Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - De Trump à la Russie, où va la démocratie ?

17 Novembre 2022 | 96 vue(s)
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Aux midterms américaines, après les deux derniers résultats, ceux d’Arizona et du Nevada, les démocrates gardent la majorité au Sénat. C’est une défaite majeure pour les Républicains, et notamment pour les candidats adoubés par Donald Trump, dont l’annonce de candidature à la présidentielle de 2024 n’a pas soulevé l’enthousiasme des foules.

En Arizona, le sénateur élu est l’astronaute Peter Kelly, époux de Gaby Giffords, représentante au Congrès et d’origine juive, qui fut, il y a 15 ans, gravement blessée à la tête dans un attentat par un tueur complotiste.

Kelly est l’antithèse de Trump, lequel malgré son slogan MAGA, Make American Great Again, s’était bel et bien fait réformer pendant la guerre du Vietnam grâce à un certificat médical bidon et avait osé qualifier de loser un héros de cette guerre, le précédent sénateur de l’Arizona, John Mc Cain.

Aujourd’hui, c’est Trump qui risque d’être considéré comme un loser. C’est une insupportable blessure narcissique qui risque de plus de détourner de lui des électeurs restés impavides alors qu’on accusait leur idole d’être un séditieux, un menteur, un complotiste, un ignorant et un danger pour la démocratie. C’est là le destin des chefs dans certaines tribus primitives. S’ils présentent une faiblesse, ils sont éliminés.

Le retour à un parti républicain légaliste est une excellente nouvelle pour la démocratie. Mais la mise à l’écart de Trump ne résoudra pas à elle seule un problème majeur, celui de la popularité des « vérités alternatives » qui n’est pas limitée aux États Unis et est probablement consubstantielle à la nature humaine.

« La démocratie est le pire système de gouvernement à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire ». Cette phrase hypercélèbre de Churchill se trouve dans un discours de 1947, alors qu’il n’était plus que le chef de l’opposition et qu’il cherchait à préserver le pouvoir de veto de la Chambre des Lords, un organe dont le recrutement n’était pas tout à fait démocratique…

Nos démocraties sont fragiles. Sur elles pèse la tare d’avoir permis l’arrivée au pouvoir de Hitler. Platon déjà fustigeait les régimes démocratiques. Pouvoir de la majorité et souveraineté populaire, certes, mais il faut aussi préserver les droits de la minorité. Ce qui suppose un pouvoir judiciaire technique et indépendant du politique et au-delà une adhésion à une morale universaliste acceptant les hommes comme des égaux. Ces considérations sont parfois remises en cause aujourd’hui.

De plus, la majorité peut être ténue et son mode de calcul n’est pas univoque. Trump lui-même n’avait pas obtenu en 2016 la majorité des suffrages des électeurs américains, mais celle des grands électeurs, système fédéral oblige. Et certaines majorités sont si faibles que les résultats électoraux se rapprochent d’un coup de dés. Il est aisé de refaire le match en se demandant ce qui se serait passé si tel ou tel événement n’avait pas eu lieu ou si telle ou telle alliance s’était produite. Mais la marque des démocraties est la régularité du scrutin et leur dignité est l’acceptation du résultat par le perdant.

Pour les juges, leur impartialité peut être  ponctuellement interrogée, mais leur mise en cause systématique sort du cadre démocratique. Quant au remplacement dans la cité de la loi des hommes par la loi de Dieu, l’expérience montre qu’elle n’améliore pas la qualité de la loi, et il n’est pas sûr qu’elle améliore la sérénité de Dieu. Les démocraties sont un modèle imparfait, mais la phrase de Churchill, aussi opportuniste qu’ait été le contexte dans lequel elle a été prononcée, reste notre boussole.

Il faut se méfier des qualificatifs qu’on ajoute au mot démocratie. On a connu des démocraties populaires qui n’étaient ni démocratiques, ni populaires. De Russie encore, vient aujourd’hui le concept de « démocratie souveraine » qui correspondrait mieux à l’âme profonde du pays, avide d’ordre, de sécurité et de verticale du pouvoir, qui doit se défendre contre les attaques réitérées  de l’Occident. C’est un concept théorisé par l’éminence grise de Poutine, Vladislav Surkov, qui prend le nom de Vadim Baranov dans le livre passionnant de Giuliano da Empoli, le Mage du Kremlin, écrit plus d’un an avant l’invasion de l’Ukraine et dont certains passages sont prophétiques.

On y voit le champion d’échecs Gary Kasparov s’adresser à Baranov : Votre démocratie souveraine est à la démocratie ce que la chaise électrique est à la chaise… Aux échecs les règles restent les mêmes mais le vainqueur change. Dans votre démocratie souveraine, les règles changent, mais le vainqueur est toujours le même.

Les pays qui aujourd’hui soutiennent la Russie ont presque tous eux aussi un système national de « démocratie souveraine » qui n’a de démocratie que le nom et qui a parmi ses objectifs l’affaiblissement de l’Occident. Ne soyons pas dupes. Nos démocraties imparfaites méritent d’être défendues.

Richard Prasquier