisation, présidée par Ronald Lauder, avait choisi cette ville en manifestation de sa solidarité avec la communauté juive et en réaction à la montée du parti antisémite Jobbik. Parmi les intervenants remarqués à ce congrès, le premier ministre hongrois, Viktor Orbán.
Parmi les nombreuses personnalités issues du judaïsme hongrois, on peut citer ; la gymnase Agnes Keleti, médaillée olympique, l’écrivain Imre Kertesz, prix Nobel de Littérature ; George Olah et John Polanyi, prix Nobel de Chimie ou encore le psychanalyste Jean-Pierre Winter.
Après l’irréparable catastrophe de la Shoah, une vie juive dynamique a pu renaître de ses cendres. Le danger antisémite perdure malgré la sympathie de Victor Orbán pour la communauté juive et pour Israël.
Jean-Pierre Allali
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