Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Jules Isaac

07 Octobre 2023 | 51 vue(s)
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Opinion

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Le 7 octobre 1943, il y a exactement 80 ans, la Gestapo arrête à Riom où étaient cachés Laure Isaac, son fils et sa fille. Jules Isaac n’était pas dans la maison. Trois semaines plus tard, à la veille de partir à Auschwitz où elle sera gazée avec sa fille, Laure parvient à écrire à son mari : « Finis ton œuvre, que le monde attend ». Cette œuvre, qui fut comme sanctifiée par ce message presque venu de l’au-delà, et dans la préface de laquelle Jules Isaac a écrit qu’il n’y a pas une ligne qui ne soit dédiée à sa femme et à sa fille, ce sera « Jésus et Israël » achevé en 1946 et dont le retentissement conduisit à une transformation des relations judeo-chrétiennes.

Tous les lycéens de France entre les années 1920 et les années 1960 connaissaient les noms Malet et Isaac, le manuel d’histoire ultra-dominant, dont les six tomes de l’Antiquité au monde moderne, les accompagnaient de la sixième à la première. Le nom d’Albert Malet avait été gardé, mais il n’y avait pas contribué, ayant été tué au combat en 1915. C’est donc Jules Isaac, israélite français, de famille militaire alsacienne, qui enseigna l’histoire et en particulier l’histoire de France à des générations de lycéens, dont je fus. C’était une histoire sans manichéisme ni propagande nationaliste, attentive aux facteurs socio-économiques, écrite par un homme qui, gravement blessé à Verdun, était hanté par le risque de nouvelle guerre, et notamment par les progrès et les dérives d’une science homicide. Dès 1922, dans un article ignoré mais prophétique, il entrevoyait les effets monstrueux d’un potentiel usage de l’énergie contenue dans l’atome…

Laïc parmi les laïcs, ne faisant qu’une part minime au peuple juif dans ses livres d’histoire, ayant beaucoup plus fréquenté Thucydide et Tite-Live que le Deutéronome et Saint Jean Chrysostome, déjà âgé de 64 ans, Jules Isaac n’était nullement un spécialiste des relations judéo-chrétiennes quand le régime de Vichy le chassa de l’Éducation Nationale, où il occupait  le poste prestigieux d’Inspecteur Général de l’Instruction Publique, et le transforma, suivant ses propres mots, en un « lépreux ».

Or ce régime revendiquait une morale chrétienne, et même le racisme nazi ostensiblement anti-chrétien avait prospéré sur une matrice chrétienne. C’est donc la filiation qui conduit de Jésus jusqu’à Drumont, Maurras et Xavier Vallat que Jules Isaac va explorer, mû par une passion pour la vérité (c’est le sous-titre de sa biographie par André Kaspi) qui remonte à sa jeunesse dreyfusarde dans le compagnonnage de Charles Péguy. Pour le judaïsme, il sera pendant la guerre aidé par un jeune homme de la résistance juive, venu lui fournir de faux papiers, André Chouraqui.

Jésus et Israël sera suivi, quinze ans plus tard, par Genèse de l’Antisémitisme, l’Enseignement du Mépris, publié en 1962, un an avant sa mort. Âgé de 85 ans, il était alors devenu le père fondateur du dialogue judéo-chrétien.  

En effet, en août 1947 a lieu dans le village de Seelisberg en Suisse une conférence religieuse comme il n’y en a jamais eu dans le passé : 70 personnes, des Juifs dont Jules Isaac, le rabbin Kaplan et le rabbin Safran de Roumanie, des protestants et des catholiques parmi lesquels le capucin Pierre-Marie Benoît, extraordinaire sauveur de Juifs pendant la guerre, le père Démann et le futur Cardinal Journet. Il en sort une déclaration fournissant des repères pour l’enseignement des Églises par rapport aux Juifs, dix points destinés à faire disparaître l’antijudaïsme des églises chrétiennes. Ils sont tirés des conclusions de Jésus et Israël. 

Au retour de Seelisberg, Jules Isaac est à l’origine de l’Amitié Judéo-chrétienne de France, fédération d’associations locales associant des Juifs et des Chrétiens dont l’objectif est d’assurer un dialogue fraternel sans syncrétisme entre Juifs et Chrétiens.

Il n’en reste pas là. En 1949 il demande à Pie XII une annulation de la prière « Pro perfidis Judaeis », mais cette formulation injurieuse ne sera abrogée que dix ans plus tard par Jean XXIII. Il noue une relation d’amitié avec ce Pape bienveillant qui lui accorde une longue audience en 1960. Il lui remet alors un dossier d’éradication de l’enseignement du mépris, ce qui pose les fondements de la déclaration Nostra Aetate votée en 1965, à la troisième session du Concile Vatican II, deux ans après la mort de Jules Isaac.

Depuis lors, les relations du judaïsme avec les églises chrétiennes et singulièrement en France avec l’église catholique, numériquement dominante, n’ont plus rien à voir avec le triste passé symbolisé par la synagogue aux yeux bandés de la cathédrale de Strasbourg. 

Ce succès n’est évidemment pas dû qu’à un seul homme, mais il était temps que la République honore ce remarquable serviteur de l’enseignement laïc aussi bien que de la fraternité inter-religieuse, ce qui s’est fait cette année par un timbre et des colloques. 

Comme rien n’est définitivement acquis, n’oublions pas que l’Amitié judéo-chrétienne est aujourd’hui encore un antidote non seulement à l’antisémitisme, l’indifférence et la haine, mais aussi à un entre-soi potentiellement stérilisateur.

Je voudrais dédier cette chronique à mon ami Gérard Mareuil, dont les qualités humaines faisaient l’admiration de tous, qui est décédé le jour de Yom Kippour. Il fut un membre très impliqué de l’Amitié Judéo-chrétienne de France, et notamment de sa très active branche de Paris Ouest. 

 

Que sa mémoire soit bénie…

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

 

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