Président du Crif Marseille Provence
Il aimante micros et caméras en occupant l’espace médiatique. Les journalistes adorent ce type d’individu. C’est le « bon client » qui clive et polarise l’attention. Aussi ne le lâchent-ils plus. En quête d’un mot vachard, d’une déclaration outrancière, d’une saillie qui ferait polémique, ils lui courent après. Et Eric Zemmour, ravi, s’en donne à cœur joie. Connaissant les ficelles du métier, il exploite à fond la tribune qu’on lui offre tous les jours de la semaine y compris le week-end, sous le regard médusé d’une classe politique marginalisée. Malin, rusé, il joue et surjoue de cette faveur insigne. Sillonnant l’Hexagone, toujours suivi de la meute, il semble prendre beaucoup de plaisir à « turbuler le système », comme le disait naguère Jean Pierre Chevènement.
Son irruption sur la scène politique nationale a laissé pantois les observateurs. Pour trouver un cas semblable, certains commentateurs ont évoqué Pierre Poujade et la révolte en 1953 des petits commerçants contre les grandes surfaces ; mais le papetier de Saint-Céré, dans le Lot, avait été le chef d’un mouvement politique et syndical très influent. D’autres ont comparé Zemmour à Emmanuel Macron, en oubliant que celui-ci, d’abord conseiller de François Hollande à l’Elysée, puis ministre de l’Economie et des Finances, avait mûri sa candidature lorsqu’il devint évident que le chef de l’Etat, contesté par les frondeurs du PS et déstabilisé par de mauvais sondages, ne pouvait se représenter. Macron publiait alors son programme, et créait le mouvement En Marche, contraction de ses initiales EM. On connait la suite …
Rien de tout cela chez Zemmour. Journaliste et essayiste, il s’était fait connaitre par des chroniques dans des journaux, des prestations à la télévision, et des livres à succès. Dans les débats, il s’imposait par sa pugnacité, son franc-parler, en dynamitant le carcan qui corsetait les sujets tabous ou sensibles : l’immigration de masse et le droit d’asile généreusement accordé par tous les gouvernements depuis 40 ans. Pour lui, ces faits sont à l’origine du malaise existentiel français. En développant sans fard ses idées, il percutait dans l’opinion, laquelle adhérait d’autant plus à ses propos que l’actualité se nourrissait d’attentats sanglants, de trafics en tous genres dans des zones de non-droit, d’histoires de migrants clandestins arrêtés mais jamais expulsés.
Ainsi dressait-il le constat d’une France submergée par les vagues migratoires. Disruptif et sans nuances, il popularisait le concept de Grand remplacement, synonyme de l’islamisation du pays. Bref, Zemmour tricotait des mots pour soigner les maux d’une Nation menacée dans son identité. Dialectique bien rodée, fleurie de citations car l’homme, fin lettré, connait ses classiques et n’hésite pas à convoquer, pour le besoin de sa démonstration, Napoléon et de Gaulle, ses deux idoles. Nostalgique d’une France rayonnante, Zemmour déplore une fierté nationale qui s’étiole, une civilisation qui se désagrège, et un peuple français qui a perdu le sens de la grandeur.
Révisionniste
Mais l’on ne traite pas de tous les sujets, parfois au débotté, sans déraper. Et c’est paradoxalement sur son terrain de prédilection, l’Histoire, en l’occurrence celle de l’Occupation nazie et de Vichy qu’il surprit son auditoire, un soir de grande écoute, en disculpant Pétain de la déportation des juifs français, semant confusion et effroi dans notre communauté. Comment lui, Zemmour, juif d’Algérie, pouvait dire une chose pareille ?
Cette vision flatteuse du rôle de Pétain est évidemment fausse. Elle contrevient aux recherches historiques menées depuis un demi-siècle, à commencer par celle de l’historien américain Robert Paxton. Elle ne tient pas la route parce qu’elle s’inspire d’un mythe, celui du « glaive et du bouclier », accréditant l’idée que de Gaulle et Pétain, de connivence d’esprit, défendaient ensemble – on ne sait d’ailleurs sur quel registre ni dans quel domaine ! - le pays sous la botte nazie. En tout cas, elle est rigoureusement démentie par Laurent Joly, auteur du livre « L’Etat contre les Juifs » (Grasset, 2018) qui répond judicieusement à Zemmour, point par point. Pour Joly, le prétendu « rôle salvateur » de Pétain est non seulement « absurde » mais « indécent ». « On touche là, dit-il, à ce que le révisionnisme zemmourien a de plus insupportable : relativiser la politique antijuive de l’été 42 et l’entreprise nazie d’extermination des juifs. » L’historien est formel : l’expulsion des étrangers, juifs ou pas, n’était pas organisée de sorte qu’elle se pratiquait systématiquement dans les wagons à bestiaux. Il y a bien eu un traitement spécifique des juifs en France par le régime de Vichy, et assurer le contraire relève du révisionnisme.
En fait, comme certains l’ont relevé, Zemmour est un assimilationniste, un fervent de l’enracinement. C’est pourquoi, au prétexte de refuser l’enfermement communautariste, il se dit « Français juif » et non « Juif et Français ». C’est dans le récit national qu’il s’insère, en oubliant que la loi Crémieux du 24 octobre 1870 avait francisé les 37 000 juifs qui vivaient alors en Algérie ! Et que cette loi Crémieux avait été abrogée le 7 octobre 1940 par Vichy !
Nouveau Saint-Sébastien
Le voilà maintenant rêvant d’un destin national à la Trump. Son envolée dans les sondages l’a lui-même surpris. Monté trop haut, trop vite. Mais il s’y maintient, crédité de 17% contre 16% à Marine Le Pen, s’érigeant ainsi en rival d’Emmanuel Macron pour le second tour des présidentielles de 2022. Mais rien n’est acquis. A six mois des élections, le chemin est long et semé d’embûches. Selon une étude du Cevifop pour Le Monde, publiée dans le « JDD » du 31 octobre, les femmes se détournent de lui, et, à droite comme à gauche, les partis politiques s’ingénient à briser son ascension. Criblé de flèches, ce nouveau Saint-Sébastien suscite les sarcasmes des adversaires qui l’attaquent frontalement, quand il propose, par exemple, la suppression du permis à points, se faisant même traiter de « guignol » par Mme Hidalgo, candidate déclarée à la présidentielle.
De tout cela, Zemmour n’en a cure. Croyant à sa bonne étoile (« cette fois les planètes sont bien alignées », dit-il) il conforte chaque jour son maillage territorial, et ses réseaux de supporters se densifient en se multipliant. Partout il fait salle pleine. Aussi, le diaboliser est une erreur. On ne combat efficacement que par la Raison. Dans l’esprit de la Ve République, ce sont les partis politiques qui animent la vie démocratique. A eux d’apporter des solutions inhérentes à l’insécurité et à l’immigration, préoccupations réelles des Français, au lieu de les déléguer par incurie aux extrêmes, qui s’en sont emparés et qui les exploitent sans vergogne. Certains l’ont enfin compris. « Zemmour hystérise les débats. Il fracture au lieu de rassembler. Je n’aime pas sa façon de réécrire l’Histoire, » estime le modéré Gérard Larcher, président du Sénat.
Il est donc erroné de croire que Zemmour est un homme seul lancé dans un audacieux pari de conquête du pouvoir, même s’il ne coche pas toutes les cases pour être propulsé au sommet de l’Etat. Pour l’heure, 57% des Français ressentent un rejet à son égard, et deux électeurs sondés sur trois estiment qu’il n’a pas l’étoffe d’un chef d’Etat.
Bruno Benjamin