Plaidoirie de Maître Patrick Klugman au soutien du Crif dans le dossier Waffenkraft - Au carrefour des haines

03 July 2023 | 275 vue(s)
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Antisémitisme

Vendredi 9 août 2024, s'est tenue la cérémonie en hommage aux victimes de l'attentat terroriste de la rue des Rosiers, organisée par le Crif en collaboration avec la Mairie de Paris. La cérémonie s'est tenue devant l'ancien restaurant Jo Goldenberg, au 7 rue des Rosiers. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé dans la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, en dénonçant notamment celle qui se cache derrière la détestation de l'Etat d'Israël.

À l'occasion des 80 ans du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), les membres du Crif ont été reçus à l'Élysée par le Président de la République, Emmanuel Macron, et Madame Brigitte Macron, lundi 18 mars 2024. Le Président du Crif, Yonathan Arfi, a prononcé un discours à cette occasion. 

Dimanche 14 janvier 2024, quelques mois avant les Jeux Olympiques Paris 2024, une délégation de sportifs et de dirigeants du monde du sport q"es, avec le Crif, pour un voyage de la mémoire dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, en partenariat avec le Mémorial de la Shoah.

 

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Quatre personnes, dont un gendarme, comparaissent devant la justice depuis le lundi 19 juin pour « association de malfaiteurs terroriste ». La Licra, des mosquées, des députés européens, mais également le Crif étaient visés par des projets d’attentat d’ultradroite entre 2017 et 2018. Le Crif se porte partie civile dans ce procès.

 

Retrouvez des extraits de la plaidoirie de Maître Patrick Klugman au soutien du Crif devant la Cour d'assises spécialement composée dans le dossier Waffenkraft. 

 

Il y a quelques jours, le journal Libération fêtait ses cinquante ans.

Peu savent ou se souviennent les raisons et les circonstances de la création de ce journal.

Ses fondateurs étaient issus d’un groupe de l’ultra gauche maoïste appelé la Gauche prolétarienne. Leurs leaders, Pierre Victor, alias Benny Levy, Robert Liénard, Alain Geismar, étaient nés pendant la guerre et avaient vu leur famille décimée par le nazisme. La radicalité de l’époque les avaient amenés jusqu’à une séance d’entraînements armés, comme celle que vous avez dans votre dossier.

Sauf qu’à un moment, se retrouver avec ceux qui allaient former le commando Septembre noir et plus tard s’attaquer aux athlètes israéliens de Munich leur est apparu moralement impossible.

Tout était inversé. Fils de rescapés ou de résistants, ils allaient se retrouver au nom de la Révolution à faire couler le sang d’innocents.

L’entraînement militaire a entraîné une prise de conscience immédiate et radicale. La décision a été prise de dissoudre la Gauche Prolétarienne pour ne pas basculer dans l’action violente. Et à la place, de fonder un projet intellectuel, certes radical ou révolutionnaire, mais non violent.

Nous leur devons que la France, contrairement à l’Allemagne ou à l’Italie, n’a pas connu d’attentats sanglants de l’ultra gauche durant les années 70.

Mesdames, Monsieur de la Cour, l’aventure de Libération est précieuse. Elle nous enseigne que ce n’est pas la même chose de se battre avec ses idées pour armes, que les armes à la main pour tuer au nom de ses idées.

 

***

 

Nous sommes là pour savoir si ces quatre individus ont formé une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés à l’article L. 421-1-2 du Code pénal.

Pour répondre à cette question, et à toutes celles qui la précèderont, vous devrez envisager pourquoi ils sont entrés en contact, comment ils l’ont fait ; quels buts et quels moyens ils se sont donnés, pour savoir si nous sommes bien en présence d’un projet de nature terroriste.

 

Je soutiens ici au nom du Crif, qu’ils ne sont pas là par hasard. Ni pour un fait isolé.

