L'historien Laurent Joly publie un nouvel éclairage sur la collaboration de la France occupée à la déportation des juifs. Une œuvre magistrale.
L'historien Laurent Joly publie un nouvel éclairage sur la collaboration de la France occupée à la déportation des juifs. Une œuvre magistrale.
Ces derniers mois, quelques rares polémistes assènent sans la moindre précaution et sans aucune nuance que «Pétain a sauvé des juifs.» Ils reprennent ainsi l’argument des défenseurs de Vichy, destiné «à justifier et réhabiliter Pétain», selon l’historien Denis Peschanski. Des arguments qui indignent donc particulièrement les historiens.
Dans L’Express (24 septembre 2018), l’historien Laurent Joly commente cette polémique, en ces termes : « Nous vivons une période de confusion et de régression. La parole de l'historien est moins audible. Dans les années 1970, quand Robert Paxton publie La France de Vichy, ses travaux s'imposent profondément dans l'opinion. Aujourd'hui, c'est un polémiste comme Éric Zemmour qui phagocyte le discours sur Vichy, donnant un air de nouveauté péremptoire à de vieux clichés (la théorie "du glaive et du bouclier") et parsemant sa relecture de l'histoire de France de fake news de son cru (ainsi une "première rafle du Vel d'Hiv" sous la Troisième République !) (1) ».
Pour rappeler le contexte et l’analyser minutieusement, l'historien Laurent Joly, directeur de recherche au CNRS, publie « L'Etat contre les juifs » (Grasset), qui éclaire d'un jour nouveau la collaboration de la France occupée à la déportation et à l'extermination des juifs. « L'ambition de mon livre vise donc à offrir des réponses claires et étayées aux principales questions que l'on se pose sur Vichy et la Shoah (2) », résume ce spécialiste de l’antisémitisme français pendant la Seconde Guerre mondiale, auteur d’ouvrages sur les figures de cet antijudaïsme français.
Premier objectif de l’historien ? Rendre compte, de manière claire et étayée, des recherches parues ces trente dernières années sur le sujet.
Autres objectifs ? S’atteler à définir/retracer/analyser les origines du premier statut des Juifs de Vichy d’octobre 1940 ; la mise en œuvre de la rafle du Vel d’Hiv (acteurs de cette opération, marges de manœuvre, différences d’un arrondissement à l’autre, etc.); et aussi l’épuration des responsables et agents de la politique antisémite à la Libération, mais pas exclusivement, bien évidemment.
Résumons : Comment les efforts de Vichy pour «harmoniser» les zones inoccupées («libre») et occupée n'ont fait qu'empirer les choses? Comment la rafle du Vel' d'Hiv a-t-elle été organisée et mise en œuvre? Vichy a-t-il délibérément sacrifié des juifs étrangers pour sauver des citoyens français? Que pouvait-on savoir à l'époque sur le sort des juifs déportés? Avec quel mélange d'obéissance, de routine, de zèle antisémite et de résistance les fonctionnaires de Vichy ont-ils adopté des mesures anti-juives ? Enfin, la purge d'après-guerre a-t-elle négligé les responsables du sort des juifs ?
Ce livre est donc une synthèse, mais une synthèse remarquable.
Pourquoi? Parce que Laurent Joly livre permet de faire le point sur un certain nombre de questions, de l’adoption du statut des juifs jusqu’à la poursuite après-guerre des responsables de l’antisémitisme d’Etat, en passant par le degré de connaissance de la « solution finale.» A bien des égards, le présent ouvrage se situe dans la continuité des travaux de Paxton, Marrus (1), Klarsfeld, et ceux, précurseurs de Joseph Billig (2), explique l’auteur. Le livre est aussi un essai fondé sur des recherches inédites. La grille d’analyse est, pour l’essentiel la même, écrit Laurent Joly (p.11), qui ajoute que le choix de la collaboration par Vichy, sa volonté d’inscrire la France dans une Europe durablement dominée par le Troisième Reich expliquent fondamentalement ce qui se passe : « La Collaboration n’était nullement une politique de sauvetage. » La formule ancienne, de Billig n’a rien perdu de sa pertinence.
Et de conclure : « Que tant de Juifs – 76.000, dont plus de 40.000 entre juin et novembre 1942 – aient été victimes de la « solution finale » en France constitue un bilan désastreux. Environ 16% des juifs français en 1940 ont été déportés, contre 40% des juifs étrangers. Sur le total des 74.150 déportés, on compte un tiers de nationaux. Durant la deuxième année de l’Occupation, les juifs français sont assurément majoritaires (nous avons relevé 47% de juifs nés en France). Mais, en contribuant à leur déportation, Vichy cédait à l’occupant, à l’instar de L’Italie en 1943 ou de la Hongrie en 1944. Son intention n’était pas de déporter les juifs français de « vieille souche. » En revanche, elle était bien de se débarrasser des juifs étrangers (pp.235-236).
A lire absolument.
Notes :
1) Propos recueillis par Yoann Duval, "Vichy n'a jamais été un moindre mal", L’Express, 24 septembre 2018.
2) Idem.
3) En 1981, les historiens américain et canadien Robert O. Paxton et Michaël Marrus publiaient « Vichy et les Juifs ». Un livre qui avait fait date car il mettait en lumière les responsabilités propres à l'État français dans la persécution des juifs de France. En 2015, « Vichy et les Juifs » est réédité chez Calmann-Lévy dans une version revue et augmentée. Au terme de leur démonstration, les conclusions de Robert Paxton et de Michaël Marrus sur les responsabilités propres de l’État français dans la persécution des juifs de France sont sans appel : les juifs de France ont plus souffert à cause de Vichy. Autrement dit, sans la politique propre de Vichy, il y aurait eu moins de morts.
4) Joseph Billig est un historien français d'origine russe, qui participe à l'organisation du centre de documentation juive contemporaine (CDJC), envoyé en mission au procès de Nuremberg. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le Commissariat général aux questions juives (CGQJ) et sur l'Institut d'étude des questions juives (IEQJ).