Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier – Quelques paradoxes de la campagne électorale américaine

31 October 2024 | 88 vue(s)
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L’élection présidentielle américaine évoque par ses conséquences éventuelles celle de 1940, qui vit la victoire de Franklin Roosevelt sur le Républicain Wendell L. Willkie. Ce dernier était un candidat parfaitement honorable et après sa défaite il participa à l’engagement américain dans la guerre. Cependant il était en 1940 soutenu entre autres par une coalition pacifiste et pronazie dont la figure de proue était le célèbre Charles Lindbergh et dont le slogan, America First a été repris par Donald Trump qui se désintéresse certainement de ce passé sulfureux.

Prenant à rebours l’interventionnisme du Parti Républicain de Nixon, Reagan et encore plus des néoconservateurs à l’époque de George W. Bush, Trump prône un désengagement de tous les terrains où les États-Unis ne sont pas directement mis en danger. Les Européens craignent pour le bouclier de l’Otan, les Ukrainiens s’angoissent des connivences avec Poutine, la majorité des Israéliens ne sont pas inquiets.
C’est que Trump, contrairement à certains de ses partisans, contrairement à son précurseur et en quelque sorte son modèle, s’il en a un (il n’en a pas, les vaincus sont pour Trump des losers méprisables, y compris les soldats américains morts au combat…), le paléo-conservateur Patrick Buchanan, et contrairement à presque tous les isolationnistes de l’histoire américaine n’a jamais manifesté d’antisémitisme au cours de sa carrière et a montré au cours de sa présidence un soutien très solide à l’État d’Israël et beaucoup d’Israéliens, à tort ou à raison, pensent que cette alliance est inébranlable et ne sera pas soumise aux mêmes injonctions et réserves que celle avec Biden. Trump a déclaré, avec le sens de la nuance et la connaissance de l’histoire qui le caractérisent, que le jour de sa victoire serait le plus grand jour de l’histoire d’Israël.
Lui-même a eu des déclarations douteuses sur l’argent juif au cours de cette campagne mais ses partisans eux-mêmes déclarent qu’il ne faut pas prendre ses paroles au pied de la lettre. C’est une litote. En tout cas, les résidents de Springfield, qu’il a accusés de manger des chiens et des chats, ne devraient donc pas non plus en prendre ombrage…

 

Les élections présidentielles américaines sont elles-mêmes un paradoxe pour ceux qui pensent, comme en général dans notre France centralisée, qu’une voix est une voix.
Aux élections de 2016 où Hillary Clinton n’a pas discuté sa défaite, elle avait près de trois millions de voix de plus que Trump.
En l’an 2000, l’élection s’est jouée en Floride où, au terme d’un recomptage interminable, la Cour suprême a déclaré George W. Bush vainqueur avec une avance minuscule de 537 voix. Il avait 500 000 vox de moins au plan national que son rival Al Gore, qui a accepté sa défaite. Au vu des antécédents de l’an 2020 et des déclarations actuelles de Trump, ce fair play ne risque pas de se reproduire.

 

Ce système électoral particulier des grands électeurs d’un parti qui emporte toute la délégation de cet État que le score dans cet État soit serré ou non, fait que presque partout sur la côte est ou la côte ouest des États-Unis, il n’y a aucun suspense : les électeurs, que, pour flatter ses partisans, Trump appelle avec mépris « les élites costales », voteront pour Kamala Harris. C’est le contraire dans beaucoup d’États continentaux. C’est sur sept États indécis, les « swing states » que s’est concentrée la campagne. Ici, chaque vote compte…

Parmi eux, la Pennsylvanie, où les grandes villes votent démocrate et les comtés ruraux sont républicains. Kamala Harris a donc dû changer sa position sur la fracturation hydraulique, dans cet État grand producteur de gaz naturel.