Qu’il soit dit une fois pour toutes, dit et rappelé que :

S’ils avaient simplement adhéré à des idées radicales, ils ne seraient pas jugés ici devant une Cour d’assises spécialement composée,

S’ils avaient en plus d’avoir adhéré à ces idées, posté des messages haineux, ils ne seraient pas jugés ici,

S’ils avaient, pour poster ces messages haineux créé des canaux de diffusion semi clandestins, ils ne seraient toujours pas jugés ici,

S’ils avaient, extrémistes convaincus, cherché à agresser des personnes ou dégrader des biens ; ils ne seraient pas jugés ici,

S’ils avaient en dehors de toute autre circonstance, cherché à se procurer des armes et tirer en forêt, ils ne seraient pas jugés ici.

S’ils avaient seulement effectué des recherches Google sur le Crif ou la Licra, et même mis un point de géolocalisation pour un repérage, ils ne seraient pas jugés ici.

 

L’association de malfaiteurs terroriste que vous jugez n’existe pas si vous examinez chacun isolément, et chaque acte indépendamment des autres.

Dans le terrorisme, vous avez toujours d’un côté des idées, et de l’autre des armes ou des moyens violents pour les mettre en œuvre.

Les idées sans la violence, ce n’est pas du terrorisme.

La violence sans les idées, ce n’est pas du terrorisme, aussi certainement que l’essence loin de l’éther ne forme pas un cocktail molotov.

Des idées et des armes, et des armes pour servir ces idées.

 

***

 

Quelles sont les idées que ces hommes avaient en partage ?

Le sésame c’est de savoir s’ils étaient « NS ».

« NS » pour National Socialiste. Le nom du parti nazi. Et on ne compte plus dans le dossier les référence à HH pour Heil Hitler, 88 etc.

On ne pourra juger ces hommes en faisant l’économie de se demander ce qu’est le nazisme.

Vous trouverez sur le sujet, des spécialistes et des thèses qui vous éclaireront mieux qu’un avocat.

Reste une définition que je vous propose : c’est prendre un enfant de cinq ans, et sur sa carte d’identité barrer le prénom de Rachel par la mention terroriste et l’envoyer dans un four crématoire.

 

Je n’accuse pas ces messieurs d’être des nazis.

Le nazisme est un mouvement politique contingenté dans l’histoire par l’arrivée au pouvoir de Hitler en Allemagne en 1933 et sa chute en 1945.

Le nazisme n’existe plus mais il fait des émules.

 

Cependant, il y a une chose qui interroge.

Ce qui distingue les jeunes gens qui sont dans le box des dignitaires nazis eux mêmes, des membres des jeunesses hitlériennes et même de la plupart des membres de la Gestapo ou de la SS, c’est que le processus d’extermination était, sauf pour un tout petit nombre de personnes triées sur le volet, un secret. La solution finale était secrète.

Eux, ils en savent tout.

Eux connaissent l’horreur et ils s’en repaissent. Ils s’en délectent. Ils la partagent en morceaux, en images, sons, et même, en like et en best of.

Et mieux, ils voulaient la reproduire.

 

Monsieur F. est allé à Auschwitz et il a adoré le trip…

Vous avez entendu la déposition de l’enquêteur de la DGSI, spécialiste des mouvances radicales.

Il n’avait pas eu accès au dossier. Il n’a rencontré aucun des accusés.

La DGSI vous a décrit ce qu’est un groupe terroriste de l’ultradroite et sans le savoir, a décrit l’entente constituée par les accusés :

Waffenkraft, ce n’est pas un club de débats ou d’idées raciste et pas davantage un club de tir en forêt.

C’est le portrait robot d’un groupe formé dans la radicalité haineuse et qui veut passer à l’action.

Vous avez donc devant vous et selon la DGSI un parfait commando avec son recruteur, son artificier, son idéologue, et leurs adeptes parés pour agir.

