Jean-Pierre Allali
La Grande synagogue « Magen Avraham » de Beyrouth
Depuis le pogrom du 7-Octobre 2023 et les conflits que ce massacre a engendrés, les yeux du monde sont rivés sur le Liban en proie aux divisions internes et à l’emprise des terroristes du Hezbollah. Pour les Juifs de France, une question se pose : Y a -t-il encore des Juifs au Liban ? La réponse est étonnante : il y a quelques années, il existait encore une communauté juive au Liban ! On la croyait disparue, elle refaisait surface. En effet, un article publié par la Jewish Telegraphic Agency le 19 mai 2014, article repris le lendemain par la Newsletter du Crif titrait : « Réouverture de l'unique synagogue de Beyrouth ». Déjà, en mars 2010, on pouvait lire sous la signature de Pierre Sawaya sur un site pourtant peu favorable à Israël, ce titre : « La plus grande synagogue du Liban renaît de ses cendres ». Il s'agit, précisons-le, de la synagogue Magen Avraham située au cœur de la capitale libanaise, dans le quartier Wadi Abou Jamil, centre de la vie juive de la ville autrefois. Construite en 1926, grâce à la générosité de Moïse Abraham Sassoon, de Calcutta, elle a été l'objet de déprédations successives et de pillages au fil des péripéties du conflit israélo-arabe. Financée par des dons privés, notamment de Juifs libanais expatriés, la rénovation de cette synagogue s'inscrit alors dans un programme général d'aménagement d'une partie de Beyrouth. Selon le président de la communauté juive, Isaac Arazi, une centaine de Juifs vivaient encore au Liban, il y a dix ans. Pleins feux sur une histoire tourmentée.
On considère généralement que des Juifs se sont installés sur le territoire qui plus tard allait devenir le Liban dès le quatrième siècle avant J.-C.
On se souvient aussi que le roi Salomon envoya des ouvriers hébreux au roi Hiram de Tyr. Des traces avérées de la présence juive à Sidon et à Tyr datent du premier siècle de notre ère. Lors de la révolte juive contre les Romains entre 66 et 70, nombre de Juifs de Tyr rejoignirent les troupes de Jean de Giscala. Plus tard, en 614, lors de l'insurrection provoquée par l'arrivée des Perses, les Juifs de Tyr se soulevèrent, appelant à la rescousse leurs coreligionnaires de Damas et de Chypre.
Au début de la conquête musulmane de la région, les Arabes trouvèrent des alliés en la personne des Juifs. C'est ainsi que sous les Fatimides, un Juif, Manasseh Ben Ibrahim Ibn Qazzaz, fut nommé gouverneur de la Syrie et du Liban.
En 1071, la prise de Jérusalem par les Seldjoukides provoqua le départ de nombreux Juifs qui s'installèrent à Tyr. Lors de la Première Croisade, les Juifs libanais deviennent des sujets du Royaume latin de Jérusalem ou du Comité de Tripoli. Visitant le Liban en 1171, le fameux voyageur juif, Benjamin de Tudèle signale des communautés juives à Tyr, Sidon, Byblos, Baalbek et Tripoli. Plus tard, sous les Mamelouks, l'antisémitisme freine le développement de la communauté juive. En 1492, avec la politique de « purification ethnique » en Espagne, des Juifs, conduits par un certain Isaac Samuel Hacohen, quittent la péninsule pour s'installer à Beyrouth. Ils y introduiront la fabrication de la poudre. À la fin du 17e siècle, sous Fakreddine II Maan, deux Juifs, Isaac Caro et Ibrahim Nahmyas, furent de proches conseillers de l'émir. Au 18e siècle, la petite communauté de Saïda fut décimée par la peste. À la même époque, des Juifs s'installèrent à Hasbayah, fief de la famille Joumblatt. Ils étaient artisans, éleveurs ou encore agriculteurs.
En 1827, les Juifs de Beyrouth furent victimes d'un pogrom fomenté par des Musulmans. Vingt ans plus tard, ce sont des Chrétiens qui s'en prennent aux Juifs en lançant, en 1847, à Deir El Qamar, une accusation de meurtre rituel. Des troubles éclatent également en 1860, conduisant les Juifs de Deir El Qamar, de Hasbaya et d'Ein Zahalata à se regrouper dans des grandes villes : Beyrouth, Damas et Saïda. En 1888, tous les Juifs de Hasbaya prennent une décision historique en accomplissant leur alyah : ils s'installent à Rosh Pinah, en terre d'Israël, dans la colonie de peuplement fondée par le baron Edmond de Rothschild. C'est à la même époque que des Juifs algériens et des Juifs russes décident de s'installer au Liban.
