" Une France antijuive ?

07 Mai 2015 | 1898 vue(s)
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Antisémitisme

Vendredi 9 août 2024, s'est tenue la cérémonie en hommage aux victimes de l'attentat terroriste de la rue des Rosiers, organisée par le Crif en collaboration avec la Mairie de Paris. La cérémonie s'est tenue devant l'ancien restaurant Jo Goldenberg, au 7 rue des Rosiers. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé dans la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, en dénonçant notamment celle qui se cache derrière la détestation de l'Etat d'Israël.

À l'occasion des 80 ans du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), les membres du Crif ont été reçus à l'Élysée par le Président de la République, Emmanuel Macron, et Madame Brigitte Macron, lundi 18 mars 2024. Le Président du Crif, Yonathan Arfi, a prononcé un discours à cette occasion. 

Dimanche 14 janvier 2024, quelques mois avant les Jeux Olympiques Paris 2024, une délégation de sportifs et de dirigeants du monde du sport q"es, avec le Crif, pour un voyage de la mémoire dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, en partenariat avec le Mémorial de la Shoah.

 

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"Une France antijuive ? "est le dernier livre de Pierre-André Taguieff. Marc Knobel rend hommage au talent et au courage de l'auteur à travers cette tribune.

Le philosophe et historien des idées Pierre-André Taguieff l’annonce dans son introduction. Il s’agit d’un retour sur une année antijuive : janvier 2014-janvier 2015, qu’il qualifie immédiatement « d’année terrible. » Pourquoi ? Parce que la tuerie antijuive de l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, le 9 janvier 2015, s'inscrit non seulement dans l'année terrible commencée le 26 janvier 2014 avec la manifestation parisienne «Jour de colère», rassemblement des antijuifs français de toutes obédiences, mais aussi dans la dernière vague antijuive mondiale qui a débuté en octobre 2000, et a touché particulièrement la France.

Une année, dont l’historien des idées estime qu’elle aurait permis néanmoins de (faire) percevoir « la collusion entre l’antisionisme radical et l’islamo-terrorisme, ces deux piliers principaux de la nouvelle configuration antijuive, telle qu’elle est observable en France, comme ailleurs, mais peut-être avec plus de netteté qu’ailleurs », précise-t-il. C’est ainsi qu’en quelques 323 pages, Taguieff se lance dans la bataille des idées. Le voici qui, comme à son habitude, décortique scrupuleusement, analyse méticuleusement, pointe du doigt et accuse lorsqu’il le faut, prévient lorsqu’il le doit, dit et observe fréquemment et avec si grande éloquence, dans un livre dont le titre ne manque pas de (nous), ne manquera pas de surprendre : « Une France antijuive ? Regards sur la nouvelle configuration judéophobe. »

Dans le premier chapitre, Taguieff explique ce choix.

« Si, en 1886, Edouard Drumont dénonçait une « France juive » qui n’existait que dans ses fantasmes, peut-on aujourd’hui, en 2015, dénoncer une « France antijuive » dont « la réalité semble être attestée par un grand nombre d’indices de diverses catégories, allant des rumeurs, des accusations mensongères, des injures et des menaces antijuives à des agressions physiques et des attentats meurtriers visant des Juifs en tant que tels ? » La réponse qui lui semble la plus adéquate est la suivante : « La France n’est pas devenue ou redevenue antijuive, mais il y a une France antijuive dans la France contemporaine. Une nouvelle France antijuive, qui ne doit pas être confondue avec celle dont la publication de La France juive de Drumont manifestait naguère l’existence. »

Il ne s’agit pas d’une renaissance, explique le philosophe, ni d’une résurgence, « mais d’une réinvention, explique-t-il d’une nouvelle naissance, offrant au regard socio-historiques plus de discontinuités que de continuités, plus de différences que de ressemblances. » Car, « la vision naïvement continuiste  de « l’histoire de l’antisémitisme » nous empêche d’analyser correctement, dans leurs spécificités respectives, les multiples configurations judéophobes observables à diverses époques et dans différentes régions du monde. »

C’est ainsi, qu’en douze chapitres, le savant dénonce, étudie donc et qualifie ce qu’il en est de cette nouvelle configuration (complexe). De cet ensemble d’une incroyable pertinence, nous extrayons très rapidement quelques thèmes.

Antisémitisme à la Française ?

Taguieff est catégorique : la nouvelle vulgate antijuive qui s’est installée durablement en France et dans d’autres pays européens peut se résumer par l’articulation de trois caractéristiques négatives attribuées aux "Juifs" ou aux "sionistes" :

Premièrement, ils sont "dominateurs" en Occident;
Deuxièmement, ils sont "racistes", en particulier au Proche-Orient, où ils se comportent "comme des nazis" avec les Palestiniens, victimes d’un "génocide" en cours de réalisation;
Troisièmement, ils exercent une puissante influence occulte et complotent partout dans le monde.

Cet ensemble de thèmes d’accusation et de stéréotypes négatifs s’inscrit dans une vision du monde structurée par la concurrence des victimes, qui permettent d’identifier "le Juif" ou "le sioniste" comme le rival, l’imposteur et l’ennemi.

La cause palestinienne ?

Pour Taguieff, depuis la fin des années 1960, la haine des Juifs est portée par « l’antisionisme radical ou absolu, mélange d’hostilité systématique à l’égard d’Israël, quelle que soit la politique du gouvernement en place, et de compassion exclusive pour les Palestiniens, quoi qu’ils puissent faire, actions terroristes comprises ». Le propalestinisme inconditionnel, ajoute-t-il,  est désormais le « principal vecteur de la haine des Juifs dans le monde ». C’est pourquoi il n’y a pas à s’étonner devant les récentes manifestations dites « propalestiniennes » qui réveillent et révèlent les passions judéophobes.

