Ancien Président du CRIF
Nous avons, du débarquement allié, les images héroïques de combats d’où les civils sont absents. Mais le 6 juin, il y eut aussi de violents bombardements sur des villes normandes comme Vire, Coutances ou Lisieux dans le but explicite que les destructions puissent retarder l’arrivée des renforts allemands. Les semaines suivantes, car la bataille de Normandie a duré trois mois, ce fut le tour du Havre, de Caen, Rouen ou Évreux... Des milliers de morts dans la population civile et des motivations militaires pas toujours évidentes. Cela ne retire évidemment rien au bien fondé du Débarquement. Ceux qui ont protesté alors le plus haut n’étaient pas des organisations pacifistes, mais des collaborateurs du nazisme.
Le Mur de l’Atlantique, la massive défense littorale construite par l’Organisation Todt, n’était pas achevé et les informations, fournies notamment par la résistance française, ont permis de bombarder les installations, mais là où celles-ci sont restées intactes, comme à Omaha Beach, le débarquement a été sanglant. Parmi les 150 000 soldats, anglais, américains ou canadiens qui ont débarqué le matin du 6 juin 1944, 4 500 environ sont morts sur les plages.
La résistance a beaucoup aidé les Alliés, mais seuls les 177 Fusiliers Marins du Commando Kieffer ont débarqué le 6 juin et il faut attendre le 1er août pour que la 2e DB de Leclerc arrive en France. Le 15 août en revanche, la première armée française est présente dès les premières heures du débarquement de Provence. En six semaines la France a effacé aux yeux des Alliés son image de pays collaborateur du nazisme, alors même que la Milice continuait de sévir.
Il y a cinq ans, sur les plages de Normandie, l’américain Tom Rice a sauté en parachute à 98 ans, comme il l’avait fait dans la nuit du 5 au 6 juin 1944. Aujourd’hui, les quelques survivants viennent en chaise roulante. La page est tournée, mais n’oublions jamais que si le débarquement allié avait été un échec, l’Europe pour laquelle nous allons voter aurait une toute autre allure qu’aujourd’hui, qu’il n’y aurait pas de radio juive pour en parler et, surtout, pas de Juifs pour l’écouter.
L’accueil enthousiaste fait par la population à de Gaulle à Bayeux le 14 juin, puis la rapidité avec laquelle celui-ci a mis en place une administration efficace des zones libérées l’ont rendu incontournable et ont peut-être évité une mise de la France sous tutelle américaine. Mais après la guerre, les séquelles de l’animosité personnelle profonde de Roosevelt envers de Gaulle ont pesé ‒ et pèsent peut-être encore ‒ sur la politique extérieure française. On voit aujourd’hui avec Biden et Netanyahou que les relations humaines entre dirigeants ont aussi leur importance…
À 1 500 kilomètres de distance des plages du Débarquement, c’était un jour comme un autre à Birkenau. Entre 6 et 8 000 Juifs étaient gazés ce mardi 6 juin, comme la veille et comme le lendemain, bien plus chaque jour que de soldats morts sur les plages de Normandie. Les Alliés étaient au courant : le rapport Vrba-Wetzler du 27 avril, du nom des deux Juifs évadés d’Auschwitz, qui décrivait avec précision l’extermination des Juifs, était à la disposition des responsables américains. Les services de photographie aérienne possédaient par ailleurs des photos qui n’avaient intéressé personne sur les installations de Birkenau. Des bombardements susceptibles de freiner l’extermination étaient techniquement possibles. Désormais l’Agence juive aussi les réclamait, elle qui y avait été longtemps réticente. Mais le programme ne fut pas modifié : il donnait la priorité au bombardement de tout ce qui pouvait aider l’effort de guerre allemand. Entre le 15 mai et le 9 juillet, 350 000 Juifs hongrois ont été assassinés. Je ne pense pas que cela ait été un détail de l’histoire…
Le 6 juin, où en étaient les autres fronts ? Rome avait été libéré deux jours plus tôt après la difficile bataille de Monte Casino, mais l’Italie était désormais un terrain de campagne secondaire.
Sur le front de l’Est, en revanche, les Soviétiques venaient de finaliser leurs plans pour l’opération Bagration. Presque concomitante à la campagne de Normandie, mais complètement éclipsée par celle-ci dans la mémoire de l’Occident, Bagration est considérée par plusieurs experts comme la plus grave défaite allemande de la guerre.
En fixant les réserves allemandes, il est indéniable que l’URSS a contribué au succès, qui fut long à se confirmer, de la campagne de Normandie. Pourtant Poutine n’a pas été invité en Normandie, alors que Zelensky est présent.
Cette non-invitation est normale. Les médias russes accusent continuellement les Ukrainiens d’être des nazis. Or, tous les témoignages indépendants concordent sur la faible influence aujourd’hui de l’idéologie nationaliste de type bandériste, d’après le nom de son chef le plus connu, Stefan Bandera, cette idéologie qui a effectivement conduit ses émules à l’alliance avec les nazis et à une responsabilité accablante dans certains des pires crimes commis contre les Juifs pendant la guerre. Traiter les dirigeants ukrainiens d’aujourd’hui de nazis n’est pas une opinion, c’est une diffamation. Et nous qui entendons tous les jours Israël se faire traiter d’État nazi, nous savons comme cette diffamation est ignoble...
L’homme qui pendant presque deux ans a été le meilleur allié de Hitler et qui aurait volontiers continué ce compagnonnage si le Führer n’avait pas envahi son pays le 22 juin 1941 s’appelait Joseph Staline et c’est un des maîtres à penser de Poutine. Tous les témoignages concordent sur la stupéfaction de Staline quand le pacte qu’il avait conclu avec Hitler a été violé par celui-ci. Cette partie de l’histoire est aujourd’hui entièrement occultée en Russie au profit de l’exaltation, glorieuse, terrible et d’ailleurs en grande partie vraie aussi, d’une URSS qui aurait porté l’essentiel de la lutte contre le nazisme.
Staline, qui n’était pourtant pas un naïf, a appris à ses dépens et plus encore aux dépens de son pays, qu’il était dangereux de se fier à une alliance avec le nazisme. C’est peut-être ce qu’apprendront un jour ceux qui font les yeux doux au nazisme d’aujourd’hui, à savoir l’islamisme des Frères Musulmans. L’ancien laïcard Jean-Luc Mélenchon croit qu’il est malin de s’acoquiner avec eux, malgré l’absolue contradiction entre leurs idéologies. Il devrait y réfléchir à deux fois...
Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif
- Les opinions exprimées dans les billets de blog n'engagent que leurs auteurs -