Jean-Pierre Allali
Comment ça va pas ?, Conversations après le 7 octobre, par Delphine Horvilleur (*)
Le pogrom du 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas en terre d’Israël a été ressenti par nombre de Juifs à travers le monde comme une nouvelle Shoah. Le traumatisme est certain et, quelle que soit l’issue du conflit que ce drame a engendré, rien, pour le peuple juif, ne sera plus comme avant. La rabbine Delphine Horvilleur, pour exprimer son ressenti, a choisi de nous proposer des conversations. Dix conversations, réelles ou imaginaires : avec sa douleur, avec ses grands-parents, avec la paranoïa juive, avec Claude François, avec les antiracistes, avec Rose, avec ses enfants, avec ceux qui lui font du bien, avec Israël et avec le Messie. Dans ces conversations, la mameloshen, la langue maternelle assassinée par Hitler et ses sbires, le yiddish, renaît de ses cendres. « Oye vae », « Oy vavoy », « Oy vae iz mir ». Bref, « Oy a brokk ». « Quelle malédiction ! », « Quelle journée de m. ! » . Au Moyen-Âge, on demandait à son prochain comment il va… à la selle. Une façon de s’inquiéter de sa santé. De nos jours, c’est devenu : « Comment ça va » et, face aux événements tragiques que nous vivons, la tentation est grande de répondre : « Ça va pas bien ! ». Et, comme dirait la grand-mère de l’auteure : « Meidelé, pourqwa ti cherches dey réponses don les livres dé fronçé ? Dans quel bite ? ». Depuis le 7 octobre, la rabbine ne compte plus les paroissiens désorientés qui viennent évoquer leurs peurs et leurs appréhensions.
« Donna, donna, donna… » de Claude François, vous connaissez ? Eh bien ce tube est tout droit issu d’une mélodie yiddish qui parle d’un pauvre veau qu’on conduit à l’abattoir. Clo Clo, ce mamzer, ce bâtard, dans sa chanson, nous parle en fait d’antisémitisme ! « Antisémitisme ». Un vocable inventé, au XIXème siècle par le journaliste allemand Wilhelm Marr. « Les vendeurs de la haine antijuive ne proposent pas d’autre camelote aujourd’hui ». Ou alors sous la forme déguisée de l’antisionisme. Camouflée, la haine des Juifs est aussi bien véhiculée par un ancien Premier ministre que par les Antivax ou certains Gilets jaunes.
Rose est atteinte de la maladie de Charcot et ne peut s’exprimer qu’au moyen d’un appareil. Elle converse régulièrement avec la rabbine mais, depuis le 7 octobre, les choses ont changé. « Rose m’a soudain tendu un miroir qui me forçait à voir mon visage et pas juste le sien ».
Il n’y a pas que les adultes que le 7 octobre a bouleversés. Les enfants de Delphine Horvilleur l’apostrophent : « Dis, maman, pourquoi ça recommence ? Pourquoi c’est toujours à nous qu’on s’en prend ? ». Les Juifs seraient-ils des schlemil, des poissards sur lesquels la foudre tombe toujours ? Par prudence, la rabbine a demandé à ses enfants de ne plus arborer leur Maguen David. Même le chat de la famille a, d’une certaine manière, subi les conséquences de cette vague antisémite. On avait prévu de l’appeler « Bathshalom » mais l’idée a été abandonnée car « Le chat Bathchalom », c’était trop juif. De nos jours, le soldat israélien « à la musculature puissante et à la mâchoire bien carrée » est devenu l’homme à abattre car c’est un mâle qui fait le mal au détriment des pauvres Palestiniens. La guerre contre le Hamas serait, dès lors, en quelque sorte une guerre des sexes.
Dans ce conflit meurtrier qui oppose l’État juif aux terroristes du Hamas, Delphine Horvilleur tente d’analyser la situation en étant à l’écoute de ses frères juifs mais aussi des Palestiniens et des Arabes en général. « Depuis le 7 octobre, certaines conversations amicales me sauvent de la noyade ». Voici Wadji Mouawad, hanté par la guerre du Liban qui avoue avoir été éduqué dans la haine des Juifs, mère de toutes les haines. Et voici aussi Kamel Daoud, marqué par les douleurs de l’Algérie ensanglantée, 200 000 victimes qui n’intéressent pas grand monde parce qu’elles n’ont pas été tuées par des Juifs. Voici encore Mahmoud Darwich, célèbre poète palestinien qui , par ailleurs, occupe le préambule de ce livre ( Et c’est le poète israélien Yehuda Amichaï qui est en clôture), pour qui les Palestiniens ne sont célèbres que parce que leurs ennemis sont juifs. « Si nous étions en guerre contre le Pakistan, personne n’aurait entendu parler de nous ».
« Comment libérer la Palestine de ceux qui l’instrumentalisent et la violentent, en affirmant précisément la défendre ? » se demande Delphine Horvilleur et elle ajoute : « Comment sauver Israël d’un gouvernement en déliquescence politique et morale qui se perçoit comme seul légitime et fidèle au judaïsme ? ».
Les antisémites ne savent plus quoi inventer pour salir les Juifs. Certains vont même jusqu’à affirmer de manière péremptoire que les hommes juifs ont des menstruations et qu’ils saignent par la faille de leur prépuce absent ou par hémorragie rectale. Hémorroïdes ! Et mort aux Yids ! On finit par se dire que si demain, la race animale des zèbres disparaissait, ce serait la faute aux Hébreux. Le monde est dans la mouise, c’est la faute à Moïse ! « Oy Vae » est l’anagramme de « Yeova ». Oui, mais où est donc Ornicar ?
Époustouflant ! Décapant !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Grasset, mars 2024, 160 pages, 16 €.
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