Blog du Crif - Facebook va durcir sa politique sur les contenus négationnistes. Pourquoi ?

13 October 2020 | 60 vue(s)
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France

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Le 10 janvier 2023, Yonathan Arfi, Président du Crif, s'est rendu à la cérémonie en hommage aux victimes de la rafle de Libourne du 10 janvier 1944. Il a prononcé un discours dans la cour de l'école Myriam Errera, arrêtée à Libourne et déportée sans retour à Auschwitz-Birkeneau, en présence notamment de Josette Mélinon, rescapée et cousine de Myriam Errera.  
 

La 12ème Convention nationale du Crif a eu lieu hier, dimanche 4 décembre, à la Maison de la Chimie. Les nombreux ateliers, tables-rondes et conférences de la journée se sont articulés autour du thème "La France dans tous ses états". Aujourd'hui, découvrez un des temps forts de la plénière de clôture : le discours de Yonathan Arfi, Président du Crif.

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Par Marc Knobel

 

Dans un message publié ce lundi 12 octobre, le géant du numérique annonce durcir sa politique sur les contenus négationnistes, désormais traités comme les contenus haineux. De quoi s’agit-il ?

La règle sera la même pour tout le monde sur Facebook. Partout dans le monde, les contenus négationnistes seront supprimés du réseau social au même titre que les contenus haineux, a annoncé le géant du Net.

Expliquons.

Avatar de l’antisémitisme, le négationnisme reprend certains de ses « mythes fondateurs (1)  ». Au cours des années 1980 et 1990, foisonnent des revues négationnistes et des « affaires » habilement orchestrées par des hommes issus de l’extrême droite comme par un courant très actif d’ultra gauche. Le développement de l’historiographie sur le génocide juif, d’une part, et l’interdiction faite -en France notamment- de tenir des propos niant les crimes contre l’humanité, au sens du procès de Nuremberg (2), ont pu freiner les falsificateurs de l’histoire. Mais c’était oublier l’inventivité des négationnistes, capables de médiatiser jusque-là leurs déclarations et de trouver de nouveaux canaux de diffusion.

Quand l’outil Internet se développe, au milieu des années 1990, les négationnistes du monde entier sentent l’opportunité qui s’offre à eux : 

  1. être sur Internet, c’est être visible et anonyme à la fois, hors de portée de certaines juridictions. 

  2. En soi, Internet est un mode d’accès à de la communication, mais il apporte aussi plusieurs innovations sans commune mesure avec ce qui existait précédemment. 

  3. C’est ainsi que quelque chose de fondamental a changé depuis que la planète Gutenberg côtoie celle d’Internet. Car, Internet provoque/encourage une démultiplication du message. 

 

L’historien Laurent Duguet avait expliqué ce processus (3). 

En quelques lignes, résumons ses recherches. 

  1. Grâce à des moteurs de recherches de plus en plus performants, il était/est possible de se voir proposer les adresses URL des principaux sites négationnistes dans le monde et d’avoir accès à des contenus d’ouvrages négationnistes. 

  2. Des mots-clés suscitent une présence non négligeable de sites négationnistes sur les vingt premières réponses de certains moteurs de recherche. 

  3. Ces mots-clés entrent dans le cœur du vocabulaire négationniste. 

 

Le négationnisme se diffuse dans les réseaux sociaux...

Et, Laurent Duguet en faisait la démonstration. En somme, sans l’indexation proposée par les moteurs de recherche, trouverions-nous les sites négationnistes ? 

Mais, par la suite, d’autres considérations se sont ajoutées, avec l’émergence des réseaux sociaux, au début des années 2000. De fait, le négationnisme sur le Net, ne se résumait plus à quelques blogs. Il se diffusait considérablement dans les réseaux sociaux. 

Cela fait plusieurs années que des supporters probables et autres fans de Dieudonné M’bala M’bala, notamment, avaient investi en premier lieu Facebook. Prenons quelques exemples. Les messages qu’ils déposent depuis 2014 sont particulièrement violents. Mais ce sont surtout les messages et vidéos négationnistes qui prennent de l’ampleur. 

