Jean-Pierre Allali
Pour son nouveau roman, Marek Halter a choisi de nous parler d’Ève, notre mère à tous, la première des femmes. Toutefois, l’héroïne n’apparaît qu’à la fin du récit qui, dès les premières pages, nous présente quelques-uns de ses descendants directs les plus marquants. Et comme, à cette époque des débuts de l’humanité, on vivait bien plus longtemps qu’aujourd’hui, près de mille ans, on ne sera pas étonné de voir des personnages rencontrer, à l’occasion, de lointains ancêtres.
On admet généralement qu’Adam et Ève eurent trois fils : Abel, Caïn et Seth. Dès lors, se pose la question de la descendance. Certain commentateurs considèrent que le premier couple humain eut en réalité 33 fils et 23 fils. Ce qui ne serait pas étonnant pour une relation qui s’étend sur plusieurs siècles. Plus modestement, les textes hébraïques évoquent l’existence de deux filles d’Adam et Ève : Awan et Azura. Qui furent les épouses respectives de Caïn et de Seth. On dit même que ces deux filles étaient leurs sœurs jumelles. Comme on le voit, l’histoire de l’humanité débute par des incestes.
Pour sa part, Marek Halter a choisi d’ignorer Azura et propose, en fin d’ouvrage, une généalogie des personnages qu’il est bon de lire avant toute chose pour ne pas se perdre dans le fil de l’histoire : « Adam et Ève engendrèrent Caïn, Abel et Awan, puis Seth. De Caïn et Awan naquirent sept générations : Hénoch engendra Irad. Irad engendra Mehouyael. Mehouyael engendra Metouchael. Metouchael engendra Lemec’h et, avec une servante idolâtre, Lekh-Lekha.
Lemec’h eut deux épouses. Avec Adah, il engendra deux fils, Yaval et Youval, et deux filles, Noadia et Beyouria.
Avec Tsilah, il engendra un fils, Tubal et une fille, Nahamma.
Beyouria engendra Nahman. Nahamma épousa Noah, fils de Seth. Ils engendrèrent Sem, Cham et Japhet . »
Au début du roman, nous sommes à Hénoch, ville natale de Nahamma, personnage central et conteuse du récit. Sa mère, Tsilah, effondrée, lui apprend que son père, Lemec’h, pourtant très âgé et aveugle, a tué son aïeul, Caïn, et, dans la foulée son frère, Tubal. Lemec’h et sa famille sont, dès lors, mis au banc de la société.
Au fil des pages, on suit les pérégrinations de Lemec’h et des siens, les guerres impitoyables contre les infidèles. Yaval, fils de Lemec’h se révolte : « La vérité, je la connais : tu souhaites le massacre des idolâtres pour qu’Elohim te pardonne le sang de Caïn. La vieille Awan a raison. Rien ne réparera ta faute. Le sang n’efface pas le sang… ». La vieille Awan, qu’on appelle la Grande-Mère joue le rôle de la sage de la tribu, celle dont on écoute les conseils et les prédictions.
Un jour, la tribu entreprend un long voyage pour aller dans une contrée lointaine, à la rencontre de l’ancêtre, Ève précisément. Des semaines de périple. La faim, la soif, les fauves. Les morts s’accumulent. Bientôt, les rescapés de ce voyage éreintant ne sont plus que huit de la cité d’Hénoch. Ils arriveront enfin au but. Là Adam lui-même demandera à s’entretenir avec Nahamma. Cette dernière, se retrouvant face au père de l’humanité va lui poser cette question : « Ô Adam, pour quelle raison Élohim vous a-t-il jetés hors de l’Éden, toi et Ève, notre mère à tous ? » Une question qui aura le don d’énerver Adam. Il faudra attendre la rencontre de Nahamma avec Ève pour un dialogue plus serein d’autant plus qu’il s’avère que Nahamma est le véritable sosie de l’ancêtre.
Ce récit palpitant s’achève avec le déluge et l’arche de Noah.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Robert Laffont, octobre 2016. 360 pages. 21 €