Mais c’est le Michigan, avec ses dix-neuf grands électeurs, cinquième État le plus peuplé des États-Unis qui inquiète particulièrement. La population arabo-musulmane, souvent d’origine libanaise, y est particulièrement importante, 250 000 électeurs, (il y a 100 000 électeurs juifs), et le thème de la guerre à Gaza et au Liban est pour eux un enjeu électoral puissant... Rachida Tlaib, membre particulièrement virulent contre Israël de la « Squad », ce petit groupe de représentants démocrates situés à la gauche du parti et tous hostiles à Israël, est une élue du Michigan et on a entendu à Dearborn, capitale musulmane des États-Unis, des déclarations incendiaires contre Israël. Elles n’ont pas été sanctionnées, premier amendement oblige et les autorités de l’État qui avaient manifesté leur solidarité avec Israël après le 7 Octobre sont devenus beaucoup plus évasives sur le sujet devant les protestations des électeurs musulmans. Ceux-ci se rêvent en faiseurs de roi de l’élection présidentielle et le paradoxe est que beaucoup d’entre eux sont furieux du soutien de l’administration Biden à Israël. Ils menacent par rétorsion de s’abstenir, ou même de voter Trump, ce qui a probablement un rôle dans les récentes déclarations de la candidate démocrate, qui ont choqué à juste titre beaucoup d’amis d’Israël.

 

Une telle bascule, une sorte de courte échelle des extrémistes à celui qui est leur ennemi le plus évident, apparait paradoxale mais est au fond assez banale en politique.

 

En dehors de l’inflation dont Trump n’a pas expliqué comment il en viendrait à bout par des réductions d’impôts, l’économie n’a pas été un thème majeur du débat. Les bonnes nouvelles que sont une croissance robuste et un marché du travail dynamique, n’ont étonnement pas vraiment impacté la campagne de Kamala Harris.

Trump, en revanche, outre l’immigration et l’insécurité, a trouvé un thème magnifique avec la transidentité tellement et si absurdement mise en avant. Elle angoisse les familles, déstabilise des jeunes et permet de vitupérer contre les soi-disant élites déconnectées du réel et rendues folles par l’idéologie woke. La philosophe Judith Butler fait ainsi en quelque sorte voter pour Donald Trump, tout comme Mélenchon fait par ses excès voter pour Marine Le Pen.

En l’an 2000, le candidat écologique, Ralph Nader, ayant neutralisé les voix qui sans sa candidature seraient allées au démocrate Al Gore, a permis l’élection du Républicain George W. Bush. Le vrai paradoxe, c’est que quelques années plus tard Al Gore recevait un Prix Nobel, (peu mérité d’ailleurs mais c’est une autre histoire,) pour son action très écologique de mise en garde contre le changement climatique…

 

Après avoir vu le débat où Kamala Harris avait littéralement ridiculisé Donald Trump, j’ai pensé que les jeux étaient faits. Je me suis trompé. Kamala Harris est aujourd’hui à la peine et Trump est le favori des sondages. La communauté juive américaine n’est pas responsable de ce changement de tendance, bien que les freins américains aux initiatives israéliennes contre l’Iran aient fait oublier en grande partie que Biden n’avait pas abandonné Israël quand Israël a eu besoin de son aide.

Non, bien que tous les témoignages dépeignent Trump comme un narcissique inculte, indifférent à la vérité, humainement insupportable et politiquement inquiétant, le noyau dur de ses partisans ne l’abandonne pas. Ils ressentent les attaques contre leur chef comme des attaques contre eux-mêmes : car il est devenu l’incarnation de leur moi collectif, et ils les renvoient à leurs auteurs dans une inversion accusatoire. Kamala Harris fait l’erreur d’accuser Trump de fasciste, et ils ont beau jeu à la traiter elle-même de fasciste. C’est le phénomène mystérieux du charisme.

Trump est leur homme, sauvé miraculeusement de la mort à Butler, Michigan, et reprenant, poing levé et visage ensanglanté, un combat qu’ils pensent être le leur. Ceux qui veulent lui nuire doivent être défaits. À tout prix…

Mais de ce combat, la vérité sort profondément malmenée… aussi malmenée que par les billevesées de ses ennemis emblématiques, les tenants de l’idéologie woke…

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

 

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