Francis Kalifat

Ancien président

#Crif #VeldHiv - Mon discours à la cérémonie nationale commémorant le Vel d'Hiv

23 Juillet 2018 | 119 vue(s)
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France

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Antisémitisme

Vendredi 9 août 2024, s'est tenue la cérémonie en hommage aux victimes de l'attentat terroriste de la rue des Rosiers, organisée par le Crif en collaboration avec la Mairie de Paris. La cérémonie s'est tenue devant l'ancien restaurant Jo Goldenberg, au 7 rue des Rosiers. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé dans la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, en dénonçant notamment celle qui se cache derrière la détestation de l'Etat d'Israël.

À l'occasion des 80 ans du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), les membres du Crif ont été reçus à l'Élysée par le Président de la République, Emmanuel Macron, et Madame Brigitte Macron, lundi 18 mars 2024. Le Président du Crif, Yonathan Arfi, a prononcé un discours à cette occasion. 

Dimanche 14 janvier 2024, quelques mois avant les Jeux Olympiques Paris 2024, une délégation de sportifs et de dirigeants du monde du sport q"es, avec le Crif, pour un voyage de la mémoire dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, en partenariat avec le Mémorial de la Shoah.

 

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Discours de Francis Kalifat, Président du Crif, à la cérémonie nationale commémorant le Vel d'Hiv

22 juillet 2018

L’histoire est, avant tout, faite de la vie d'hommes et de femmes. 

Il était aussi impétueux qu’elle était pondérée. Elle était courageuse et engagée, il était déterminé et sans concessions.

A eux deux, ils ont incarné pour la France et bien au-delà de nos frontières, la mémoire de la Shoah mais aussi cette intelligence au monde si particulière qu’on appelle le génie français.

Claude Lanzman vient de mourir, Simone Veil vient d’entrer au Panthéon. Tous deux, chacun à leur manière, ont œuvré pour une société plus juste et toujours dans un souci de vérité. Leur combat est notre héritage   à tous.

Nous saluons ici la mémoire de ces deux grands humanistes, ces deux grands français.

 

Le roi Salomon dans Khoelet (l’Ecclésiaste) nous enseigne :

« Il y a un temps pour tout » 

« Un temps pour tuer et un temps pour guérir

Un temps pour pleurer et un temps pour rire »

Aujourd’hui, je veux ajouter à ces paroles pleines de sagesse: il y a un temps pour se souvenir.

Car les larmes des opprimés nul ne les console. C’est bien le sens de cette cérémonie aujourd’hui.

Concordance des dates, ce dimanche 22 juillet 2018, (lendemain du)  9 Av 5778 du calendrier hébraïque les juifs dans le monde entier, se souviennent et pleurent la destruction du second Temple de Jérusalem le 9 Av de l'an 70.

Destruction marquant le début de la dispersion et de l'exil physique et spirituel du peuple Juif.  

Concordance des dates, concordance des faits :

C'est un 9 Av aussi que le Premier Temple fut détruit.

C’est un 9 Av que les Juifs d’Angleterre furent chassés du Royaume en 1290

C’est un 9 Av que fut expulsée la communauté juive d’Espagne en 1492.

C’est un 9 Av qu’a débuté la Grande Guerre, celle qui fut si meurtrière et qui ouvrait la voie à celle de 39-45.

Et aujourd’hui c’est un 9 Av que nous considérons le destin tragique des 9037 adultes et 4115 enfants arrêtés le 16 et 17 juillet 1942 par la police française.

Le 9 Av est un jour de deuil dans la tradition juive et c’est un deuil pour nous de penser à ce vide abyssal qu’est la Shoah, ce trou noir où ont disparu ceux et celles qui ont payé de leur vie le seul fait d’être né juif.

 

Le Vel d’Hiv est une histoire française.

Le 16 juillet 1942 est une de ces journées qui ont défait la France. 

Une page noire rédigée à l’encre indélébile, sans gloire, et dont l’impact fut si retentissant qu’il a d’abord marqué un tournant dans l’écriture de l’histoire de notre pays entrainant un autre regard sur nous-même.

Le Président Emmanuel  Macron ici même l’an dernier a souligné que sa présence perpétuait « le fil tendu en 1995 par le Président Jacques Chirac ». 

Ses propos résonnent encore :

« Le gouvernement de Vichy n’était pas un accident de l’histoire de France, Vichy n’est pas né hors sol. »

L’antisémitisme, ou son corolaire l’antijudaïsme des années 30, était un code culturel.

Une opinion, qui permettait déjà en 1936 à Xavier Vallat, de s’offusquer publiquement dans l’hémicycle après la victoire du Front Populaire de Léon Blum que « Ce vieux pays gallo-romain soit gouverné par un Juif »

Le même Vallat qui, la tête du Commissariat général aux Questions Juives en 1941,  fut l’artisan de l’application du Statut des Juifs, pensait et clamait que « pour gouverner cette nation paysanne qu'est la France, il vaut mieux avoir quelqu'un dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol, plutôt qu'un talmudiste subtil. » 

Le Vendredi 10 juillet 1942, contrairement aux premières dispositions allemandes, Pierre Laval ordonne l’arrestation des enfants avec leurs parents invoquant je cite " une mesure humanitaire " 

Chacun connait les conséquences que cette décision entrainera pour les enfants :

4115 enfants arrêtés, 3900 seront déportés vers les camps de la mort, 6 seulement ont survécu.

Le jardin mémorial de la rue Nélaton, né de la volonté de Serge Klarsfeld, et inauguré l’an passé par le Président de la République leur rend hommage  et leur donne une sépulture. Leurs noms, prénoms, et âges y sont gravés pour toujours.

La situation des Juifs au cours de cette période est aujourd’hui connue et notre pays tient une position claire sur l’importance de la transmission et l’enseignement de l’histoire de la Shoah.

Dans la recherche permanente de cette vérité qui rassemble, n’oublions jamais ces Français élevés au rang de Justes parmi les Nations. Ils sont l’espoir forgé dans l’humanisme des Lumières sur lequel notre République s’est construite.

C’est cette étincelle d’humanité dans la nuit nazie, que je veux retenir.

Je veux saluer ici l’importance du travail accompli par le Mémorial de la Shoah, le CERCIL, le Camp des Milles, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et bien sûr par l’ensemble des associations mémorielles.

 

Chers amis, les douze mois qui nous séparent de la commémoration ici-même l’an dernier en présence du Président de la République ont démontré une nouvelle fois à ce qui en aurait douté que l’antisémitisme tue aujourd’hui encore en France.

Loin d’être relégué aux livres d’histoire, il reste malheureusement d’une sanglante actualité.

Comment ne pas évoquer aujourd’hui la mémoire de Mireille Knoll ? Son destin tragique est en soi un symbole : enfant, elle a échappé de justesse à la rafle du Vel D’Hiv, avant de mourir 76 ans plus tard, parce que juive, assassinée puis brûlée dans son appartement parisien, rattrapée par la haine antisémite.

Son sourire et son martyr ont marqué, je veux le croire, tous les Français. Par milliers, répondant à l’appel du CRIF,  ils sont descendus dans la rue pour manifester leur peine et dénoncer l’antisémitisme.

Je veux associer à son nom et son visage, ceux du colonel Arnaud Beltrame, victime héroïque du terrorisme islamiste – hasard symbolique du calendrier - le même jour que Mireille Knoll.

Puissions-nous garder leurs deux mémoires vivantes.

Le destin tragique de Mireille Knoll témoigne aussi du fil continu qui unit les différents antisémitismes, à la fois dans l’histoire des hommes et la géographie des idées. 

De l’antisémitisme chrétien historique à l’antisémitisme racial de l’Allemagne nazie et de Vichy, de l’antisémitisme antisioniste de l’extrême-gauche à l’antisémitisme religieux d’une partie du monde musulman, de l’antisémitisme de Dieudonné et Soral à celui de L'extrême droite, l’antisémitisme est    UN.

L’antisémitisme est UN aussi,  parce qu’il est toujours et avant tout, malgré les apparences ou les revendications, l’expression de la haine. C’est la haine de l’autre qui est première. Le reste n’est que tentative de justification.

Saisir cette unité profonde des antisémitismes n’empêche en rien de chercher à comprendre les spécificités de chaque période ou de chaque acte.

Et il est de notre rôle aujourd’hui de décrypter l’antisémitisme contemporain pour mieux le combattre.

