Jean-Pierre Allali
Les forces de vie des exilés : Témoignages historiques et thématiques intemporelles, par Anne Saint Sauveur-Henn (*)
Historienne germaniste normalienne et diplômée de Sciences Po Paris, l’auteure a présenté en son temps une thèse d’État sur l’émigration allemande vers l’Argentine jusqu’en 1945. Remarquant que « soixante-quinze ans après la fin d’une guerre mondiale déclenchée par une Allemagne devenue dictatoriale, qui conduisit au massacre de six millions de Juifs… », le thème de l’exil salvateur reste toujours d’actualité. C’est pourquoi elle a choisi de nous présenter trois destinées d’exception, trois « anonymes » certes, mais exemplaires. « Il s’agit de mettre en récit le ressenti de victimes de pays totalitaires et leurs tentatives pour résister à une volonté de destruction ». Sont donc appelés à la barre des témoins : Fritz Kalmar, né en 1911 et décédé en 2008, Lenka Reinerová, née en 1916 et décédée en 2008 et un anonyme, né en 1925 et décédé en 2015. Dans chaque cas sont examinés : 1/ les conditions du départ, 2/ l’évolution après le premier exil, et 3/ les forces de vie s’opposant au tragique. Le tout s’achevant par une synthèse plurielle.
Venu au monde à Vienne le 13 décembre 1911, Fritz Kalmar vivait heureux dans la capitale autrichienne. Né au sein d’une famille juive libérale, il sera un juriste de talent. Sa vie bascule le 12 mars 1938. L’Anchluss fait de lui un Juif pestiféré. C’est en Bolivie, à 4 000 mètres d’altitude, qu’il parvient à obtenir un visa en août 1939, pour rejoindre son frère ainsi que plusieurs centaines de Juifs autrichiens déjà présents dans le pays des Indios. Pour montrer sa volonté de résister dans l’exil, il fonde à La Paz, en 1941, la FAL, Fédération des Autrichiens Libres. Cela ne l’empêcha pas de garder intacte une nostalgie profonde du pays natal.
Lenka Reinerová était née, elle, à Prague, le 17 mai 1916, dans un milieu modeste orienté à gauche. Si elle ne souffrit pas d’antisémitisme dans sa jeunesse, la fureur nazie la rattrapa et nombre de membres de sa famille périront dans la Shoah. À 22 ans, en mars 1939, elle se réfugie à Paris où, hélas, elle sera arrêtée et emprisonnée peu après par la police française, puis transférée au camp de Rieucros en Lozère. En mars 1941, elle obtient un visa pour le Mexique qu’elle n’atteindra qu’en décembre 1941 après bien des vicissitudes. Elle ne regagnera l’Europe qu’en 1945. Mais, bannie dans sa ville natale, elle ne fut réhabilitée qu’en 1964 et se demanda toujours : « Pourquoi moi ? ».
Le troisième « héros » est né à Vienne, dans le quartier juif de Leopoldstadt, en 1925. À 13 ans, il est déporté : Buchenwald, Dachau, Birkenau, Auschwitz, Varsovie et, enfin, Kaufering, près de Dachau. En 1949, il rejoindra l’Amérique du Sud.
En ces temps de pandémie, la force de vie des exilés constitue indéniablement, un trésor d’expériences pour les générations futures.
Passionnant !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Le Bord de l’Eau, février 2021, 160 pages,14 €.