- English
- Français
Le Crif : La démocratie française est-elle, à votre avis, malade de ses radicalités ?
Aurore Bergé : Il n’y a malheureusement pas de microclimat qui protégerait notre pays plus qu’un autre de la maladie populiste. Pendant trop longtemps, nous nous sommes crus à l’abri. Nous avons sans doute collectivement baissé la garde en pensant que la France serait épargnée. Nous avons même des populismes qui viennent des deux rives et se nourrissent mutuellement : un populisme d’extrême droite et un populisme d’extrême gauche. Des outrances, des penchants plus affirmés pour les régimes les plus autoritaires, et privatifs de liberté. Il faut d’abord prendre pleinement conscience du danger des convergences populistes et des menaces qu’elles font peser sur les fondements de la démocratie et de la République française.
Le Crif : Mais comment lutter contre les nombreux réflexes de repli, qu’on peut en effet clairement observer ?
Aurore Bergé : L’important, et le défi n’est pas simple, est de renforcer l’esprit collectif, de recréer du « commun ». C’est possible. L’écrivain Kamel Daoud par exemple, qui vient de recevoir le Prix Goncourt, y participe par ses mots. Il renforce formidablement le lien mémoriel, qui permet de regarder l’histoire en face et d’établir des liens d’humanité, qui ont tragiquement manqué dans la période qu’il décrit, celle des « années noires » de la guerre civile en Algérie. La liberté qui est la sienne, grâce à la France comme il le dit lui-même, contribue à réduire les replis.
Les replis identitaires et communautaires auxquels nous assistons, ne doivent pas nous faire oublier ce qui nous unit et ce qui fait Nation.
Le Crif : Dans le champ politique en France, le remède ou les contre-feux aux mouvements populistes viendront-ils à l’occasion de la prochaine élection présidentielle ?
Aurore Bergé : Sous la Vème République, l’élection présidentielle est la clé, elle est principielle. On attend tout et sans doute trop de l’élection présidentielle, d’un homme ou d’une femme providentiel(le). Il faut que les hommes et les femmes politiques attachés à la démocratie, à la République et à leurs principes construisent et partagent un narratif, un récit, un projet de société qui entraîne, trace une direction. La République doit redonner de l’espérance, de l’envie et ne pas se vivre sur le seul mode défensif. C’est cela notre défi, celui de tous les républicains authentiques.
Le Crif : Que pensez-vous de l’idée, pas mal entendue depuis les législatives, que le retour à un classique clivage gauche-droite pourrait remettre les nationaux-populismes dans des marges ?
Aurore Bergé : Certains espèrent que nous ne soyons qu’une parenthèse dans la vie politique française. Depuis qu’Emmanuel Macron est entré dans la vie politique française, certains ne cessent d’espérer que cette parenthèse se referme. Je crois profondément que cette idée de dépassement représente beaucoup pour de très nombreux Français et qu’elle continue de représenter un espoir. Emmanuel Macron a créé un mouvement qui a réussi par son projet et aussi parce que les autres partis politiques étaient à bout de souffle, non seulement en termes de personnalités mais surtout en termes d’idées et de projets.
Il faut du clivage dans la vie politique. Le clivage est sain et utile pour permettre à chacun de se positionner en conscience. Nous ne sommes pas les mêmes, nos projets de société ne se valent pas. Le projet que nous portons à Renaissance n’est pas celui que portent les Les Républicains (LR) ou le Parti Socialiste (PS) et encore moins, évidemment, celui du Rassemblement National (RN) ou de La France insoumise (LFI). Nous avons des différences majeures à affirmer qui ne correspondent pas du tout au vieux clivage gauche-droite, sur l’Europe, sur les enjeux internationaux comme le soutien à l’Ukraine, les questions écologiques et énergétiques, ou encore les enjeux républicains comme la Laïcité. Une partie de la gauche a malheureusement abandonné le combat d’une République laïque.