C’est précisément ce que nous attendons de l’enquête en cours sur l’assassinat de Sarah Halimi. Comprendre les ressorts de cet antisémitisme « de l’air du temps », si ordinaire qu’il n’a plus conscience de ce qu’il est. 

Aux côtés des antisémites revendiqués, cohabitent donc désormais des antisémites tellement imbibés de préjugés, qu’ils ne perçoivent même plus la haine dont ils sont porteurs.

Nous avons pris connaissance du rapport de la deuxième expertise psychiatrique de l’assassin de Sarah Halimi, concluant à une abolition totale de son discernement. 

Nous ne comprenons pas l’obstination à vouloir réduire ce tueur à un dément alors que sa démence présumée ne saurait pour autant occulter l’antisémitisme haineux qui l'habite.

Nous espérons que la troisième expertise, diligentée par la juge d'instruction mettra enfin un terme à cette confusion, afin que le procès, que nous attendons, soit aussi enfin celui de l’antisémitisme qui tue, aujourd’hui en France.

Tout comme nous espérons, que le parquet et le gouvernement sauront prendre les mesures qui s’imposent après les propos antisémites de l’imam de la grande mosquée de Toulouse.

Il en va de la crédibilité de nos lois : elles doivent être appliquées.

 

Décrypter l’antisémitisme d’aujourd’hui impose aussi de regarder avec lucidité les spasmes de la pulsion antisioniste qui agite certains pans de la société française. 

Le Président de la République a rappelé ici-même avec force l’an dernier que l’antisionisme est bien «une forme réinventée de l'antisémitisme». 

A Dominique Vidal qui dans une tribune publiée dans Le Monde il y a quelques jours, affirme que l’antisionisme n’est porteur d’aucun antisémitisme et qu’il serait même un courant de pensée, je veux dire combien sa lecture des débats du monde juif du début du XXème siècle est non seulement un anachronisme dangereux mais aussi une naïveté coupable !

L’antisionisme est antisémitisme d’abord parce que, dans un monde à feu et à sang, son indignation sélective et obsessionnelle  n’est capable de se fixer que sur le seul Etat juif. 

L’antisionisme est antisémitisme car c’est en son nom qu’ont été attaquées synagogues et écoles juives. 

L’antisionisme est antisémitisme car il stigmatise un peuple entier dans un opprobre général.

L’antisionisme est antisémitisme parce qu’il mène des actions discriminatoires visant exclusivement Israël, voulant faire de cet état le Juif des nations.

Refuser aux juifs un état, concentrer sa haine sur ce seul état ou lui infliger un traitement à part c’est viser les juifs à travers Israël, c’est de l’antisémitisme.

Vladimir Jankelevitch disait ainsi : « L’antisionisme est une incroyable aubaine car il nous donne la permission, et même le droit, et même le devoir d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est permission d’être démocratiquement antisémite ».

Ainsi dans l’antisionisme aussi, la pulsion de haine est première et le reste n’est que tentative de justification.

Monsieur le Premier Ministre, nous, Français juifs, attachés à l’Etat de droit, avons besoin de l’engagement fort et déterminé de l’Etat contre ce nouveau visage de la même haine.

 

Mes chers amis survivants de la Shoah, c’est votre inlassable détermination qui a rendu au Vel d’Hiv une histoire puis une mémoire.

Comment concevoir, demain, la mémoire de la Shoah sans témoins.

Comment faire alors pour que la Mémoire ne se réduise pas simplement à l’histoire, dans une inscription aseptisée et lointaine. 

C’est cet immense défi auquel nous renvoient les disparitions progressives des derniers rescapés.

Je pense bien sûr à Samuel Pisar, Charles Palant, Elie Wiesel, Charles Baron, Claude Hampel, Henri Minczeles, Simone Veil, CharlesTestyler et bien sûr Claude Lanzman.

C’est leur démarche collective, renforcée de l’indispensable mobilisation militante et du minutieux travail des historiens qui a peu à peu ouvert les portes des écoles, des universités et des médias.

C’est leur démarche collective qui a ouvert, aux anciens déportés, les portes des consciences de nos compatriotes, pour faire connaitre leurs témoignages.

Il nous faudra ensemble demain, mais en fait dès aujourd’hui définir les modalités de cette Mémoire sans Témoins, et relever le défi d'être les témoins des témoins, les passeurs d'une mémoire inscrite pour l'éternité dans l'histoire du peuple Juif et de la nation française.

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