Sur Facebook, une page « quenelles » avait repris un photomontage négationniste. On voyait par exemple Adolf Hitler avec la légende suivante : « 6000, 600 000, 6 millions. J'en sais rien, moi. C'est l’intention qui compte. Mais vu le nombre en 2014, c'est à se demander si on n'avait pas installé des couveuses. » Sur un autre compte, une affiche de film est détournée. On y voit Alain Soral. Il porte un casque de soldat américain. Il est écrit: « Un film de Robert Faurisson. Il faut sauver le soldat Soral avec Dieudonné et Alain Soral. Leur mission : sauver la bête immonde. » Là, on affirme que l’on est pour la « séparation de l'État et de la religion de l’Holocauste ». On lisait ceci : « Malgré toutes ces précautions législatives et “éducatives”, des citoyens ont tout de même osé blasphémer cette religion de l'holocauste en effectuant le geste de la quenelle dans des lieux symboliques (wagons de déportation, camp de Birkenau, mémorial...) (4) ». Autre compte, dans une caricature antisémite, on voit un rabbin qui se tient devant l'entrée de Birkenau, avec la légende « Chacun son business... ». Autre page, autre caricature : un personnage écrit « Shoah » au tableau noir. Les élèves réagissent : « C’est à Gaza en live », « c’est du business », « Lire Faurisson pour cela… » Dans « La marche de la quenelle », on trouve un lien vers un site antisémite avec la mention: « Hitler n'est pas mort en 1945 », ainsi qu'un photomontage sur Anne Frank. Dans la page intitulée « Soutien à Noémie Montagne (la compagne de Dieudonné) et Dieudonné », une vidéo est déposée. Ahmadinejad, l’ancien président iranien, y nie la Shoah. Les messages négationnistes se diffusent ainsi.

 

Le négationnisme sur Facebook. Quelle politique chez Facebook ?

Pendant de nombreuses années, les associations antiracistes ont mené un dialogue constant avec les différentes plateformes au sujet du négationnisme, également. Elles ont demandé une régulation des posts et messages négationnistes sur le Net. 

En juillet 2018, sur le site Recode tech news (5), Mark Zuckerberg défendait le refus du géant des réseaux sociaux de supprimer divers contenus offensants. « Je suis Juif et il y a des groupes de gens qui nient que la Shoah a eu lieu », expliquait Zuckerberg à la journaliste qui l’interviewait (6). Cependant, il ajoutait aussitôt : « Je ne crois pas que notre plate-forme devrait les supprimer parce que je pense qu’il y a des choses que les gens ne comprennent pas. Je ne pense pas qu’ils se trompent intentionnellement ». 

Quelques jours plus tard, l’Allemagne critiquait l’annonce faite par le patron de Facebook, dans laquelle il expliquait qu’il ne ferait pas supprimer les posts négationnistes publiés sur la plate-forme de son réseau social, affirmant par ailleurs qu’une telle politique serait contraire à la loi allemande (7). « Il ne peut pas y avoir de place pour l’antisémitisme. Et cela comprend les attaques verbales et physiques contre les Juifs tout comme le déni de la Shoah », répliquait la ministre de la Justice, Katarina Barley. « Ce négationnisme est également pénalement réprimé chez nous et il sera strictement poursuivi ». Au même moment, le directeur-général de l’ADL, à New-York, (Anti-Defamation League) Jonathan Greenblatt critiquait Zuckerberg. Le négationnisme est une « tactique de tromperie volontaire, délibérée et ancienne de la part des antisémites qui est indiscutablement haineuse, blessante et menaçante pour les Juifs. Facebook a l’obligation morale et éthique de ne pas autoriser cette dissémination (8) ». 

Quelques mois plus tard, Facebook était sous le feu de nouvelles critiques après plusieurs récents scandales sur les données privées et notamment une faille dans la sécurité de sa messagerie cryptée Whatsapp. En mai 2019, Mark Zuckerberg brandissait les résultats d'une opération de nettoyage, conduisant à supprimer plusieurs milliards de faux comptes. Confronté à la nette augmentation des tentatives de créations automatiques de comptes à des fins malveillantes, Facebook mettait en avant le chiffre vertigineux de plus de 3 milliards de faux comptes supprimés en six mois (9).  Dans un rapport, le réseau social détaillait aussi les contenus qui enfreignent ses règles d'utilisation. Pour la nudité, la violence, le sexe, les spams, l'exploitation sexuelle des enfants ou la propagande terroriste, Facebook affirmait détecter plus de 95% des contenus avant qu'un usager ne les lui signale. En revanche, cette proportion tombait à 65% pour les propos haineux (racisme, antisémitisme par exemple) et même à 14% pour le harcèlement, plus difficiles à trouver. Le groupe soulignait néanmoins qu'il ne repérait que 38% des discours de haine au premier trimestre 2018 (10).

