Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier – L’attentat contre l’Amia

25 Juillet 2024 | 135 vue(s)
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Buenos Aires, 18 juillet 2024, comme chaque année une sirène hurle dans la ville à 9h53 rappelant l’acte terroriste le plus grave de l’histoire du pays. Le 18 juillet 1994, un camion piégé avait provoqué 85 morts et 300 blessés. L’attentat visait le bâtiment de l’Amia, une organisation analogue au Fonds social juif unifié (FSJU) en France. C’était aussi, depuis la Shoah, le plus grand massacre de Juifs avant celui du 7 octobre 2023. Il est survenu quelques mois après la signature des accords d’Oslo, une période où la paix au Moyen-Orient semblait proche. Une preuve de plus que les terroristes n’agissent pas par désespoir mais avec un projet politique.
Cette année la cérémonie a une autre ampleur que d’habitude. C’est le 30ème anniversaire, le Président Javier Milei est au premier rang entouré de son gouvernement et des Présidents d’Uruguay et du Paraguay. On sait que la vérité sur l’attentat lui importe, des attentats faudrait-il dire, car celui qui avait frappé l’Ambassade d’Israël, en 1992 entraînant 29 morts n’a jamais été résolu non plus.

Il n’a pas manqué de malins, à l’époque, pour prétendre que c’étaient des Juifs qui, à l’instigation d’Israël et des États-Unis, avaient commis ces crimes pour pouvoir en accuser les musulmans, mais depuis trente ans tous les regards étaient tournés vers un seul commanditaire, l’Iran avec le Hezbollah comme opérateur. En avril 2024, pour la première fois, la Cour de cassation argentine a accusé l’Iran d’avoir perpétré un crime contre l’humanité ; en mai, il y a trois mois, la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme a accusé la justice argentine d’avoir entravé la découverte de la vérité. Le Président de l’Amia n’a pas mâché ses mots : « trente ans que l'État argentin détourne le regard, accumulant retards et erreurs ».

Ces trente ans de faux fuyants méritent d’être rappelés, tant ils dévoilent un système politique démocratique mais dévoyé.

Entre 1989 et 1999, donc à l’époque de l’attentat, le Président était Carlos Menem, un péroniste de droite, ultra-libéral, bon vivant, proche des États-Unis, cherchant à apaiser les conflits plutôt que de les aiguiser, de façon à mieux mener des affaires personnelles pour lesquelles il a été à plusieurs reprises accusé et parfois condamné pour corruption, tout en restant protégé par son immunité parlementaire de sénateur. Musulman d’origine libanaise, converti au christianisme pour faciliter sa carrière politique, il fut le premier président argentin à visiter Israël. Ayant rompu un contrat nucléaire avec l’Iran, il a prétendu que le Hezbollah avait assassiné l’un de ses fils. D’un autre côté, parmi ses amis proches, il y avait un homme d’affaires syrien qui aurait acheté le camion piégé et qui était en lien avec des employés particulièrement suspects de l’Ambassade iranienne. Une machination s’organisa pour ne pas poursuivre cette piste. Elle impliquait le premier juge chargé de l’enquête et les services secrets argentins. Des années plus tard, des fonctionnaires furent condamnés pour obstruction à la justice. Menem, lui, fut relaxé. Il est difficile néanmoins d’imaginer qu’il n’ait pas interféré avec le processus judiciaire qui fut détourné et bloqué dès sa présidence. Le motif pourrait en être la corruption ou le désir de protéger ses amis plus que l’idéologie…

Nestor Kirchner est devenu président en 2003. C’était aussi un péroniste, mais de gauche et cette orientation s’est accentuée avec son épouse Cristina, qui lui a succédé de 2007 à 2015, et a de fait continué de diriger le pays de 2019 à 2023 en tant que vice-présidente de l’insignifiant Alberto Rodriguez, un homme qui se disait convaincu de la culpabilité de l’Iran dans l’attentat tant qu’il n’était pas président et qui, une fois qui le devint, prétendit qu’il n’y avait aucune preuve de cette culpabilité…

Entre 2015 à 2019, le Président Mauricio Macri ne parvint pas à sortir l’Argentine de son marasme économique et les péronistes, appelés justicialistes, reprirent le pouvoir. Macri est aujourd’hui, comme son cousin le maire de Buenos Aires, l’allié de Javier Milei, ce président atypique, ami d’Israël, qui fait subir à son pays une thérapie de choc aux résultats encore incertains.

