Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Les deux fautes du Président Macron

20 Juin 2024 | 178 vue(s)
Catégorie(s) :
France

À l'occasion des 80 ans du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), les membres du Crif ont été reçus à l'Élysée par le Président de la République, Emmanuel Macron, et Madame Brigitte Macron, lundi 18 mars 2024. Le Président du Crif, Yonathan Arfi, a prononcé un discours à cette occasion. 

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En dix jours, le Président Emmanuel Macron a pris deux décisions détestables. Celle du 9 juin de dissolution de l’Assemblée Nationale restera dans l’histoire de France, l’autre a failli entrer dans l’histoire des Juifs de France.

Le 31 mai, une lettre du Délégué Général de l’Armement intime à Cage Events, compagnie organisatrice du salon Eurosatory l’ordre de refuser la présence d’entreprises israéliennes, sur la base d’une décision prise au Ministère. Issue du Groupement des industries françaises de défense et de sécurité, Cage events doit obtempérer. On apprend que l’ordre vient directement du Président Macron qui avait demandé en vain à Israël de quitter Rafah, où le 26 mai à la suite d’une frappe sur des dirigeants du Hamas, avec une bombe de faible calibre, un incendie dû à un éclat d’obus qui avait fait exploser un réservoir de carburant stocké près d’un campement de réfugiés avait entraîné une cinquantaine de morts. 
La décision d’Eurosatory n’était pas due à une menace sécuritaire, elle traduisait la colère du Président Macron envers un Premier Ministre israélien qui ne l’avait pas écouté.

L’histoire ne s’arrête pas là, la colère est mauvaise conseillère et celle du Président a donné des ailes aux ennemis d’Israël.
Un collectif d’Associations comme l’Alliance France Palestine Solidarité, Urgence Palestine où se trouvent entre autres la CGT, ATTAC et la Ligue des Droits de l’Homme, en passant par Al Haq, association de juristes palestiniens noyautée par le FPLP et qui s’était rendue célèbre par son activisme à l’infâme conférence de Durban en 2001, exige plus que l’interdiction de stands d’entreprises israéliennes : il demande à interdire la présence de tout collaborateur de ces entreprises et l’invisibilisation des matériels israéliens éventuellement présents chez les autres exposants.

L’incroyable est qu’ils obtiennent gain de cause auprès du Tribunal judiciaire de Bobigny qui s’appuie sur une ordonnance du 24 mai de la Cour Internationale de Justice. Celle-ci pourtant, comme le fait remarquer l’avocate et ancien ministre Noëlle Lenoir, avait simplement demandé à Israël, je cite, de « prendre toutes précautions pour veiller à ce que ses opérations militaires à Rafah, par leurs effets sur la population civile, ne soient pas susceptibles d'entraîner un risque de génocide ». Que la visite d’un professionnel de l’armement Israélien à Eurosatory risque d’entraîner un génocide à Gaza est donc la conclusion à laquelle est arrivé un Tribunal réputé pour être un des plus importants de France. 

En conséquence de quoi, les Israéliens visiteurs ont été soumis à des questionnaires humiliants et discriminatoires.

C’est là qu’il faut rendre hommage à l’avocat Patrick Klugman, qui avec le Crif et la Chambre de Commerce France Israël, est parvenu en un temps record à faire annuler par le Tribunal de Commerce les effets de l’injonction présidentielle qui n’avait pas été documentée de façon formelle, puis, par la Cour d’Appel de Paris, à faire annuler la décision du Tribunal de Bobigny. 

Nous en sommes là, d’autres développements sont possibles. Aux dernières nouvelles, le Président du Tribunal de Bobigny ne s’est pas fait hara-kiri après un désaveu aussi massif ; les optimistes peuvent se rassurer que la justice ne soit pas totalement politisée mais nous ne sommes pas passés loin d’une flambée de colère de la communauté juive contre le Président en raison de ce qui a été perçu comme une initiative purement personnelle et maladroitement hostile. Eurosatory aura peut-être des conséquences négatives sur les votes de la communauté juive.
Cependant, si on en écarte les développements inattendus et vraiment nauséabonds, cette affaire n’est qu’un épisode des rapports rugueux, chaotiques et souvent blessants des gouvernements français avec Israël, qui masquent des relations sécuritaires, commerciales ou intellectuelles plus étroites que ce qu’on voit en surface. Plusieurs industriels israéliens ont d’ailleurs réagi avec philosophie sachant que leurs clients potentiels connaissent leur adresse.

