Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Lectures de Jean-Pierre Allali - Le fantôme d’Odessa, par Camille De Toledo et Alexander Pavlenko

21 Juin 2022 | 305 vue(s)
Catégorie(s) :
Opinion

Mardi 16 juillet 2024, s'est tenue la cérémonie nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d'hommage aux Justes de France, commémorant la rafle du Vél d'Hiv organisée par le Crif en collaboration avec le Ministère des Armées. Cette année, à l'approche des Jeux Olympiques, la cérémonie s'est tenue au Mémorial de la Shoah. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé, dans un contexte national et international difficile.

Pages

Le fantôme d’Odessa, par Camille De Toledo et Alexander Pavlenko (*)

 

Ce n’est pas la première fois que ces deux auteurs utilisent le moyen de la bande dessinée pour nous présenter un personnage célèbre. En 2018, c’est le père du sionisme, Theodor Herzl, qui a été le héros de leurs dessins (1). Dans cette nouvelle production, « les projecteurs sont dirigés vers l’écrivain russe Isaac Babel assassiné le 27 janvier 1940 sur ordre de Staline.

À travers cette BD aux couleurs souvent sombres comme le récit qui nous est rapporté, c’est toute la vilénie, l’hypocrisie, le mensonge et la folie meurtrière d’un régime auquel, hélas, des millions de personnes avaient fait confiance.
Isaac Babel ne fut pas le seul à subir l’horreur du régime stalinien, loin s’en faut, mais sa tragique épopée est exemplaire. Natif d’Odessa, il se maria deux fois, avec Evguenia Gronfein puis avec Antonia Pirojkova et eut trois enfants : Nathalie, Lydia et Misha.

Par-delà l’épopée personnelle de Babel, nous découvrons la vie animée d’Odessa, ville turbulente, pleine de vie où sévissaient des bandits juifs avec, à leur tête, le « Roi », Bénia Krik. Un anarchiste lié aux bolchéviques qui, finalement, sera trahi par eux. Ami du grand cinéaste, S.M. Eisenstein, Babel lui avait d’ailleurs proposé un scénario sur la mafia juive. Le projet n’eut finalement pas de suite.

Nathalie et sa mère, ayant senti le vent tourner, avaient rejoint la France. C’est par les nombreuses lettres qu’il adressa discrètement à sa fille qu’on connaîtra le sort funeste de Babel, arrêté pour des motifs fantaisistes, une activité d’espionnage au profit de la France, incarcéré à la prison moscovite de la Loubianka, torturé sans relâche et finalement exécuté. Babel, avouera, dans ses lettres à sa chère Natachenka, regretter d’avoir été aveugle et de ne pas avoir, lui aussi, choisi l’exil et la liberté en Occident . « Quelle bêtise ! Quelle bêtise a poussé dans ce pays ». « La Révolution est une grande boucherie ». Ou encore : « Pourquoi, après le congrès, quand j’étais à Paris ne suis-je pas resté avec vous ? Je suis un idiot ».

En conclusion : « La Russie est une prison sous le ciel, et moi, ton père, je ne suis pas un oiseau ».

Isaac Babel, enfant, avait connu les pogromes que subissaient régulièrement les Juifs d’Union soviétique, mais, comme de nombreux coreligionnaires, il commit l’erreur de croire en la Révolution. Il le paya très cher. Longtemps, le pouvoir russe laissa croire qu’il était en vie.

Une BD surprenante. A découvrir !

 

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions Denoël. Mai 2021. Suivi d’une conversation des auteurs avec Sophie Benech. 224 pages, grand format. 24,90 €.

(1) Éditions Denoël. Mars 2018. Voir notre recension dans la Newsletter en date du 3 octobre 2018.