Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le Billet de Richard Prasquier - L’assassinat de Sarah Halimi et la question de la responsabilité

22 Juin 2023 | 217 vue(s)
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France

Découvrez mon discours prononcé lors de la plénière de clôture de la 11ème Convention nationale du Crif, le 14 novembre 2021, en présence du Premier ministre Jean Castex.

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Antisémitisme

Meyer Habib, il y a ceux qui l'aiment et ceux qui l'ont en exècre. Mais on ne peut en aucun cas tolérer un tel déferlement de haine antisémite.

Discours prononcé lors de la Plénière de clôture.

"Les juges d’instruction viennent enfin de rendre leur décision dans le meurtre barbare de Sarah Halimi, dans une ordonnance rendue le 12 juillet dernier. Elles estiment qu’il existe des "raisons plausibles" de penser que le discernement du suspect était "aboli" au moment des faits. Si elle est sans surprise, cette décision reste difficilement justifiable."

Ma réaction après l'annonce du report du vote de l'Assemblée nationale pour l'adoption de la définition de l'antisémitisme de l'IHRA. L'Assemblée nationale a également annoncé qu'avant d'être examinée, la proposition de résolution serait réécrite.

Dans cette éditorial, je m'exprime sur la décision du parquet de Paris de s'opposer à l'incarcération d'Alain Soral. Une décision que je juge inacceptable.

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Opinion

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C’est une histoire horrible. C’est une histoire qui passe d’autant moins qu’elle est beaucoup passée sous le radar des médias et que dans leurs protestations, les Français juifs se sont souvent sentis assez seuls.

Un livre, L’invisible de la rue Vaucouleurs, un film, celui de François Margolin et Noémie Halioua qui sera diffusé sur RMC Story le 2 juillet 2023 et la lecture du rapport et des débats de la Commission parlementaire présidée avec énergie par Meyer Habib, et notamment les considérations qu’il a signées avec François Pupponi qui sont jointes au rapport qu’ils ont tous deux refusé d’approuver, permettent d’appréhender un fiasco qui est aussi bien policier que judiciaire, et sur lequel la lumière complète reste à faire. Sans compter le comportement particulièrement odieux et négligent, mais parfaitement légal de la juge d’instruction Madame Anne Ihuellou.

La justice a tranché et il n’y aura pas de révision, mais les interrogations persistent. Je voudrais m’attarder ici sur la notion de responsabilité et ses ambiguïtés.

Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, rue Vaucouleurs à Paris une femme de 66 ans, médecin puis directrice de crèche, est sauvagement frappée pendant plus de vingt minutes par un homme qui, avant de la jeter du troisième étage, alors que les voisins sont réveillés par les hurlements de la malheureuse, lance à la cantonade un mensonge perfide et sophistiqué : « Attention, une femme va se suicider ! ». 

Quatre ans plus tard, le 14 avril 2021, la Cour de Cassation, confirmant l’arrêt de la Chambre d’accusation, déclare Kabili Traoré irresponsable au titre du premier alinéa de l’article 122 du Code pénal qui dispose que « n’est pas responsable la personne atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ayant aboli son discernement ». Deux collèges de trois psychiatres avaient abouti à cette conclusion, alors que le premier expert, le Docteur Zagury, avait conclu à une simple altération du jugement, ce qui aurait rendu le justiciable punissable. 

« En France, on ne juge pas les fous », suivant la formule consacrée…

Précisément, Kabili Traoré n’est pas fou. Son comportement après le meurtre avait fait poser le diagnostic de bouffée délirante aiguë. Une telle bouffée peut être un mode d’entrée dans la schizophrénie, c’est ce que pensait, à tort, le deuxième collège d’experts, ou n’être qu’un coup de tonnerre unique, comme le pensait le troisième groupe de psychiatres qui l’attribuaient à la simple prise de cannabis. 

Croire que Traoré a piégé les professionnels à l’époque des faits en simulant un comportement de dément, c’est lui attribuer une habileté peu vraisemblable. Ce qui pose problème n’est pas le diagnostic de bouffée délirante aiguë, c’est l’assimilation automatique de ce diagnostic à une abolition du discernement. Cela implique une rupture complète du comportement par rapport au passé. Mais pour connaître le comportement passé une ou deux consultations psychiatriques à distance des faits ne suffisent pas. Il faut aussi une enquête judiciaire. C’est cette enquête que la juge d’instruction a complètement négligée. C’est impardonnable.

Il n’y a pas de raison médicale de garder Traoré en hôpital psychiatrique fermé. De fait, il semble qu’il y continue le trafic de drogue, pour lequel il avait écopé d’une vingtaine de condamnations, dont l’efficacité reste pour le moins à démontrer. Et il revient parfois rue Vaucouleurs où lui et ses « potes », que la justice n’a même pas interrogés pendant l’instruction, sont les caïds du quartier, et expriment une haine des Juifs qu’on a ressentie lors de la marche silencieuse en mémoire de Sarah Halimi, laquelle d’ailleurs n’avait pas caché la peur que lui inspirait Traoré. 

Celui-ci a déclaré à la juge d’instruction que la vue d’une Torah et d’un chandelier chez Madame Halimi avait excité sa colère. C’est matériellement faux, mais il n’importe : quelle belle continuité antisémite entre le Traoré « normal » et le Traoré en bouffée délirante !

Il garde d’ailleurs un excellent sens de l’organisation temporelle et spatiale : il sait que ses cousins Diarra sont mitoyens de Sarah Halimi. Il déboule chez eux à 4 heures du matin, fait ses prières et ses ablutions, met des sous-vêtements neufs et va faire de l’acrobatie nocturne vers le balcon difficile d’accès de Madame Halimi...

C’est la juge d’instruction qui a commandité une seconde expertise, ce qui est exceptionnel, et laisse penser que la conclusion du Docteur Zagury ne lui convenait pas.

La Cour de Cassation a souligné, à la stupéfaction de beaucoup, que la prise de toxiques ne changeait pas les critères de responsabilité tant qu’il n’était pas prouvé que ces toxiques avaient été pris dans le but de commettre le crime. Personne n’a évidemment pu démontrer que Traoré, dont on sait qu’il avait cherché à se défoncer ce soir-là, l’avait fait en prévision du crime qu’il allait commettre, mais personne ne peut démontrer l’inverse.

Les juges, sous le parapluie des experts psychiatres, ont respecté le droit et ont délaissé la justice

La préméditation, la continuité dans l’antisémitisme, l’organisation temporo-spatiale parfaite, est-ce que tout cela ne montre pas qu’une partie au moins du discernement était préservée et que la rupture avec le passé n’était pas totale ?

Le mot totem de discernement mériterait d’être défini. Est-ce la capacité à juger d’une situation avec clarté ou la capacité à distinguer le bien et le mal dans une situation donnée ? L’histoire du mot s’étend insidieusement du premier sens vers le second, mais ceux-ci ne se recouvrent pas. 

Si c’est le deuxième sens, il ne faut pas jouer à l’autruche. Il peut y avoir des différences essentielles entre ce qui est considéré comme le bien et le mal suivant l’environnement culturel ou religieux dans lequel on baigne. Lorsque Traoré prie et fait ses ablutions avant d’assassiner Madame Halimi, ce n’est pas être islamophobe que de dire qu’il exprime sa vision personnelle du bien et du mal. 

Évacuer ces différences sous prétexte d’irresponsabilité lorsqu’elles deviennent paroxystiques et homicides est une autre manifestation de ce déni qui nous pousse à ne pas les combattre. 

 

Richard Prasquier, Président d'honneur du Crif 

 

 

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