Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Billet de Richard Prasquier - Il y a un autre Emmanuel, rencontre avec des catholiques

18 Juillet 2024 | 262 vue(s)
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France

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Imanou El : Dieu est avec nous. Ce nom sera donné, écrit le prophète Esaïe, par une vierge au fils qu’elle aura enfanté, et celui-ci saura plus tard repousser le mal et choisir le bien. Un verset célèbre dans le monde chrétien car l’évangéliste Mathieu l’a cité en décrivant la naissance de Jésus…

« Dieu avec nous », dit la tradition juive, c’est un encouragement à espérer, à une époque où le royaume de Juda, avec Achaz, son roi impie, risque de s’effondrer. « Dieu avec nous », c’est le signe d’une présence divine incarnée parmi les hommes, dira la tradition chrétienne.

 

Le terme Emmanuel, loin de n’être que le prénom d’un Président de la République, est donc au foyer d’un christianisme installé sur ses origines juives.

 

C’est aussi le nom que s’est donné une communauté charismatique catholique née à Paris il y a une cinquantaine d’années au sein d’un petit groupe de prières de laïcs et devenue aujourd’hui une des branches les plus dynamiques de l’Église catholique de France. À Paray-le-Monial, ville de pèlerinage où est née au XVIIème siècle la dévotion au Sacré Cœur, la communauté de l’Emmanuel organise des sessions de prières, d’enseignement et de veillées.

Depuis 2016, ces sessions incluent tous les deux ans un « parcours judaïsme » qui permet à des jeunes catholiques de 25 à 35 ans de vivre avec des Juifs un Shabbat plein, avec prières, repas et conférences.

 

Les équipes de militants catholiques sont depuis l’origine dirigées par Danielle Guerrier et Thierry Colombié, et leurs correspondants juifs sont sous la houlette d’Ariel Danan et Sandra Yerushalmi qui ont étudié avec Raphy Marciano. Ces équipes font un travail admirable.

Il n’est pas évident d’acheminer dans une petite ville de Bourgogne qui n’a jamais vu de Juifs 250 repas strictement cacher matin et soir pendant plusieurs jours et d’organiser des offices rigoureusement orthodoxes, avec lecture de la Torah dans un environnement sans minyan masculin, en coordination avec un rassemblement catholique de plusieurs milliers de personnes.

Rien n’aurait pu se faire sans le soutien enthousiaste de l’évêque du lieu, Monseigneur Benoît Rivière et de Laurent Landete alors modérateur général de l'Emmanuel, actuellement directeur du Collège des Bernardins. Et puis, il y a l’appui de la Conférence des Évêques de France, présidée par Monseigneur de Moulins Baufort, et du Conseil des Relations, aujourd’hui Service National des Relations avec le judaïsme, SNRJ, très impliqué dans l’événement.

La session actuelle du parcours du judaïsme a été inaugurée par un dialogue entre le grand rabbin Moshe Lewin et le père Christophe Le Sourd, directeur du SNRJ.

Une fois rappelées les relations judéo-chrétiennes depuis Nostra Aetate, le prêtre et le rabbin ont parlé des actes terroristes du 7 octobre. À Pessah, Christophe Le Sourd avait écrit avec ses prédécesseurs Louis-Marie Coudray et Patrick Desbois, un texte qui s’achevait sur les mots suivants : « Nous mesurons l’immense détresse de ceux et celles à qui nous lie un lien spirituel unique et nous leur adressons ce message : « Vous n’êtes pas seuls ! ».

Puis Jean Dominique Durand, Président de l’Amitié judéo-chrétienne de France, après avoir évoqué la rafle du Vél d’Hiv et l’action des Justes a souligné que, sous couvert d’antisionisme et sous l’influence de l’islamisme, certains visaient aujourd’hui encore à la destruction du monde juif.

 

Enfin, Georges Bensoussan à la fin d’un exposé historique longuement applaudi, a rappelé que les Juifs étaient enfin devenus les acteurs de leur histoire et que, en ce sens, le sionisme était une décolonisation de la condition juive.

C’est dire que le 7 octobre était omniprésent et une place vide était réservée aux otages israéliens auxquels Ariel Danan, commentant les prières, faisait continuellement référence.

Les participants à ces journées (pour moi, c’était la troisième fois) ont été transportés par l’esprit de fraternité qu’y régnait. Je pense à ce long silence dans la grande salle, entre la bénédiction du vin et celle du pain quand 250 personnes sortent se laver les mains puis reviennent s’asseoir. Ce respect pour les traditions de l’Autre s’accompagnait d’une véritable empathie pour sa détresse. Les Juifs présents, encore sous le choc des accusations faites contre Israël, de la manipulation des faits et des débordements antisémites, ont perçu ces journées comme une bouffée d’oxygène.

 

Bien sûr, de jeunes catholiques venus passer une semaine pour prier et connaitre le judaïsme ne représentent pas, loin s’en faut, la jeunesse française dans son ensemble. Mais ils confirment que les Juifs sont moins isolés qu’ils ne le pensent parfois. Dans un sondage récent de l’Ifop on découvre que la majorité de la population française comprend la réaction d’Israël et continue de l’approuver. Cette majorité tweete peu et ne menace jamais…

Catholiques respectueux de la tradition et attachés à des valeurs spirituelles, les membres de l’Emmanuel sont eux-mêmes devenus minoritaires. Les mosquées sont plus remplies le vendredi que les églises le dimanche et l’Islam qui y est prêché est souvent celui de l’affirmation hégémonique. Les craintes communes favorisent les solidarités.

Mais il y a aussi beaucoup plus d’ignorance qu’on ne le pense. C’est paradoxal, car trouver une information fiable n’a jamais été aussi facile. Encore faut-il que cette information, puisse surnager au milieu du discours antisioniste, et pour cela qu’elle soit présentée de façon efficace, dans ce qui devient une bataille des mots (génocide, famine, apartheid...) et parfois des chiffres.

Pour les Juifs, se cantonner dans l’entre-soi est confortable mais peu utile. Inversement, chercher à convaincre un militant fortement idéologisé est illusoire : ce qui aurait dû rester un débat est devenu aujourd’hui un match où tous les coups sont permis.

 

En revanche, parler avec des personnes de bonne foi ébranlées par le matraquage israélophobe est indispensable, car elles sont la majorité de la population. Leur donner des arguments vrais et percutants les aidera à convaincre leur propre entourage, tous ceux qui, pour des raisons honorables, répètent avec naïveté des accusations aussi péremptoires que mensongères.

Il est vrai que les minorités activistes qui font plus souvent l’histoire que les majorités paisibles sont inaccessibles à cette argumentation. Israël, cependant, ne gagnera pas la paix si ses partisans ne gagnent pas cette guerre des mots.

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

 

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