Waffenkraft toujours selon l’antiterrorisme, serait le dixième projet d’attentat de l’ultradroite déjoué en France. Waffenkraft. Un projet qui s’inspire et s’inscrit dans une mouvance qui va de Anders Brevik à Christchurch et qui a fait des centaines de morts à travers le monde.

Voilà de quoi Waffenkraft est le nom : une cellule terroriste de l’ultradroite démantelée juste avant son premier attentat.

 

***

 

D’un groupe suprémaciste, pétri du culte de la guerre et prêt à mourir les armes à la main en Ukraine ou en France, on s’attendait à un minimum de courage.

 

Les quatre que vous avez là n’ont fait que dire qu’ils ont réfléchi aux conséquences de leurs actes tout en minimisant leur responsabilité individuelle.

 

  1. Monsieur F, c’est Tintin aux pays des chemises brunes. Il se rend à Auschwitz (c’était pas prévu, c’est juste qu’il était en Pologne). Il y diffuse des photos de salut nazi mais il ne sait pas pourquoi. Il reçoit des images de tortures, par hasard, et toujours par hasard, se rend au même musée de la torture à Prague. Un jour, il n’est pas assez lettré pour lire la propagande qu’on lui demande pour passer un test. Un autre, il est guide littéraire pour admirateur du Troisième Reich. La vie serait selon Monsieur F une succession de hasards malheureux qui le mènent toujours aux mêmes endroits de la haine.

 

  1. Monsieur FM est encore plus fuyant. Antisémite et national socialiste revendiqué lors de son interpellation, il croit encore à une confrontation armée des civilisations. Il vous explique que s’il est là, « bon c’est parce qu’il a échangé des blagues sur des forums et qu’il a effectué des tirs en forêts et qu’il aurait pas dû ». « Voilà » a-t-il ajouté.

 

Le même qui fait subir des tests de sémitisme au jeune J.  et qui  lance à son copain A. :

« On va les faire les putains de Carnets de Turner »

On va violer zog

Je veux un truc sale »

Et l’autre de lui répondre :

t’es un guerrier et moi un prêtre.

C’est un beau tandem. FM et EA.

 

  1. Monsieur A. justement : l’intellectuel, le Streicher de la région centre, le nazi obsessionnel, le doctrinaire. Celui vers qui tout le monde se tourne pour savoir quoi faire ou quoi lire, nous dit :

 

« Je ne pense pas avoir eu une influence si grande ».

Et pour lui, ce groupe de néonazis qui s’entraîne en Forêt et parle d’attentat n’avait pas vocation à commettre des choses illégales (sic).

 

  1. Vous avez enfin Monsieur G., l’auteur du précieux « Tactiques et opérations de guérillas », celui qui cherche frénétiquement à se procurer des armes, celui qui écrivait à ses camarades sans être démenti.

« j’ai envie de faire une tuerie » ; celui que tous ses co accusés désignent comme un obsédé du passage à l’acte, déclare sobrement en interrogatoire D 859/13 :

« Le théoricien ce n’est pas moi. Ma fonction c’est les armes. C’est de proposer aux gens s’ils veulent tirer ou ou non »

Un peu plus, on croirait un GO au stand de tir à l’arc du Club Med.

De fait, Monsieur G., mis en examen depuis le 7 septembre 2018, sera interpellé le 19 décembre 2018, deux heures après avoir inscrit l’adresse du Crif dans son GPS et alors qu’il sort d’une séance de tir.

 

Ceux que vous avez dans le box, c’est le Nuremberg de la lâcheté, le concours général de la défausse. On est prêt à tirer sur des arabes et des Juifs désarmés, on s’est incité et entraîné à le faire, mais n’allez surtout pas attendre qu’ils aient pris conscience de ce que cela veut dire cinq ans plus tard.

En les écoutant, ces nazis au petit pied, je me suis souvenu de ce que me disait mon patron :

Ne vous faites pas si petit, vous n’êtes pas si grand.