Pour les français juifs, il s’agit de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Malgré les déceptions, l’engagement du Président Macron contre l’antisémitisme et même son tropisme pro-israélien sont réels. Ils sont d’ailleurs partagés par tous les partis de l’arc républicain modéré et un peu au-delà…
Comme la majorité des Français, je trouve la décision de dissolution aberrante. La gifle des européennes aurait été métabolisée rapidement et les Jeux Olympiques auraient vite occupé le devant de la scène. Quitte à dissoudre en raison du blocage des institutions, rien n’imposait de le faire en urgence si ce n’est le désir de théâtralisation de l’événement. Et dans ce fait du prince inattendu et spectaculaire, je trouve une analogie avec la décision désormais retoquée, beaucoup moins grave par ses conséquences, d’interdire sur un coup de colère la participation des entreprises israéliennes à Eurosatory.

Il est certain que le Président avait, en dissolvant, l’espoir que la gauche ne pourrait pas s’unir en raison de ses divergences criantes et que La France Insoumise (LFI) servirait de repoussoir électoral. On sait ce qu’il est advenu : les écologistes en panique ont couru chez Mélenchon et Olivier Faure les y a vite suivis, approuvé peu à peu en effet domino par la quasi totalité des dirigeants du Parti socialiste. Ceux-ci ont donc accepté un programme commun économiquement inviable et une subordination incompréhensible à LFI, devenu un parti  antisémite, alors même que leur score avait été largement supérieur aux dernières élections…

De l’autre côté de l’éventail politique, Emmanuel Macron pensait qu’il s’imposerait en rempart contre une extrême droite qu’il méprise intellectuellement et qu’il a déjà vaincue à deux présidentielles. C’était oublier que son aura de 2017 a disparu, qu’il est la cible d’une détestation populaire, que les électeurs ne changent pas à quelques semaines d’intervalle et qu’ils n’aiment pas être obligés de se répéter.
L’argument de rationalité sera-t-il convaincant pour écarter le risque d’une France sous tutelle du fait du programme économique du Rassemblement National (RN) ou du Front populaire ? Rien n’est moins sûr dans un pays travaillé par l’immédiateté, les écarts croissants de niveau de vie, le ressentiment qui va avec et l’exaspération devant un discours officiel ressenti comme incantatoire et impuissant contre les angoisses identitaires, le sentiment d’insécurité et le déclassement des services.
On ne joue pas le sort d’un tel pays sur un coup de dés et les apprentis-sorciers qui ont conseillé à Emmanuel Macron cette étrange initiative ont pris de lourdes responsabilités. 

Et en ce qui concerne la communauté juive, l’antisémitisme est minoritaire en France et le soutien à Israël est plus étendu que ne le suggère la lecture des médias et des réseaux sociaux. Mais cet antisémitisme est porté par une partie de la jeunesse, biberonnée à l’islamisme ou dévoyée par les idéologies victimaires à la mode. La question de leur avenir en France se pose désormais dans beaucoup de familles juives et le calvaire de l’adolescente victime d’un viol anti-juif à Courbevoie renvoie aux images du 7 octobre. 
Si le vote pour un Front populaire à la remorque d’un parti LFI devenu indiscutablement antisémite est exclu pour la plupart des Juifs, la question d’un vote en faveur du RN ne peut être esquivée. 
Aucune des voix respectées qui l’ont évoquée, comme Serge Klarsfeld, ne l’envisage au premier tour. L’hypothèse d’un second tour où le RN ferait barrage à un candidat Front populaire ne se posera pour les Juifs que dans de rares occasions, car ils habitent souvent des circonscriptions où le RN est mal implanté, à commencer par Paris. 
Dans un tel dilemme, voter pour Carole Delga ou François Hollande, ou ceux des socio-démocrates qui, quoi qu’on pense de leur ralliement à un regroupement aussi inquiétant, permettraient de garder le parti dans sa trajectoire historique, n’aurait pas la même signification que voter pour Manuel Bompard et son profil de Saint Just…

Pour le RN, on se fait des illusions en pensant que l’antisémitisme a disparu chez ses adhérents, même s’il est probablement le cadet des soucis de ses électeurs. Le RN garde ses gudards, soraliens, amateurs de quenelles et admirateurs de Bachar El Assad. C’est un fait, sous l’influence de sa présidente, l’expression antisémite est désormais bannie du parti et le discours sur Israël a été impeccable depuis le 7 octobre. On sait que le rejet de l’antisémitisme a aussi un caractère utilitaire : l’imprimatur de la communauté juive est utile au RN pour renforcer sa respectabilité dans cette partie de la France qui n’a pas oublié les ignominies de Jean Marie Le Pen. On sait aussi qu’un vote vote au premier tour affaiblirait l’axe républicain central dont le maintien est indispensable à l’équilibre démocratique du pays et que ce vote risque par ricochet de renforcer le poids de LFI en cas du prévisible échec économico-politique d’un RN qui pourrait gouverner après avoir obtenu la majorité absolue.
Venir au pouvoir comme sauveur de la République contre le fascisme est le rêve de Jean-Luc Mélenchon. Aussi absurde soit-il, ce n’est pas à nous de le favoriser, directement ou indirectement.


Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif


 

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