Jean-Pierre Allali
Jean-Pierre Allali partage avec vous ses appréciations littéraires au fil de ses lectures. Aujourd'hui, il nous parle du livre de Dina Porat, Le Juif qui savait Wilno-Jérusalem : la figure légendaire d’Abba Kovner, 1918-1987.
Le Juif qui savait Wilno-Jérusalem : la figure légendaire d’Abba Kovner, 1918-1987*, de Dina Porat
Il faut être reconnaissant à Alexandra Laignel-Lavastine de nous permettre, grâce à sa traduction, de redécouvrir le personnage extraordinaire, mais relativement méconnu d’Abba Kovner.
En effet, lorsqu’on évoque la résistance juive à l’envahisseur nazi, c’est pratiquement toujours la figure de Mordehaï Anielewicz, l’héroïque combattant du Ghetto de Varsovie, qui vient à l’esprit. Or, à l’époque tragique de la Shoah, un autre leader juif, Abba Kovner, a tenu tête, avec ses modestes troupes, à la soldatesque allemande. Cela se passait dans le Ghetto de Wilno, en Lituanie. Voici son histoire.
C’est à Sébastopol, en Crimée, qu’Abba Kovner voit le jour, le 14 mars 1918, au sein d’une famille juive d’origine lituanienne très impliquée dans le combat sioniste. Le patronyme « Kovner » renvoie, d’ailleurs, à la ville de Kovno. Fils d’Israël Kovner, surnommé « Edelman », « Le Noble » et de Rachel dite Rosa, Abba aura deux frères, Gedalia et Michael.Le petit Abba n’a que quatre ans quand son père est arrêté par la police secrète russe. Cet événement le traumatisera profondément.
En 1926, la vie, pour les Juifs, sous la férule devient intenable et les Kovner choisissent de retourner en Lituanie. Les voilà à Wilno, la « Jérusalem de Lituanie », une ville qui, malgré un antisémitisme rampant, connaît, pour ce qui est du judaïsme, un rayonnement intellectuel exceptionnel avec une communauté juive de quelque 70 000 âmes.
1932. Israël Kovner meurt, victime d’une tuberculeuse foudroyante. La situation financière de la famille se détériore. Pour subsister, Rosa ouvre un petit restaurant. Abba, lui, a quitté le lycée juif Tarbut de la ville, préférant étudier chez lui , en bibliothèque et même dans une yeshiva. Pour aider sa mère, il donne quelques leçons à de jeunes enfants. Il consacre ses heures de loisirs à l’écriture, notamment de poèmes.
Mais sa grande passion, c’est la découverte de l’organisation sioniste de gauche, Hashomer Hatsaïr, « La Jeune garde » installée à Wilno dès 1920 : scoutisme, danses et chants, avec, en ligne de mire, l’alyah, le départ pour la Palestine. Entre 1934 et 1938, Abba consacre l’essentiel de son temps et de son énergie au mouvement. C’est à cette époque qu’il rencontre, en 1937, sa première petite amie, Hadassah Kamianitski. Ils resteront quatre ans ensemble. Hadassah et sa mère périront à Ponary. Elle avait vingt-et-un ans.
En 1939, Abba Kovner, qui réussit à décrocher son diplôme de fin d’études secondaires, prend la tête des Jeunesses Sionistes Socialistes et entre au comité directeur de la branche régionale du mouvement.
1940 : L’Union Soviétique annexe la Lituanie. Elle jettera une chape de plomb sur les activités communautaires juives Un an plus tard, c’est au tour de l’Allemagne hitlérienne de jeter son dévolu sur le pays. La tragédie, pour les Juifs, commence.
Les ordonnances infâmes, les mesures discriminatoires et, bientôt, les pogromes meurtriers succédant aux rafles auxquelles participent de nombreux Lituaniens.
Les Allemands installent un Judenrat avec, à sa tête, Jacob Wigodski, qui sera assassiné après avoir été emprisonné et torturé alors qu’il avait quatre-vingt-six ans, puis Jacob Gens, ancien capitaine de l’armée lituanienne, tandis que la soldatesque nazie épaulée par des supplétifs lituaniens entreprend des « Aktionen » génocidaires d’envergure. Au sud de Wilno, la belle forêt de Ponary devient le lieu de supplice de dizaines de milliers de Juifs, hommes, femmes et enfants, assassinés. L’une des rafles les plus meurtrières aura lieu le jour même du Yom Kippour.
C’est à Ponary, précisément, que Rosa, la mère d’Abba, sera assassinée. Quant à son frère, Michaël, il sera abattu, en 1943, dans la forêt de Kazan.
Très vite, Abba Kovner réalise que le peuple juif est en train d’être éliminé en masse alors que nombre de ses coreligionnaires, voulaient encore y croire. C’est en ce sens qu’il deviendra « Le Juif qui savait ». Très vite, aussi, il considéra que contre vents et marées, il fallait sauver l’honneur juif en combattant les armes à la main.