Le Crif : Le fléau de l’antisémitisme s’est amplifié depuis le 7 Octobre. Comment l’expliquez-vous et comment l’endiguer ?
Aurore Bergé : On a toujours connu un terreau à l’antisémitisme. Il a réussi malheureusement à perdurer et se renouveler à travers les siècles et à réémerger lors de crises ou d’actualités favorables aux thèses complotistes, comme par exemple pendant la pandémie du Covid. Et il y a aussi une nouvelle forme d’antisémitisme qui a pris l’antisionisme comme vecteur. C’est là que nous avons un travail majeur d’explications à faire pour éviter que des publics, jeunes notamment, succombent aux effets d’une propagande dangereuse.
On peut bien sûr avoir l’opinion que l’on veut, y compris critique à l’égard du gouvernement israélien mais cela n’a absolument rien à voir avec les appels à la destruction d’un État, avec des tentatives et des opérations de délégitimation de l’État d’Israël, qui n’existent pour aucun autre État au monde. Quand des femmes iraniennes manifestent avec le plus grand courage, comme récemment l’une d’entre elles qui a montré son corps pour défier le régime iranien et sa violente répression policière, personne n’a appelé pour autant à la destruction de l’État iranien.
Partout où il y a des crises majeures, où les femmes sont d’ailleurs souvent les premières victimes, on n’entend jamais, dans aucun parti politique, des appels à la destruction de l’État en question. Cela n’existe que pour, ou plutôt contre, Israël. Ce qui prouve bien qu’il y a un sujet spécifique, qu’il y a derrière l’antisionisme une obsession et un antisémitisme qui n’ose pas dire son nom.
C’est tout le sens de la proposition de loi que je porte avec Caroline Yadan, car il faut renouveler notre droit, notre législation pour mieux lutter contre les formes renouvelées de l’antisémitisme. Cela passe aussi par une série d’efforts à développer, de pédagogies, sur ces réalités modernes de l’antisémitisme, pédagogies qui manquent trop dans un certain nombre de territoires en France. Il faut renforcer les voies judiciaires, afin que toutes les situations soient appréhendées comme elles le méritent et qu’on ne puisse plus se cacher derrière le paravent commode de l’antisionisme pour déverser en France une haine antisémite ou commettre des actes antisémites. Or, c’est bien cela qui se produit depuis le 7 Octobre.
Le Crif : Dans le conflit qui oppose Israël au Hezbollah, les propos d’Emmanuel Macron n’ont pas toujours été compris – c’est un euphémisme – parmi les Français juifs et pas seulement parmi eux, ils ont même été perçus comme une manière de mettre dos-à-dos cette organisation armée par l’Iran et l'État d’Israël. Qu’en pensez-vous ?
Aurore Bergé : La France a toujours dit qu’aucune confusion ne pouvait exister entre l’agresseur et l’agressé. Le point de départ de la situation actuelle au Proche-Orient, c’est d’abord l’attaque terroriste du Hamas le 7 Octobre dernier. Nous avons toujours rappelé le droit d’Israël à se défendre et demandé la libération inconditionnelle des otages, parmi lesquels encore deux de nos compatriotes.
Le Crif : Et concernant le Hezbollah, qui a attaqué le Nord d’Israël dès le 8 octobre 2023 ?
Aurore Bergé : On ne peut pas mettre sur le même plan l’État d’Israël et une organisation terroriste qui ne peut en aucune manière être légitime. C’est pourquoi, j’ai combattu avec fermeté La France insoumise et que j’ai considéré que jamais le front républicain ne pouvait les inclure. La ligne rouge a été largement franchie par le parti de Monsieur Mélenchon depuis l’attaque terroriste du 7 Octobre, qui n’a pas été reconnue comme telle par ce parti. J’assume et revendique de tenir cette ligne de fermeté et de clarté, j’en suis même fière.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -