Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Retour à Cracovie

22 Août 2023 | 60 vue(s)
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"For the union makes us strong" : car l'union nous rend forts, Solidarity forever, Peter Seegers

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Le film « Retour à Cracovie » a été tourné en 2017. Deux garnements déambulent en rigolant dans la ville de leur enfance où ils n’étaient pas revenus ensemble depuis très, très longtemps. Le plus jeune a 78 ans, il s’appelle Ryszard Horowitz, sa notice Wikipédia indique qu’il habite aux États-Unis depuis 1959 et qu’il est un maître réputé de la photocomposition, dans un style qui fait penser à Dali ou Magritte. Le plus âgé, de toute petite taille, plus effronté encore, ne craint aucune remarque de mauvais goût. Il a 84 ans à l’époque du film. Son premier long métrage, le « Couteau dans l’eau », faisait déjà en 1962 la couverture du Time Magazine et depuis ses films ont gagné toutes les récompenses. Il en présentera un nouveau dans quelques mois, mais on doute qu’il soit distribué sans anicroche. Car ce garnement, Romek Liebling dans son enfance, est plus connu sous le nom de Roman Polanski et ce nom sent le soufre…

 

Les faits remontent à 1977, Polanski, à la suite d’une séance de photographies artistiques a abusé de sa modèle, une enfant de 13 ans. Arrêté le lendemain, condamné à 90 jours de prison, libéré après 40, il apprend que le juge a changé d’avis et désire le condamner à une peine dite de durée indéterminée. Il s’enfuit alors des États-Unis et n’y reviendra plus jamais. Pour ne pas être extradé, il ne vit qu’en France, en Pologne ou en Suisse. Je n’ai pas de compétence juridique, mais en lisant le déroulement de son interminable affaire et les arrière-pensées politiciennes des juges en charge, je me suis dit que la justice française a du bon…

Jean-Marc Rouillan, qui fait toujours l’apologie du terrorisme et a été condamné à perpétuité pour deux assassinats commis en 1985, a participé en mars 2023 à une conférence à l’Université de Bordeaux. Je pense que certains de ceux ou celles qui, au nom de la liberté d’opinion, ne trouvent là rien d’anormal, soutiennent en même temps l’effacement du nom de Roman Polanski et cela me choque…

 

À juste titre, des faits à peine punis auparavant sont aujourd’hui considérés comme des crimes. Mais de là à un acharnement de près d’un demi-siècle, il y a un pas, et les accusations de prédation sexuelle qui entourent Polanski par ailleurs n’ont jamais été retenues par la justice. Pourquoi pareille fixation sur un homme dont les comportements étaient probablement analogues à ceux de beaucoup de ses confrères dans un milieu alors très permissif ? Est-ce parce qu’il est Juif et que ce comportement correspond à un schéma antisémite bien connu ? Je ne pense pas que nous en ayons la preuve, même si certains ne sont pas fâchés de voir trainer dans la boue le cinéaste du « Pianiste » et de « L’Affaire Dreyfus ».

Est-ce par peur du qu’en dira-t-on qu’on ne peut voir « Retour à Cracovie » que dans un nombre minime de salles ? Ce serait là un scandale témoignant une fois de plus du danger d’une bien pensance avide d’interdits.

Certains distributeurs prétendent que c’est l’insuffisante qualité d’un film qui, rappelons-le, n’est pas un film de Polanski, qui est entrée en ligne de compte.

 

Il est vrai que ce film peut déconcerter. Ce n’est pas là que le spectateur apprendra le déroulement du drame qui s’est déroulé dans le ghetto de Cracovie, drame dont rend compte « La liste de Schindler », un film auquel Polanski avait refusé de participer parce qu’il en était trop proche. Des événements, on ne voit que quelques images et des bribes de souvenirs souvent décrits avec une distance ironique. Je pense à ces musiciens juifs mourant de faim jouant en smoking les mélodies les plus sentimentales, ou au petit Romek qui se faufile sous les barbelés du ghetto pour chercher en ville, non pas des aliments mais des timbres pour sa collection.

Celui qui attend des survivants qu’ils décrivent, qu’ils « expliquent » ce qui s’est passé, qu’ils élargissent leur expérience propre par une leçon morale à visée universelle, sera déçu. C’est plutôt l’ambiance d’un monde de folie et de hasard que les deux protagonistes nous présentent.

 

Horowitz fut le plus jeune des enfants protégés par Schindler, il a passé plusieurs mois à Auschwitz à l’âge de cinq ans sans être gazé et a retrouvé sa mère après-guerre car elle l’a reconnu dans le film sur la libération du camp. Il ne veut pas cacher ses ignorances personnelles. Du camp d’Auschwitz, il ne se rappelle rien, si ce n’est le jour de sa libération où il a eu très peur des soldats soviétiques. Il a tout lu et tout vu sur la Shoah, mais il n’en dit rien dans ce film.

Comme Polanski, il ne veut pas jouer au moraliste. Or, en restant cantonnés à leur expérience, ces deux hommes font plus que donner une leçon d’histoire, ils nous apprennent comment, à quel prix aussi, ils ont pu non pas survivre, mais vivre après. Pour cela il valait mieux surmonter la mémoire, et l’humour, apparemment cynique, était une arme puissante.

C’est la vérité de cette force vitale qui m’a frappé. Il ne fallait pas se laisser noyer par sa mémoire, ne pas se vivre comme victime et uniquement comme victime. Or, paradoxalement, ce message est le même que celui que répète avec force Samantha Galley, aujourd’hui Samantha Geimer, cette jeune fille que Polanski a violée il y a 45 ans : elle n’a pas voulu jouer le rôle de victime qu’on lui assignait et a toujours été hostile au harcèlement judiciaire contre Polanski. 

Polanski et Horowitz ont pu vivre, et parvenir au sommet de leur art, grâce à une cuirasse mentale qui les protégeait d’un trop plein d’affects, car le souvenir fait mal. Cette cuirasse n’est pas hermétique, elle est traversée dans le film par des remarques fugitives, comme celles où Polanski parle de l’arrestation de sa mère qui ne reviendra pas d’Auschwitz, ou quand, au cours d’une cérémonie de remise de médaille des Justes, il prend dans ses bras le descendant de la très modeste famille de paysans polonais qui lui a permis de survivre. 

La force de ces moments donne à ce qu’un critique a appelé une « déambulation hagarde » sa profonde humanité.

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

 

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