Dans un premier temps, après l’invasion allemande, Abba Kovner se réfugie dans un couvent dominicain dans la banlieue de Wilno. Déguisé en nonne, il y reste environ six mois. Quand il en sort, c’est pour se lancer dans la mise sur pied d’une organisation clandestine juive de combat dont il va être le commandant. Tour à tour entraîneur et formateur, il va, avec ses hommes et ses femmes, combattre, avec ses maigres moyens, mais avec détermination, l’hydre nazie.
Le 31 décembre 1941, dans un manifeste désormais légendaire, il appelle ses frères juifs à ne pas se laisser abattre et à prendre les armes. Devant cent cinquante jeunes issus de l’Hashomer mais aussi du Hekhalutz, de l’Hanoar Hatsioni et du Bné Akiva, Abba Kovner proclame : « Ne nous laissons pas mener à l’abattoir comme des moutons ! » « Oui, nous sommes faibles et personne ne viendra à notre secours…Défendons-nous jusqu’à notre dernier souffle ! »
Dès janvier 1942, la FPO, Fareynikte Partizaner Organizatsye, Résistance Unifiée, est constituée. Tandis que des milliers de Juifs cherchent à s’enfuir en prenant d’assaut les derniers trains qui fonctionnent encore, les voitures et les charrettes voire à pied, la tragédie va s’abattre sur ceux qui resteront. D’autres se cacheront dans des melinas, véritables planques souterraines. Pendant ce temps, 250 adolescents en groupes de cellules de cinq membres se constituent.
C’est à un prisonnier juif, envoyé aux travaux forcés dans un dépôt allemand de munitions, Borukh Goldstein, que l’on doit l’introduction en fraude d’une première arme, un pistolet automatique, dans le Ghetto. Dès lors, Abba Kovner et ses amis vont récupérer toutes sortes d’armes, confectionner des cocktails Molotov et mettre sur pied des attaques et des opérations de sabotage. En juin 1942, ils réussissent ainsi à faire dérailler un premier train rempli de soldats allemands et bourré de munitions.
Cette résistance juive demeurera symbolique car les Nazis sont aussi cruels que puissants. Le 23 septembre 1943 va marquer la fin du Ghetto qui est encerclé. Les partisans, pris dans la nasse, cherchent à s’enfuir par les égouts. Six mois d’enfer vont s’écouler. Abba Kovner et un millier d’adolescent se retrouveront dans la forêt où ils mettront sur pied des embuscades et des opérations de commando. Le 7 juillet 1944, l’Armée Rouge, sous les ordres du général Tcherniakovski, encercle la capitale lituanienne, obligeant les Allemands à capituler. C’est la libération de Wilno.
C’est à cette époque que germe, dans l’esprit d’Abba, l’idée de constituer une équipe de « Vengeurs » ( Nekome). Dans un autre domaine, il faut songer à sauver les archives de la communauté juive. Le jour de Rosh Hachana 1944, Kovner prononce un discours à la Grande Synagogue de Wilno, discours d’adieu, en somme car, en décembre, il est à bord d’un train qui le conduit à Lublin puis en Roumanie où une Brigade des Survivants d’Europe de l’Est, la Khativah, est constituée et enfin, en Italie, avant le grand saut : la Palestine. C’est l’époque de l’Alyah Beth.
Déguisé en officier britannique, Abba Kovner, depuis Alexandrie, en Egypte, rejoint la Palestine mandataire en décembre 1945 à bord du bateau Champollion. Une nouvelle vie commence.
Abba Kovner va, avec son épouse Vitka Kempner, s’installer au kibboutz « athée et de gauche » Ein Hakhoresh, à 80 km de Haïfa et participer activement à la Guerre d’Indépendance d’Israël. Le 22 mai 1948, il est nommé officier de Tsahal et, en décembre, le voilà capitaine et « père spirituel » de la célèbre Brigade Givati.
Le 27 mai 1948 naît Michael, premier enfant d’Abba et de Vitka, qui deviendra un peintre réputé. Plus tard, en 1956, viendra au monde leur fille Shlomit.
Abba Kovner, orateur hors pair aura aussi été un homme de plume talentueux. On lui doit notamment « Les rouleaux de feu », « Les rouleaux du témoignage », des recueils de poésie, des livres pour enfants et un roman
Par ailleurs, Abba Kovner a témoigné au procès d’Adolf Eichmann, à Jérusalem, en 1961.
Enfin, il est à l’origine de la création, au début des années 1970, du Musée de la Diaspora à Tel Aviv.
Fumeur invétéré, Abba Kovner s’est éteint le 25 septembre 1987, victime d’un cancer des cordes vocales. Il repose au cimetière du kibboutz En Hakhoresh aux côté de Vitka et de leur amie inséparable, Ruzka Korczak.
L’ouvrage est agrémenté d’une importante iconographie. Très intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Le Bord de l’Eau, juillet 2017. Traduit et adapté de l’anglais et de l’hébreu par Alexandra Laignel-Lavastine. 364 pages. 24 €.