Une école de l'Alliance Israélite Universelle voit le jour à Beyrouth en 1880 suivie peu après par l'ouverture de celle de Saïda. Avec l'instauration du protectorat français, la communauté juive prend de l'essor. La Grande Synagogue « Magen Avraham » est construite et les jours de Kippour et de Pessah sont déclarés fériés et chômés par les autorités. Il y a alors quelque 6 000 Juifs au Liban.
À la veille de la création de l'État d'Israël, on ne compte plus que 3 000 Juifs dans le pays du cèdre. Paradoxalement, la création de l'État juif a, pendant un temps, renforcé démographiquement la communauté juive libanaise. En effet, venus d'Irak et de Syrie, des milliers de Juifs ont choisi de se réfugier au Liban considéré alors comme « la Suisse du Proche-Orient ». Malgré la destruction par un attentat de l'école de l'Alliance en 1950 et la destitution, en 1952, de deux officiers juifs de l'armée, les Juifs libanais vivent dans une paix relative. Dès lors, en 1956, la communauté juive a plus que doublé et compte 7 000 âmes. Le miracle, hélas, ne dure pas longtemps. La guerre civile qui ravage le Liban en 1976 entraîne son lot d'exactions et d'inquiétude. La communauté juive se disloque et se désagrège. Les gens partent pour les États-Unis, l'Amérique du Sud, Israël, la Suisse et la France. En quelques mois, il n'y a plus que 1 000 Juifs au Liban. Au fil des ans, on constate quelques retours encouragés par la perspective, qui n'aura qu'un temps, de la signature d'un traité de paix avec Israël. Mais la disparition de la communauté est inéluctable. En 1981, il n'y a plus que 200 Juifs au Liban.
Les années 1980 vont être celles de l'horreur : enlèvements, meurtres, chantages...
En 1983, la dernière juive de Saïda, madame Lévy, quitte la ville.
En juillet 1984, le corps sans vie du propriétaire d'un magasin d'appareils électriques, Raoul Sobhi Mizrahi est retrouvé sur une plage près de Beyrouth. Au cours des deux années suivantes, dix autres Juifs sont enlevés : le président de la communauté, Isaac Sasson, le docteur Élie Hallak, vice-président, Selim Mourad Jamous, secrétaire ainsi qu’Élie Srour, Henri Mann, Judas Beniste et ses deux fils, Youssef et Ibrahim, Haïm Cohen Hallala et Isaac Terrab. L'organisation des « Opprimés de la Terre », proche du Hezbollah, revendique ces enlèvements. Trois corps suppliciés sont retrouvés peu après. Ce sont ceux de Youssef Beniste, Élie Srour et Henri Mann. L'affaire des sept otages du Liban qui fera la Une des journaux pendant de longs mois commence. On retrouvera bientôt les corps de Haïm Cohen Hallala et de Isaac Terrab.
En janvier 1987, l'annonce de l'exécution de Judas Beniste parvient en France suivie de celle d'Isaac Sasson.
Depuis, le judaïsme libanais s'est peu à peu vidé de ses membres. Nombre d'entre eux ont rejoint le Canada, les États-Unis, la France et Israël.
Comme on le sait, le Liban et Israël sont officiellement en guerre et n'entretiennent évidemment pas de relations diplomatiques. On aurait pu penser que les Jeux Olympiques de Rio, au Brésil, en 2016, soient une occasion de sérénité. Les sportifs libanais ne l'ont pas voulu. Ils ont en effet empêché la délégation israélienne de partager un bus qui devaient les conduire au lieu de la cérémonie d'ouverture. À la suite de cet incident aussi fâcheux que symptomatique, le président du CIO a vivement admonesté les responsables libanais, les avertissant que ce type d'incident ne serait plus toléré aux Jeux. Le chef de la délégation libanaise, Salim al-Hajj Nakouba, s'est retranché derrière un motif peu crédible de « malentendu ».
De bons et de mauvais épisodes, donc ces dernières années. Avec l’extension du conflit actuel, il est probable qu’il n’y ait plus aucun Juif au Liban dans un avenir proche.
Jean-Pierre Allali, vice-Président mondial de la JJAC
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