Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Munich, il y a cinquante ans

01 September 2022 | 192 vue(s)
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Il est 4h20 du matin à Munich ce 5 septembre 1972. Les Jeux Olympiques, surnommés les "jeux du bonheur", devaient effacer par leur caractère bon enfant le souvenir sinistre des Jeux de Berlin de 1936. Cela tombait d’autant mieux que le héros de la première semaine avait été le nageur juif américain, Mac Spitz, qui avait remporté sept médailles d’or…

Quelques athlètes canadiens ont assisté au match de hockey qui a vu la victoire du Canada sur l’Union Soviétique ; ils l’ont célébrée et retournent au village Olympique sans passer par le portail principal, mais en sautant par-dessus une cloture grillagée. Les gardes ont l’habitude de ce raccourci emprunté la nuit par des athlètes fêtards et il n’est pas question de verbaliser, ni même de contrôler. Les Canadiens rencontrent un autre groupe de jeunes gens portant  de lourds sacs de sport et ils les aident à franchir la barrière de 2 mètres de haut, car entre sportifs, il faut s’entraider…

C’est ainsi que commence l’attaque terroriste sur la délégation israélienne aux Jeux de Munich. Elle a été organisée par Abu Daoud, adjoint de Abu Iyad, chef de l’organisation palestinienne appelée Septembre Noir. Ce nom provient de la sanglante répression organisée par le roi Hussein en septembre 1970 contre les organisations palestiniennes qui menaçaient de prendre le pouvoir en Jordanie, mais Septembre Noir n’est pas une organisation, c’est une marque, qui reçoit instructions et financements de la part du Fatah de Yasser Arafat. Le trésorier du Fatah  s’appelle Abu Mazen, c’est Mahmoud Abbas.

Après avoir tué Moshe Weinberg, l’entraineur des lutteurs et l’haltérophile Yossef Romano, qui ont essayé de résister, les terroristes s’emparent de neuf athlète israéliens capturés dans leur sommeil. D’autres sont parvenus à s’enfuir et donnent l’alarme. Parmi eux, Shaul Ladany, survivant de Bergen Belsen, futur champion du monde de marche sur 100 km et professeur d’université.

Les négociations avec les Allemands devant le public du monde entier. Elles vont durer 18 heures. Les huit terroristes réclament la libération de 234 prisonniers palestiniens d’Israël, ainsi que de la bande à Baader et du japonais survivant de l’attentat à l’aéroport de Lod, six mois plus tôt. Golda Meir refuse de céder au chantage, car cela entrainerait des prises d’otages à répétition. Dans la nuit les huit Palestiniens et leurs neuf prisonniers sont conduits par hélicoptère à une base aérienne à trente km de Munich pour être conduits par avion dans un pays arabe ami.

C’est sur cette base qu’a lieu la tentative de libération. Mal entrainés, mal armés, mal positionnés et mal commandés, les policiers bavarois aboutissent à un fiasco. Les faux pilotes de l’avion qui devait conduire le groupe quittent leur poste qu’ils trouvent trop dangereux, et les terroristes comprennent qu’ils sont tombés dans un piège.  Alors que le porte parole du chancelier Brandt a annoncé que l’opération de libération s’était bien passée, tous les otages sont tués, ainsi qu’un policier allemand et cinq des terroristes.Décidément, l’Allemagne et les armes, ce n’est plus ce que cela avait été. Amère consolation.

Les trois survivants ne resteront que quelques mois en prison. Ils seront échangés après une nouvelle prise d’otages, dont certains pensent qu’elle a bien fait l’affaire du gouvernement allemand. Car les prisonniers palestiniens sont une patate chaude dont on préfère se débarrasser par crainte de représailles et des négociations secrètes ont eu lieu entre les autorités allemandes et les mouvements palestiniens. C’est pourquoi, quand Abou Daoud fut arrêté  par hasard en 1977 en France, le refus, qui nous a scandalisés, du gouvernement giscardien de l’extrader en Allemagne  ne suscita pas trop de colère chez nos voisins.

