Joel Amar analyse la tribune de l'écrivain A.B Yehoshua publiée hier dans Libération : " Du bon usage du Boycott d'Israel"
Paru sur mediapicking.com
Avraham B. Yehoshua, l’un des monuments de la littérature israélienne, a publié, le 17 juin dans Libération, une tribune intitulée « Du bon usage du boycott d’Israël ». Le texte décrit différentes facettes de la campagne de boycott et de délégitimation qui s’intensifie à l’encontre d’Israël. Il se termine par un double appel à « la communauté internationale », puis aux « gouvernements européens éclairés » à « exercer une pression sur Israël pour qu’il mette fin aux colonies dans les territoires palestiniens ».
J’ai trouvé ce texte consternant, indépendamment de la haute estime dans laquelle je tiens l’œuvre littéraire d’A.B. Yehoshua et indépendamment de mes convictions personnelles en faveur d’une solution à deux Etats et de l’arrêt de l’expansion des implantations israéliennes en territoire palestinien.
A.B. Yehoshua et boycott : rappel de quelques faits.
Commençons par rappeler quelques faits. A.B. Yehoshua est connu, depuis longtemps, à la fois pour son sionisme ardent et pour son opposition au « régime d’occupation en Cisjordanie ».
En février 2014, il déclarait à i24news : « le boycott ne donne rien, mais il faut une pression politique [sur Israël] ». En novembre 2012, dans une interview à La Repubblica, il appelait Israël à traiter Gaza comme un pays ennemi et à « agir en conséquence : cesser de fournir de l’électricité et de faire passer de la nourriture ». En août 2010, avec d’autres monuments de la littérature israélienne, il apportait son soutien aux acteurs et artistes qui boycottaient le nouvel auditorium d’Ariel, ville située en territoire palestinien.
En avril 2009, il a lui-même été boycotté à Turin où une réception en son honneur a été interrompue par des militants de Forum Palestina. Il avait alors été traité d’écrivain raciste, « ayant du sang sur les mains » et « au service de la propagande criminelle israélienne ».
Juin 2015 : A.B. Yehoshua approuve le boycott de son pays.
De toute évidence, après avoir écrit dans Libération en mars 2015 qu’il ne pouvait pas se consoler du résultat des élections en Israël, A.B. Yehoshua a fait évoluer sa position sur le boycott d’Israël et considère, si l’on se réfère au titre de sa tribune du 17 juin, qu’il peut être fait un « bon usage de [ce] boycott ».
En version courte : un Israélien, vivant en Israël, résolument sioniste, victime lui-même du boycott d’Israël et convaincu que tous les Juifs devraient vivre en Israël, comprend et approuve le boycott de son pays. On marche sur la tête !
Approuver tous les boycotteurs sans distinction.
Encore plus consternant : A.B. Yehoshua s’accommode de la présence parmi les boycotteurs « de vieilles obsessions antisémites et de revendications islamistes fondamentalistes niant le principe même de l’existence d’un Etat d’Israël ».
Il est lucide, mais il semble avoir renoncé à faire le tri entre les affreux, « ceux qui reconnaissent le droit moral d’Israël à exister », ceux qui ont « un souci sincère pour les droits des Palestiniens » ou, encore, ceux qui sont « horrifiés par l’extrémisme islamiste et par le chaos régnant dans tout le monde arabe ». Il semble donc prêt à faire un bout de chemin avec des individus qui le haïssent et qui veulent sa mort en tant qu’Israélien et en tant que Juif.
Faire passer sa cause avant les violences qu’elle suscite.
Toujours plus consternant : A.B. Yehoshua prend acte « des boycotteurs violents qui font irruption dans des supermarchés en Europe et jettent à bas des produits israéliens des rayonnages » ainsi que « des artistes étrangers [qui] commencent à exprimer des opinions hostiles à l’existence même d’Israël ».
Même s’il les juge déplaisants ou désagréables, il considère que leurs actions et positions contre Israël sont plus urgentes, plus prioritaires et plus importantes que leur critique ou condamnation. D’une certaine façon, il justifie et légitime leurs actions et positions en donnant la priorité sur tout le reste à son objectif de « mettre fin aux colonies dans les territoires palestiniens ».
Le boycott est un outil de pression.
A la fin de son texte, A.B. Yehoshua appelle à des pressions sur Israël. Il semble renouer avec sa distinction de février 2014 entre boycott et pression et prendre un peu de distance avec les mouvements de boycott qu’il qualifie de « mouvements populaires et consternants ».
Toutefois, A.B. Yehoshua n’indique pas ce qu’il entend concrètement par pression. Et de toute façon, il suffit de lire la charte de BDS France pour faire tomber la distinction conceptuelle et artificielle entre boycott et pression : « cette campagne de boycott de l’Etat d’Israël […] constitue un outil de pression sur nos gouvernements pour qu’ils appliquent des sanctions et un levier sur le gouvernement israélien ».
Aveuglement, arrogance et déni de démocratie
J’en viens au point le plus délicat : comment un écrivain d’un immense talent peut-il commettre un texte aussi consternant et vouloir le diffuser urbi et orbi ?
Impossible d’invoquer la détestation d’Israël et de soi à propos d’A.B. Yehoshua. Il faut chercher ailleurs et je fais donc l’hypothèse suivante : il serait insupportable à la morale d’A.B. Yehoshua qu’Israël occupe les territoires palestiniens et ce point de vue moral aurait aujourd’hui supplanté tous les autres et toutes autres considérations, y compris celles relatives à la haine d’Israël et des Juifs, qui anime de nombreux boycotteurs.
Au final, placer ainsi sa morale personnelle au-dessus de tout et se focaliser ainsi sur un seul point de vue moral en ignorant tous les autres, n’est-ce pas un symptôme d’aveuglement, d’égoïsme et d’arrogance ? N’est-ce pas aussi le signe d’un déni de démocratie et du verdict des urnes ?
Joel Amar