Et pour le négationnisme ? Dans une lettre du 9 avril 2019, Joel Kaplan, vice-président de la politique publique mondiale de Facebook, réaffirmait la position de son patron. Le site permettra toujours aux utilisateurs de « dire des choses sur Facebook qui sont fausses ou inexactes, même quand elles sont offensantes ». « Nous supprimons tout contenu qui glorifie, défend ou tente de justifier la Shoah », « mais nous n’enlevons pas les mensonges ou les contenus inexacts, qu’il s’agisse de nier la Shoah, le massacre arménien ou le fait que le gouvernement syrien a tué des centaines de milliers de ses propres citoyens (11)  ». Enfin, en juin 2019, Facebook annonçait qu’après le terrorisme et la pédopornographie, il irait transmettre à la justice française, via une procédure simplifiée, les coordonnées de connexion des internautes tenant des propos haineux (racisme, antisémitisme, homophobie) (12). Mais, qu’en est-il de la suppression des contenus spécifiquement négationnistes ? Il n’en était toujours pas question sur Facebook. Or, les contenus négationnistes ne manquaient pas. 

Mais, les choses ont changé le 12 octobre 2020. Ce lundi 12 octobre, Mark Zuckerberg, le patron du géant des réseaux sociaux, revient sur le débat dans un message publié sur sa page Facebook. « J'ai longtemps lutté entre le fait de défendre la liberté d'expression et le préjudice causé en minimisant ou en niant l'horreur de l'Holocauste. Ma propre réflexion a évolué au fur et à mesure que j'ai vu des données montrant une augmentation de la violence antisémite, tout comme nos politiques plus larges sur le discours de haine. Tracer les bonnes lignes entre ce qui est et ce qui n'est pas un discours acceptable n'est pas simple, mais avec l'état actuel du monde, je pense que c'est le bon équilibre », explique-t-il.

Cette annonce est encourageante, certes. On ne peut que s’en réjouir. 

Cependant, il ne faut pas oublier que sur Facebook la régulation a été difficile et surtout bien longue à mettre en œuvre. De nombreuses années ont été perdues et les contenus illicites -profondément racistes et antisémites- ont pu s’y développer et croître le plus tranquillement du monde. Enfin, ultime considération, l’antisémitisme ne s’est pas réveillée en 2020. Cela fait depuis de nombreuses années, qu’il sévit. Il eut été préférable de faire ce constat bien avant. De ce changement, certains commentateurs relèvent qu’au fond et en raison de récents  scandales qui ont entachées la plateforme, FB n’avait pas d’autres choix que de relever le défi de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme … et les fake news. 

 

Notes :

1. Pour l’Historien Pierre Vidal-Naquet, dans Les Assassins de la mémoire, Paris, Maspero, 1981, le négationnisme associe l’hypercritique à la fabulation. L’hypercritique -ou la recherche de la preuve- permet de disqualifier tous les témoignages et les documents gênants. Cf. Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Paris, Le Seuil, coll. « XXe siècle », Paris, 2000, 691 pages.

2. Le procès des criminels de guerre nazis à Nuremberg innove et jette les bases d'un droit mondial. Parmi les nouveautés: la notion de crime contre l'humanité, une Cour internationale. Voir à ce sujet Bruno Gravier et l’Association française de criminologie. Congrès, Association lyonnaise de criminologie et d'anthropologie sociales, Le crime contre l'humanité, Paris Erès, 1996, 303 pages ; José Santuret, Le refus du sens: humanité et crime contre l'humanité, Paris, Ellipses, 1996, 186 pages ; Annette Wieviorka, Le procès de Nuremberg, Paris, Editions Liana Levy, 2017, 312 pages.

3. Laurent Duguet, « La haine raciste et antisémite tisse sa toile en toute quiétude sur le Net », Les Études du CRIF, n° 13, novembre 2007, 32 pages.

4. Marc Knobel, « Antisémitisme et négationnisme sur Facebook: comment lutter contre la haine virtuelle? », Huffington Post, 12 mai 2014.

5. Kara Swisher, «  Full transcript: Facebook CEO Mark Zuckerberg on Recode Decode », vox.com, 18 juillet 2018.

6. The Times of Israel, « Berlin dénonce Zuckerberg pour son refus de supprimer les posts niant la Shoah », 22 juillet 2018.

7. Idem.

8. Idem.

9. Capital.fr, « Facebook supprime de faux comptes par milliards et refuse tout démantèlement », 24 mai 2019.

10. Idem.

11. Ben Sales, « Facebook supprime les comptes des racistes, mais tolère la négation de la Shoah », The Times of Israel, 6 mai 2019.

12. Thierry Noisette, « Facebook fournira désormais à la justice française les adresses IP des auteurs de propos haineux », L’Obs, 25 juin 2019.