Abu Daoud a échappé aux Israéliens et est mort à Damas en 2012; deux des trois Palestiniens libérés vivent encore et se cachent depuis 50 ans. Mais le Mossad a liquidé de nombreux organisateurs d’attentats contre des Israéliens. Le film de Spielberg a fait connaitre ces opérations  dont la plus célèbre s’est déroulée à Beyrouth sous la direction de Ehud Barak. Il y a eu aussi malheureusement des bavures, notamment l’assassinat d’un Palestinien en Norvège, mais beaucoup moins que ce qui est allégué par les critiques d’Israël. Aharon Yariv, qui fut l’un des maitres d’oeuvre de ces actions a dit qu’elles avaient été politiquement vitales pour l’Etat d’Israël dans son combat contre des ennemis qui guettaient la moindre faiblesse.

Les épreuves olympiques continuèrent le matin de la prise d’otages et ne s’arrêtèrent que l’après midi et le jour suivant, où eut lieu une cérémonie commémorative. Avery Brundage, le Président du CIO, le Comité olympique international annonça que les Jeux n’allaient pas s’arrêter. Dans son discours exceptionnellement minable, il osa comparer l’attentat aux menaces d’arrêt des Jeux que le CIO avait subies pour écarter la Rhodésie, aujourd’hui Zimbabwe, en raison de l’apartheid, un vrai apartheid cela-là!- qui y régnait.

Rien d’étonnant à l’insensibilité de M.Brundage. Avant les Jeux de Berlin de 1936, il avait pris aux Etats Unis  la tête du mouvement contre le boycott, à une époque où l’antisémitisme était courant dans la classe dirigeante américaine. Il avait déclaré son admiration pour Hitler, il avait éliminé les deux sprinters Juifs du relais américain et avait prétendu que la non diffusion du film  de la cinéaste nazie Leni Riefenstahl sur les Jeux témoignait de l’emprise malheureuse des Juifs sur le cinéma américain. Dans le sport, il était pour une élite d’amateurs riches, contre les femmes, contre les Juifs et contre les Noirs. Son successeur, l’Espagnol Samaranch, franquiste de la première heure et plus tard agent probable du KGB, fit entrer le CIO dans l’ère du sport-business. Il fut insensible aux demandes de commémoration, car elles pouvaient heurter certains sponsors arabes. Il fallut attendre les Jeux de Tokyo de 2021 pour qu’un hommage aux victimes des attentats de Munich soit rendu. 

Mais avec l’Allemagne aussi, les familles s’étaient heurtées à un mur. Ce n’est que avant-hier, in extremis avant le 50ème anniversaire, qu’un accord a été obtenu pour une réparation financière significative, la mise à disposition des archives sur lesquelles les historiens pourront travailler et la promesse d’un discours où le Président Frank Walter Steinmeier reconnaitra enfin la responsabilité allemande pour les carences de sécurité.

Cette année 1972, Nixon a rencontré Mao et les Comités Viet Nam Palestine s’occupent  plus de la Palestine et moins du Viet Nam, qui est en pourparlers avec les Américains à Paris. Le jeune Joseph Krasny, Edwy Plenel dans le civil, s’enthousiasme pour les terroristes de Munich dans le journal de la ligue communiste révolutionnaire. Mais la forte dépendance des mouvements palestiniens envers l’URSS n’empêche pas Septembre Noir de s’appuyer sur les Neo-nazis allemands pour la logistique de l’attentat. La haine des Juifs combinée à la haine d’Israël, cela permet d’enjamber bien des divergences idéologiques...

C’était il y a cinquante ans. On ne parlait pas encore d’islamisme et l’Iran était un allié objectif d’Israël. Mais pour les gens de ma génération, c’était hier...

Richard Prasquier