De plus en plus engagée dans la mouvance antiimpérialiste, Cristina Kirchner, conseillée par le vénézuélien Hugo Chavez, chercha à renforcer les liens commerciaux avec l’Iran et à se débarrasser de cette épine du pied qu’était l’attentat contre l’Amia. Il en est résulté un protocole d’accord entre les deux pays (non ratifié ensuite par l’Iran et dénoncé par Macri), suivant lequel, entre autres, les interrogatoires s’effectueraient en Iran même avec une coopération des deux pays à la « recherche de la vérité ». On croit rêver en lisant que l’Iran était supposé aider à l’enquête !

Ce protocole brillant, dont le maître d’œuvre du côté argentin était le ministre des Affaires Étrangères Hector Timmerman, fils d’un militant juif célèbre, emprisonné à l’époque de la dictature, souleva l’indignation de la grande majorité des Juifs d’Argentine. Ils le prirent pour une trahison visant à exonérer les Iraniens suspects d’avoir organisé l’attentat, tels Ahmed Vahidi, aujourd’hui ministre de l’Intérieur d’Iran, un des hommes les plus puissants du pays, et à leur éviter les mandats d’arrêt internationaux émis par l’Interpol.

Cette accusation fut développée par le procureur Alberto Nisman, en charge du dossier de l’Amia, qui déposa plainte contre Cristina Kirchner pour avoir organisé l’impunité des Iraniens. La veille de son témoignage à la Chambre des Députés, alors que comme par hasard, les dix policiers chargés de sa sécurité ne sont pas à leur poste, il est retrouvé mort, une balle dans la tête. C’était en janvier 2015, il y aura bientôt dix ans. L’enquête a confirmé en 2017 qu’il s’agissait bien d’un assassinat et non d’un suicide comme les milieux proches de la présidente le prétendaient. En 2023 la Cour de cassation a annulé l’acquittement dont avait bénéficié Cristina Kirchner à ce sujet. Reste à voir si celle-ci, qui fait face en outre à plusieurs accusations de corruption, sera jugée, mais Nisman, qui était Juif, a bien été la 86ème victime de l’attentat contre l’Amia.

Pour comprendre ce fait invraisemblable que la mise en cause de l’Iran, qui paraissait évidente dès les premiers jours de l’attentat, ait pu être esquivée pendant trente ans, il faut tenir compte de trois caractéristiques de l’Argentine qu’on ne peut qu’esquisser ici.

  1. L’Argentine, qui fut longtemps considérée comme un pays de cocagne, et dont l’évolution économique aurait pu être aussi brillante que celle des États-Unis, a été la victime de ses dirigeants politiques. Même lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir par la voie des urnes, ceux-ci ont très souvent choisi une politique de court terme et le péronisme est le symbole de ce système. Sous couvert de redistribution des richesses, il a affaibli le pays, il a renforcé le clientélisme, la corruption et la polarisation contre des boucs émissaires dont les États-Unis sont évidemment l’archétype. Qui s’oppose aux États-Unis s’oppose à Israël, et n’a pas de prévention contre une alliance avec le régime des mollahs iraniens, ennemi de l’un et de l’autre.
     
  2. Il existe en Amérique du Sud une très importante diaspora syro-libanaise. Une partie, notamment au Brésil, majoritairement chrétienne, est installée déjà depuis le XIXème siècle. Une autre partie est chiite. Un récent article de l’expert du FDD Emmanuelle Ottolenghi attire l’attention sur l’activisme de cette communauté au Brésil. Ces musulmans chiites sont volontiers installés dans des zones où circulent armes et trafics en tous genres, comme la triple frontière entre Argentine, Brésil et Paraguay. Ils sont un milieu de propagande privilégié pour le Hezbollah.
     
  3. L’Amérique latine et l’Argentine de Peron en particulier, a été la destination favorite des nazis en cavale après la guerre. Leur antisémitisme, leur négationnisme, leur totalitarisme se sont souvent colorés d’un agenda anti-impérialiste qui les a rendus très digestibles par certains militants ou dirigeants populistes. Pour ne parler que d’un récent passé, Chavez a eu longtemps pour proche conseiller, certains disent pour gourou, le nazi d’extrême gauche Norberto Ceresole et les Kirchner étaient liés à un activiste social bien connu en Argentine, Luis d’Elia, antisémite fanatique, négationniste et grand admirateur de l’Iran.

Ainsi se vérifie l’affinité potentielle d’une sensibilité sociale avec pouvoir charismatique totalitaire, anti-impérialisme et antisémitisme débridé.

Toute comparaison avec le chemin que suit aujourd’hui le Président du La France insoumise (LFI) n’engage que celui qui la fait…

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

 

 

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