Leur dangerosité vient précisément du fait que quand ils vous disent cinq ans après, avoir pris conscience de leurs actes et tourner la page, tout démontre le contraire.

Vous les condamnerez pour les actes passés et leur lâcheté présente. Vous les condamnerez car leur lâcheté détermine leur dangerosité.

 

***

 

Je voudrais finir par vous dire quelques mots sur la partie que je représente ici. Ou du moins celle que je pense représenter, tant ce qu’on entend au sujet du Crif ici s’éloigne de la réalité.

Le Crif n’a rien de mystérieux. Tout y est public. Ses membres. Ses réunions. Ses activités. Et bien sûr, son dîner annuel retransmis en live sur les réseaux sociaux où sont invités des représentants de tous les cultes, de tous les syndicats de la plupart des partis politiques.

Le Crif ne demande ni ne dispose d’aucune forme de subside de la part de l’État. À part une. Une protection policière pour son Président, compte tenu des menaces dont il fait l’objet.

 

L’antiterrorisme surveille dans notre pays deux types de groupes particulièrement dangereux :

Les groupes islamistes radicaux et ceux de l’ultra droite.

Les uns et les autres n’ont qu’un seul point de convergence dans leur haine. Les Juifs. La haine séculaire des Juifs arrive à fédérer des contraires et à faire converger des ennemis irréconciliables.

 

Le triste privilège du Crif, c’est celui-là. D’ÊTRE AU CARREFOUR DES HAINES. Et c’est aussi son honneur, comme vous l’a déclaré son Président, de servir de « paratonnerre » et de prendre sur lui des attaques qui sinon viseraient des quidam juifs ou supposés tels.

 

Quelques mois avant que ne se forme le groupe Waffenkraft, ici même se tenait le procès d’une vaste cellule terroriste islamiste démantelée juste avant qu’elle ne passe à l’action, dénommée Cannes Torcy.

Le Crif était la cible des islamistes de Cannes-Torcy, comme le Crif était  la cible des néo nazis de Waffenkraft. 

 

Alors, je vous le dis simplement au nom du Crif, après son Président.

On a pas les moyens ! On ne peut pas se permettre d’être la cible rêvée de tous les fous furieux qui veulent assouvir leur idéologie haineuse et de s’entendre dire ici que la cible ne serait pas une catégorie juridique déterminée ! Ce n’est pas possible d’apprendre cinq ans après par hasard et par la presse qu’on a échappé à un projet d’attentat.

Ce n’est pas possible, surtout dans ces circonstances, que s’élève une interrogation sur notre recevabilité.

 

Le Crif existe parce que le Nazisme a existé et qu’il y a survécu. Le Crif existe dans le cadre des lois de la République et parce que nous vivons en République.

Le Crif, je viens de le rappeler, a ceci de particulier par rapport aux faits que vous jugez, qu’il a regroupé dès que cela a été possible, un grand nombre de survivants des crimes perpétrés par les nazis.

Les rares rescapés des camps de la mort n’ont pas crié vengeance. Le Crif n’a jamais crié vengeance. Ils n’ont pas poursuivi de leur vindicte, leur bourreau. La plus illustre survivante, celle qui obsède les accusés, Madame Simone Veil, était déportée en 1944, rescapée en 1945 et devenait magistrate en 1956.

Après la Shoah, les survivants avaient simplement au cœur les vers d’Éluard écrits pour Manoukian :

Lorsqu'on ne tuera plus ils seront bien vengés.

Et ce sera justice.

 

Mesdames et Monsieur,

La seule chose que je suis venu réclamer au nom d’une association dépositaire de ceux qui ont directement souffert du nazisme et qui a été la cible désignée de ceux qui voudraient le raviver,

c’est de faire œuvre de justice.

C’est au nom du peuple Français que vous entrerez en voie de condamnation à l’encontre des accusés.

Et ce sera justice.

 

Maître Patrick Klugman