Jean Pierre Allali

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Lecture de Jean Pierre Allali - Les Moreno du Nil, de Joseph Daniel

29 Janvier 2019 | 277 vue(s)
Catégorie(s) :
France

Francis Kalifat a bien connu Robert Castel, durant les dernières années de sa vie. Ce fut une très belle rencontre, il garde en mémoire de beaux souvenirs. Francis Kalifat était présent à son enterrement. 

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À l'aube de 5783, découvrez les vœux de Yonathan Arfi pour Roch Hachana. 

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Les Moreno du Nil. Le siècle d’une famille juive en Égypte, de Joseph Daniel (*)

Par-delà l’histoire d’une famille juive d’Égypte, famille certes emblématique, les Moreno, à laquelle l’auteur est apparenté, c’est toute la saga du judaïsme égyptien, jadis prospère, aujourd’hui quasiment disparu, qui nous est contée. Avec bonheur. Et brio.

Joseph Daniel, qui a compulsé des centaines de documents familiaux et d’ouvrages spécialisés et qui a, par ailleurs interrogé de nombreux membres de la famille, remonte à l’ancêtre désigné comme Nessim 1 ( ?-1930), époux de Sarina Esteban ( ?-1940) jusqu’à aujourd’hui. Nessim 1,  pour le distinguer des autres Nissim qu’il va rencontrer au fil des années. Malgré un arbre généalogique proposé en fin d’ouvrage, on se perd un peu, il faut le reconnaître, dans les mariages, les remariages, les divorces, les enfants et les petits-enfants, souvent très nombreux, des uns et des autres.

Il est certain que les détails spécifiques de caractère, les anecdotes, souvent savoureuses, sur les dizaines de personnages présentés par l’auteur, intéresseront surtout les membres proches ou éloignés de la famille Moreno.

Fort opportunément, Joseph Daniel nous raconte aussi le judaïsme égyptien dans les moindres détails. En nous conduisant du Caire à Alexandrie et d’Héliopolis à Tantah, en passant par Ismaïlia et l’Auberge des Pyramides près de Guizeh.

Les Juifs d’Égypte, environ 80 000 âmes dans les années 1940,  disposent de très nombreux lieux de culte : une quinzaine de synagogues à Alexandrie, dont le Grand Temple Éliahou Hanabi et d’autres , le long des plages. Au Caire, on en dénombre le double dont le Temple Ismaïleya. Héliopolis aussi est bien fournie. Et cela, bien que la jeunesse juive ait tendance à s’éloigner de la religion.

En 1914, un événement inhabituel va troubler les Juifs d’Égypte : la conversion de 22 enfants juifs placés dans des écoles chrétiennes. Les parents, dès lors, préféreront retirer leur progéniture pour éviter la « contagion ». Les écoles juives, pourtant, n’ont pas manqué en Égypte : l’Alliance Israélite Universelle, l’école Abraham Btesh et même, plus tard, dès 1932, l’école Herzl et l’école Jabès.

Dans l’ensemble, une vie paisible qui, au tournant des années quarante va, peu à peu, virer au cauchemar : les 2 et 3 novembre 1945, à l’occasion du 28ème anniversaire de la Déclaration Balfour, c’est l’émeute. Les Juifs sont attaqués au Caire comme à Alexandrie. Bilan : 6 morts et 700 blessés. « Rejet des Anglais et des Juifs se combinent en un magma explosif alors que la perspective d’un État juif commence à prendre consistance ». Puis, dès la création d’Israël, la loi martiale entre en vigueur. Des milliers de Juifs, soupçonnés de sionisme ou de communisme sont arrêtés et enfermés dans des camps de concentration. C’est la panique : Entre 1949 et 1951, 16 000 Juifs  égyptiens rejoignent Israël. Le premier Moreno connu à avoir fait son alyah, c’est Maurice, en 1944. Son frère, Clémy, le rejoindra en 1947. Le 26 janvier 1952, l’incendie d’une partie du Caire, qui sonnera la fin de la monarchie et la prise de pouvoir par les « Officiers libres »,  s’accompagne de déprédations de commerces et d’entreprises juifs. Plus tard, en 1956, l’islam sera proclamé religion d’État et les tribunaux religieux des autres religions seront supprimés. Puis, avec l’affaire du Canal, « le volcan explose à  grand fracas ». 2000 Juifs sont arrêtés et internés dans un camp. En quelques semaines, 14000 Juifs, soit le tiers de communauté  restante, fuient l’Égypte. C’est l’exode, l’exil. Les Moreno du Nil ont tous quitté leur pays au plus tard en 1964. « Ils ont essaimé entre les États-Unis, le Canada, le Brésil, la Guyana, la France, l’Italie, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Suisse, Israël, l’Australie. Sans oublier, pendant des années, la Birmanie, la Malaisie, la Thaïlande. Et aussi, en Afrique, le Libéria, le Cameroun, le Burkina Faso ou encore le Mexique.

