Jean-Pierre Allali
Après notre étude sur les Juifs de Finlande, voici, comme convenu et pour coller à l’actualité qui fait que le conflit russo-ukrainien est en train de s’étendre à d’autres pays, un regard sur les Juifs de Suède.
L'implantation des Juifs au pays des Vikings est relativement récente. Si quelques individus juifs isolés ont pu résider en Suède avant le 18ème siècle, cela n'a été que d'une manière illégale et limitée dans le temps. En effet, la loi du pays imposait alors à tous les habitants d'être de religion chrétienne. La conversion était donc obligatoire pour tout résident permanent.
On a une preuve de cette pratique grâce à un document datant de 1680 qui a été conservé : un groupe de Juifs adresse alors une supplique au gouvernement afin d'obtenir le droit de vivre en Suède sans avoir à se convertir. Il faudra cependant attendre 1718, sous le règne de Charles XII, pour que les Juifs soient enfin autorisés à vivre en Suède sans être obligés de devenir chrétiens.
Avec, toutefois, une condition drastique : ne pas résider dans les grandes villes. Nombreux sont alors les Juifs d'Allemagne qui choisissent de s'installer en Suède. Plus tard, venus d'Europe de l'Est, d'autres coreligionnaires les rejoindront. Alors qu'en 1734, on dénombrait officiellement huit Juifs vivant à Stockholm, leur nombre va peu à peu augmenter.
En 1774, sous le règne de Gustav III, un graveur de sceaux et mercier originaire de Poméranie, Aron Isaac, obtient la permission de résider, avec sa famille, à Stockholm. Dès lors, peu à peu, une petite communauté se crée et, en 1776, un cimetière juif, Aronsberg (du nom d'Aron Isaac) est autorisé. Au fil des ans, la communauté juive obtient des prérogatives supplémentaires. Dès 1779, les Juifs peuvent s'établir officiellement dans la capitale ainsi qu'à Göteborg, Karlskrona et Norrköping. Une large autonomie est accordée aux Juifs en matière de religion, de mariage ou d'héritage.
Il faudra attendre cependant le 30 juin 1838 pour voir le roi Charles XIV signer un décret abolissant les restrictions de toutes sortes imposées jusque-là aux Juifs. Autre ouverture, en 1840 : le droit pour les Juifs d'épouser des non-Juifs. En 1870, les Juifs de Suède reçoivent le droit de vote. Il faudra cependant attendre 1952 pour pouvoir être nommés à des postes ministériels alors réservés aux membres de l'Église luthérienne.
En 1880, il y avait 3000 Juifs en Suède. Ils sont 6112 en 1910 et 7044 en 1930. La période sombre de la Shoah verra un grand nombre de Juifs fuir les pays occupés par les Nazis pour s'installer en Suède. 900 Juifs norvégiens et 8000 Juifs danois y trouvent ainsi refuge. C'est à cette époque que le fameux diplomate suédois, Raoul Wallemberg, use de son influence pour sauver les Juifs hongrois et que la Croix Rouge Suédoise, dirigée par Folke Bernadotte sauve 20 000 prisonniers des camps de concentration.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la communauté juive est renforcée par l'arrivée de Juifs finlandais et baltes. Mais la plupart de ces derniers ne resteront pas en Suède, choisissant plutôt les États-Unis, l'Australie et Israël.
En 1956, ce sont 550 Juifs hongrois fuyant la « révolution » qui s'y réfugient, puis, en 1968, 3000 Juifs polonais et autant de Tchèques. Quelques centaines de « yordim » ont également, au fil des ans, quitté Israël pour venir vivre en pays viking tout comme un nombre non négligeables de Juifs d'Afrique du Nord dont des « Tunes » comme le célèbre romancier Claude Kayat, auteur du truculent « Mohamed Cohen ».
En 2022, environ 18 000 Juifs vivent en Suède, constituant la Judiska Församlingen, affiliée au Congrès Juif Mondial. 10 000 vivent à Stockholm, 3000 à Göteborg, 600 à Malmö et 4400 répartis dans le reste du pays. Il y a trois synagogues à Stockholm, la Grande Synagogue, de rite massorti et deux autres de rite orthodoxe dont l'une avec mikvé, une à Göteborg, une à Malmö et une à Norrköping. La communauté est dirigée par Lena Posner Körösi.
Les activités communautaires sont nombreuses et variées : l'école juive de Stockholm compte plusieurs centaines d'élèves. En général les jeunes fréquentent, selon leur sensibilité, le Bné Akiva, l'Ihoud Habonim ou encore le Maccabi. Une association d'étudiants juifs propose toutes sortes de programmes, souvent en coordination avec les jeunes Juifs danois ou norvégiens.
Une maison de retraite et un dispensaire sont à la disposition de la communauté. Il existe également une Fédération Sioniste de Suède. Enfin, le Musée Juif de Stockholm propose aux visiteurs de très beaux objets rituels, des photographies et des tableaux.
On peut noter, parmi les grands noms juifs de Suède, l'écrivaine Nelly Sachs (18791-1978), prix Nobel de littérature en 1966.
La cacheroute pose de gros problèmes techniques en Suède ou seul l'abattage rituel des volailles est autorisé. Dès lors, la viande consommée par les Juifs suédois est importée, notamment des États-Unis. Régulièrement, il est question d'interdire la circoncision. Quant au Chabbat, c'est un véritable casse-tête. La proximité du Pôle Nord fait qu'il existe en Suède des endroits où le soleil ne se couche pas en été. C'est ce qu'on appelle « les nuits blanches ». D'où la sage décision rabbinique de compter une journée de 25 heures en se référant à la ville de Tornheim, située le plus au nord du pays.
Mais le problème le plus grave que rencontre la communauté juive depuis quelques années est celui de la montée en flèche d'un antisémitisme nouveau. L'implantation récente, mais numériquement importante, de populations arabo-musulmanes en Scandinavie (À Malmö où ne vivent que quelque 600 Juifs, 50% des habitants sont des Arabo-Musulmans) s'est traduite, à travers un supposé soutien à la cause palestinienne, par un antisémitisme exacerbé et violent. Et ce malgré le fait que depuis 1994, le racisme est considéré comme circonstance aggravante lors de délits et que le port de symboles nazis est prohibé par la loi. Déjà, en 2013, le Comité Suédois contre l'Antisémitisme, le SKMA, avait relevé le caractère raciste d'une campagne promotionnelle d'un documentaire intitulé « L'Histoire des Juifs ». En janvier 2015, un journaliste non-juif, Petter Ljunggren a voulu tenter l'expérience en portant une kippa dans les rues de Malmö. Il a très rapidement été insulté, a reçu des œufs et des tomates et a quasiment été lynché. Nombreux sont les Juifs suédois qui évitent désormais tout signe extérieur religieux en public. Il n'est pas facile d'être juif en Suède en 2022.
Jean-Pierre Allali
Illustration : La Grande Synagogue de Stockholm.