Tribune
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Publié le 23 Août 2012

Ne pas laisser Israël seul face à l’Iran

Par Patrick Klugman

 

Il en va des nations comme des personnes. On a toujours tort de sous-estimer leur dimension psychologique, pour apprécier leur comportement. La crise, qui s’élève ces derniers jours entre Israël et l’Iran,  n’échappe pas à cette règle.

Du côté de Jérusalem, il ne se passe pas une journée sans qu’il ne soit fait état dans la presse, d’une rumeur de frappe imminente sur les installations nucléaires iraniennes. Le régime des mollahs n’est pas en reste : le président Ahmadinejad ayant sobrement déclaré pour célébrer la « journée mondiale d’Al Quds » qu’Israël était « une tumeur cancéreuse qui allait bientôt disparaître ».

 

Si la diffusion de ces rumeurs rend une action imminente peu probable, elle signifie en revanche que l’option militaire est sérieusement envisagée.

 

Vu du quai d’Orsay ou d’autres chancelleries occidentales, la perspective d’une action de Tsahal pourrait apparaître tout aussi fantasque que les promesses d’extermination exprimées par M. Ahmadinejad.  Il n’est pas certain que cette approche soit la plus pertinente.

 

Évidemment, les raisons qui rendent une frappe israélienne en Iran délicate en l’état actuel des choses sont bien connues. Il n’est pas question de les sous-estimer.

 

La première et non la moindre est que si une attaque surprise était réellement envisagée, nous ne serions pas ici en train de la commenter. L’art de la guerre – et les Israéliens y sont rompus plus que d’autres – tient tout entier dans la maxime « y penser toujours, n’en parler jamais ».

 

Par ailleurs, les spécialistes des questions stratégiques doutent de l’efficacité de frappes ciblées pour atteindre des installations secrètes et enfouies. Les dégâts collatéraux seraient considérables et le résultat militaire hypothétique. Ils doutent, surtout, de la possibilité pour les avions israéliens de les atteindre sans l’appui logistique d’un pays tiers. Or, le rafraîchissement très net des relations avec la Turquie, allié d’hier, ne milite pas dans un sens favorable à une intervention armée.

 

L’opération serait hardie pour ne pas dire hasardeuse, sans le soutien des États-Unis. Or, ce n’est certainement pas une décision que prendrait Barack Obama en campagne électorale à trois mois du scrutin présidentiel.

 

Si une intervention armée d’Israël semble compromise en l’état actuel des choses, ce pronostic pourrait rapidement se trouver démenti dans les faits par une donnée qui rend toutes les autres caduques ou secondaires.

 

Le péril iranien est perçu de manière inversée en Europe et en Israël. Nous l’estimons lointain géographiquement et hypothétique dans sa nature.

 

L’appréciation des choses est radicalement différente, vue de Tel-Aviv. Le président iranien, à la tête d’un régime fondamentaliste, est lancé dans une course ruineuse à l’arme nucléaire que rien ni personne ne semble être en mesure d’arrêter et, dans le même temps, il n’a de cesse de prophétiser la destruction d’Israël.

 

De plus, Israël confronté depuis sa création à l’exiguïté de son territoire et à l’hostilité de ses voisins est convaincu que le moindre faux pas stratégique lui serait fatal dans l’évaluation des dangers. Il ne doit jamais et à aucun prix se retrouver en position d’agressé. Deux guerres, aux causes inverses, ont profondément concouru l’établissement de cette doctrine : celle des six jours (1967) et celle de Kippour (1973).

 

Dans le premier cas, Israël, au vu des déclarations de plus en plus menaçantes du raïs égyptien Nasser appelant – déjà – « à jeter les sionistes à la mer » et de sa décision de fermer à la navigation le détroit de Tiran, avait décidé de frapper en premier et par surprise au matin du 5 juin 1967. La destruction de l’aviation égyptienne au sol avait assuré à Israël un avantage stratégique qui a modifié les frontières du Moyen-Orient jusqu’à aujourd’hui.

 

À l’inverse, en 1973, l’agression surprise au soir de la fête juive du Grand-Pardon par les armées égyptiennes avait laissé l’armée israélienne désemparée et désorganisée. Il s’en est fallu de peu pour que l’existence d’Israël s’arrêtât là.

 

Évidemment, cette conception de la « guerre préventive », pas toujours assumée, est à rebours des conventions internationales selon lesquelles, celui qui entame les hostilités se met en tort. Golda Meir, ancien premier ministre israélien avait résumé les choses à sa manière : « nous préférons recevoir vos condamnations que vos condoléances ».

 

La crise iranienne traduit cet écart d’expérience et d’analyse.

 

Les puissances occidentales voient dans Ahmadinejad, un dictateur d’opérette à la sauce islamique, qui n’a pas encore les moyens de ses ambitions destructrices.

 

Israël, fidèle à son histoire et à sa doctrine d’auto défense ne voudra pas assumer le risque, aux dépens de ses intérêts vitaux, de vérifier, si le président iranien doit être pris au sérieux. L’état hébreu pourrait être tenté, s’il pense qu’il y est acculé, d’appliquer un principe de « précaution militaire », indépendamment de toutes les autres considérations qui rendraient l’opération aventureuse ou déraisonnable.

 

Évidemment, l’affrontement armé n’est pour l’heure, ni certain, ni souhaitable. Il nous incombe la responsabilité première de l’éviter en nous interposant dans le face à face entre Israël et l’Iran. En l’occurrence, on aurait tort de sous-estimer le rôle que pourrait jouer une parole de fermeté, qui fait cruellement défaut, quoi qu’en disent nos marquis de Norpois rompus aux réprobations convenues.

 

Les Israéliens éprouvent le besoin existentiel de sentir qu’ils ne sont pas seuls face à leur destin. Les Iraniens souhaitent être pris au sérieux, jusque dans leur folie nucléaire.

 

Dans ces circonstances, il revient à la France et à l’Europe d’élever un avertissement suffisamment fort pour être entendu, qui vienne dire aux premiers qu’instruits de la douloureuse expérience de la Shoah que nous avons en partage, nous comprenons leur crainte et aux seconds que nous ne laisserons se concrétiser ni leur projet, ni leurs menaces.

 

Cette parole si elle advenait, serait finalement moins nécessaire à la sécurité d’Israël, que salvatrice pour l’émergence d’une Europe, fière de son histoire et de ses valeurs. Si au contraire, elle venait à manquer, alors nous aurions beau jeu de déplorer ce que nous aurons laissé faire.