On découvre , à la lecture de cet ouvrage très intéressant, que bien que le pays ait été sous domination anglaise, la langue italienne et surtout la langue française, étaient particulièrement  prisées par les Juifs d’Égypte qui, d’ailleurs appartenaient à un panel très diversifié de nationalités. « Chez les Moreno et apparentés, la question de l’identité est assez facile à exprimer : on est Juif d’Égypte et éventuellement-par le passeport-Égyptien, Italien, Français, « sujet local » ou autre. Juif vient en premier »

Au fil des pages, les mets usuels ou favoris des Juifs égyptiens sont égrenés, nous mettant littéralement l’eau à la bouche : les foul médamès (fèves bouillies), le pain chami syrien et son concurrent le pain baladi, le tameya, ( boulettes frites de fèves concassées), la tehina, les cornets de pépins blancs ou noirs, les pistaches, las cacahuètes et les sémits ( petits pains au sésame), les loukoumadis ( beignets au sirop de miel, la doha ( mélange de sésame et de coriandre grillés), le za’tar ( thym, sésame, sumac et sel), la molokheya, , les machchis de courgettes et autres aubergines, la lahma sefrito, les bamias, et, pour les Juifs peu observants, les ritzas, oursins grillés…

« Comme quoi, la cuisine c’est ce qui demeure quand tout le reste a disparu ».

Sans oublier les petits métiers, dont beaucoup sont devenus obsolètes.

Tant que la situation fut stable et tranquille, l’attraction du sionisme auprès des Juifs égyptiens ne fut pas importante. Très peu songèrent, avant les années quarante, à rejoindre les pionniers du yichouv. Cela n’empêchait nullement les familles d’avoir chez elles les petites tirelires bleues et blanches  du KKL.

On découvre avec plaisir et parfois étonnement l’origine égyptienne de certaines personnalités : Roland Moreno, l’inventeur de la carte à puce, président d’Innovatron  et auteur de l’ouvrage Théorie du bordel ambiant . Il sera le premier Moreno dont le nom a été donné à diverses artères et voies publiques en France. ( précision étonnante, Roland Moreno s’est brièvement converti au catholicisme alors qu’il est en classe de troisième, avant de devenir anticlérical et athée), l’ethnopsychiatre Tobie Nathan, Yolanda, dite Dalida, Claude François. Sans oublier l’actrice Leïla Mourad, Juive convertie à l’islam. On apprend aussi que  le père de Gérard Philippe, fut un collaborateur notoire pendant la Guerre.

En sport,  l’équipe du Maccabi de basket-ball fut championne d’Égypte plusieurs années de suite et son joueur vedette, Zouzi Harari emmena l’équipe nationale dans sa victoire contre l’Espagne aux Premiers Jeux Méditerranéens. Elico Moreno remporta, en 1955, le trophée du meilleur nageur  scolaire. En 1956, il est champion du Caire du 100m nage libre et sera sélectionné pour représenter l’Égypte aux Jeux Olympiques de Melbourne en 1956.

Quant à celui auquel on pense immédiatement, le chanteur et comédien Dario Moreno, le créateur  de « chérie je t’aime, chérie je t’adore », c’était une pièce rapportée. En effet, né à Smyrne en 1921, d’une mère juive,  il s’appelait David Arugete !

D’autres précisions nous apostrophent, ici et là : Elico Moreno a côtoyé le futur roi de Jordanie et le futur Premier ministre jordanien ainsi que Michel Dimitri Chalhoub, futur Omar Sharif, quand il n’était pas encore converti à l’islam. Nessim « Z » Moreno a été un proche collaborateur du prince Toussoun et le tuteur de ses enfants aux États-Unis. Ou encore que la première femme arabe aviatrice, Lotfeya El Nadi , était une amie proche des Moreno.

Malgré toutes les vicissitudes endurées, les Juifs d’Égypte conserveront la nostalgie du pays perdu , leur Atlantide, et l’auteur lui-même retournera , en 2000, au pays natal.

Il était une fois, les Moreno du Nil.

De très nombreuses illustrations agrémentent ce livre qui, encore une fois, va certainement enthousiasmer les Moreno de France et de Navarre et interpeller tous ceux que le judaïsme du Nil intéresse. À découvrir.

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions L’Harmattan. Novembre 2018. 300 pages.30 €.