POLITIQUE et ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE par J Pierre SARTON

02 Novembre 2016 | 65 vue(s)
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Réflexion d’un professeur d’histoire-géographie sur l’abstention de la France au vote de la résolution adoptée par le comité du patrimoine mondial de l’Unesco niant tous liens entre les Juifs et les lieux saints de Jérusalem.

A l’indignation des Juifs du monde entier que je partage, je voudrais en rajouter une, la mienne, celle d’un professeur d’Histoire-Géographie depuis 1977, non juif, attaché à la culture, à l’Histoire et à leur rôle dans la construction des repères et de la conscience des citoyens.

Fonctionnaire de l’Education nationale, j’ai appliqué pendant presque quatre décennies les programmes et les instructions officielles  de mon ministère et des différents ministres, de droite ou de gauche, qui s’y sont succédé. Ces programmes étaient élaborés et validés, entre autres, par le corps des inspecteurs d’Histoire-Géographie de l’Education nationale, avec trois finalités principales : culturelle, mémorielle et civique.

Et qu’affirmaient, pour l’essentiel, ces programmes et les manuels de tous les éditeurs concernant l’étude du monde antique et plus particulièrement « du peuple de la Bible : les Hébreux » ?

Qu’il y a un peuple, les Hébreux, qui a conquis le pays de Canaan, que le roi David a fait de Jérusalem la capitale du royaume d’Israël, que son fils, le roi Salomon y a fait édifier un temple en l’honneur de leur dieu, que ce royaume s’est divisé en deux parties, dont le royaume de Juda (d’où vient le nom Juif) avec Jérusalem pour capitale, etc., et qu’en 70 de notre ère, les Romains détruisent le second temple de Jérusalem dont il ne reste qu’un unique vestige, le mur des lamentations, lieu le sacré du judaïsme.

Pour preuve ces extraits du programme officiel de novembre 1995 valables jusqu’aux nouveaux programmes de 2008  : cette étude du « peuple de la Bible : les Hébreux, est abordée à partir de la Bible, document historique majeur et livre fondateur de la première religion monothéiste de l’Antiquité, et des sources archéologiques », avec comme « documents : extraits de la Bible, le temple de Jérusalem » et des repères chronologiques du « temps de la Bible (IIe-Ier millénaire av. J.-C.), » dont les royaumes de David et Salomon.

Le programme officiel d’août 2008 sur  « Les débuts du judaïsme » insiste plus sur le contexte politico-religieux de la rédaction de la Bible hébraïque à partir du VIIIème siècle av. J.-C. mais les principaux repères chronologiques et de la cartographie historique demeurent ; y figure en plus comme repères à connaître par les élèves : « la Palestine, Jérusalem sur une carte de l’empire romain. », (évidemment, la Palestine romaine et les populations qui la peuplent n’a rien à voir avec la Palestine actuelle).

Les nouveaux programmes de 2016, publiés au B.O. du 26 novembre 2015 ne remettent pas en question ces connaissances, repères et démarches avec pour fondement l’étude d’extraits de la Bible ; et si il y a bien un texte qui affirme les liens entre Juifs, Jérusalem et lieux saints, c’est bien la Bible !

Les liens du peuple juif avec Jérusalem ont donc toujours été affirmés et ces connaissances font partie intégrante « du socle commun des connaissances des collégiens ».

Comme moi, des milliers de professeurs d’histoire-géographie ont enseigné à des millions d’élèves et enseignent toujours ces connaissances de base de l’histoire.

Or, deux votes successifs des représentants du Quai d’Orsay à l’Unesco ont nié (avril 2016) ou n’ont pas reconnu par l’abstention (octobre 2016) les liens entre les Juifs et leurs lieux saints, liens que l’Education nationale fait enseigner dans les collèges depuis des décennies et qu’ont donc appris pendant leur scolarité ces fonctionnaires dans le public ou le privé puisque les programmes sont les mêmes !

 Il y a donc des « vérités » différentes suivants les ministères au sein d’un même gouvernement :

-          A l’Education nationale, les liens des Juifs avec Jérusalem sont affirmés et doivent-être enseignés comme socle commun de connaissances du citoyen en devenir qu’est le collégien ;

-          Aux Affaires étrangères, ces liens sont ignorés, voire niés !!!

Où est la cohérence ? Quelles raisons poussent soudainement le Quai d’Orsay a réviser l’Histoire ?

(Je n’ose émettre des hypothèses qui me viennent à l’esprit !). Va-t-il falloir, pour valider cette position brûler tous les livres d’histoire, vider les musées des œuvres qui la contredisent comme « Le Jugement de Salomon » de Nicolas Poussin (1649) où ce roi rend la justice en son palais de Jérusalem, ou bien détruire le bas-relief de l’arc de Titus à Rome (90) qui témoignent du pillage du temple par les légions de l’empereur Titus ?

Quoiqu’il en soit, je suis scandalisé par ces deux votes successifs  qui invalident et désavouent notre enseignement et notre engagement pour former des citoyens responsables, initiés à l’esprit critique et aux valeurs de la République dont la laïcité, qui impose le respect des croyances,  des faits et des personnes, et la neutralité des fonctionnaires.

Je suis d’autre part inquiet pour les enseignants qui vont devoir demain, enseigner ce thème du programme. Déjà la shoah a été et est contestée dans des établissements scolaires du fait des thèses révisionnistes (je l’ai personnellement vécu et les témoignages de collègues ne manquent malheureusement pas sur ce sujet), mais avec l’aval de l’Unesco, institution supranationale reconnue, les élèves vont pouvoir remettre en cause la parole de leurs professeurs et nier les racines juives de Jérusalem. Je souhaite bon courage à mes collègues !

Je suis aussi inquiet car toutes les tentatives de révisionnisme de l’Histoire, de Mussolini à Hitler ou Staline pour ne citer que les plus connues, ont toujours eu pour projet la soumission des individus et de peuples et l’instauration du totalitarisme.

Je ne peux donc accepter d’être associé à ce soutien officiel français à cette résolution négationniste.

Et je m’étonne que l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie (APHG), qui est si vigilante sur les contenus des savoirs scolaires, n’ait pas réagi avec véhémence à ce vote !?

Ce pied-de-nez à l’Histoire, à la mémoire et aux racines des Juifs est révoltant. Et je m’indignerais pareillement si, pour des raisons peu avouables, les liens entre les chrétiens et leurs lieux saints de Jérusalem ou Rome ou ceux des musulmans avec La Mecque étaient remis en question.

Je reste attaché aux finalités culturelle, mémorielle et civique de l’Histoire.

 

J Pierre SARTON

                                                                       Professeur Certifié d’Histoire -Géographie