Justement, dans le second chapitre, Pierre-André Taguieff s’interroge. Doit-on parler de manifestations propalestiniennes ou pro-islamiques ? Pour le politologue, « l’orchestration croissante par des groupes islamiques de la plupart des manifestations dites « propalestiniennes » ou « antisionistes » a eu pour effet de donner à ces dernières une tonalité antijuive de plus en plus explicite et virulente ». Pour appuyer ses observations, Taguieff décrit quelques-unes de ces manifestations. Selon lui,  elles oscillaient « entre une position pro-Gaza (ou pro-Gazaouis) et une position pro-Hamas ». Là, il décortique les slogans, scrute les banderoles et s’intéresse aux différentes passerelles. Il révèle l’engouement qu’il pense être de plus en plus fort au « programme national-islamique d’éradication de l’Etat Juif » ou d’allégeance « à la dictature islamo-terroriste du Hamas (p.42) » Ce qui ne veut pas dire que tous les manifestants soient motivés par la haine des Juifs, précise-t-il aussitôt. « Mais le simple fait d’affirmer sa solidarité avec une douteuse « résistance » incarnée par le Hamas, organisation antijuive de combat, exprime pour le moins une complaisance à l’égard des propalestiniens antijuifs (p. 43). » Taguieff remarque au passage qu’aucun conflit, en Syrie, en Algérie, en Tunisie, en Irak, en Lybie ou en Egypte, aussi sanglant soit-il, n’a été importé en France sous la forme de manifestations violentes s’accompagnant d’une « propagande mensongère massive ».

Bien plus loin, Taguieff avance que « la cause palestinienne a cessé d’être une cause nationaliste (ou arabo-nationaliste), parmi d’autres pour devenir une cause islamique, voire islamiste, jusqu’à prendre le statut de la grande cause rassemblant tous les musulmans par-delà les différences et leurs oppositions ». L’auteur soutient également que tous ceux qui, « musulmans ou non-musulmans, prétendent lutter contre l’ « islamophobie » sont voués à faire de la cause palestinienne leur cause principale. Impliquant la désignation d’Israël comme ennemi absolu (p. 233) »

Le commerce contemporain de la haine antijuive ?

C’est ainsi que Pierre-André Taguieff s’emploie à dénoncer les « entrepreneurs idéologiques » qui mettent « en mots et en spectacle la haine et l’esprit de vengeance contre les Juifs, désignés en tant que « sionistes » et supposés être « les maîtres du monde » ». Pour Taguieff, ces « entrepreneurs » sont à la tête de véritables « officines de propagande antijuive. »

Plus particulièrement, le sixième chapitre de ce livre est consacré au couple Dieudonné M’Bala M’Bala et Alain Soral, dont le philosophe indique qu’ils ont déclaré « publiquement » leur « engagement aux côtés de certains milieux islamistes (p. 71) ». Dans ce chapitre, le philosophe décortique ce qu’il appelle le « commerce contemporain de la haine », constitutif selon lui d’un nouveau front forcément « antisioniste ». C’est ainsi, qu’en plus d’être un commerce juteux, c’est bel et bien l’antisionisme radical qui est mis en spectacle par Dieudonné, un Dieudonné qui sait tirer parti du libéralisme cognitif d’Internet (p. 129). Pour Pierre-André Taguieff, comme la plupart des « antijuifs conspirationnistes, Dieudonné imagine l’ennemi chimérique sur le modèle d’un animal fantastique, surpuissant, celui d’une bête de proie monstrueuse ressemblant à une pieuvre géante aux multiples tentacules capables d’étouffer tous les hommes (autres que Juifs), soit à une araignée suceuse de sang tenant entre ses pattes tous les peuples de la terre (p. 104). »

Dans ce chapitre, Taguieff décrypte également ce qu’il en est de cette fumeuse « quenelle », dont la dimension pro palestinienne est assumée dans l’espace public. C’est ainsi, au final, Dieudonné et Soral « ont stylisé la judéophobie pour la rendre culturellement acceptable, en l’adaptant à l’air du temps, c’est-à-dire aux opinions majoritaires et aux croyances dominantes au début du XXIe siècle (pp. 121-122).

Faut-il regarder l’ennemi en face ?

Pour Taguieff, c’est une évidence. A situation nouvelle, langage nouveau, affirme-t-il.

Mais, quelle reconstruction nécessaire du langage esquisse-t-il dans ce 12ème chapitre ? Taguieff répond : « Plutôt qu’appeler à la « lutte contre l’antisémitisme », il faudrait commencer par se donner clairement des objectifs. Et, Taguieff d’en énumérer deux principaux :

1)      Lutter contre l’islamisme radical, l’islam politique ou identitaire, contre le fondamentalisme et le terrorisme islamiste, c’est-à-dire contre le djihadiste, dont le projet exterminateur est de « purifier «  la terre entière des non-musulmans, parmi lesquels les Juifs sont la figure la plus diabolisée.
2)      Lutter contre l’antisionisme radical et le propalestinisme antijuif sous toutes ses formes, dont le programme commun est centré sur la destruction d’Israël.

Pierre-André Taguieff estime donc que « ce combat doit être mené simultanément sur deux fronts : d’une part, contre l’islamisme exterminateur, et d’autre part, contre l’antisionisme éradicateur (p. 229).

Taguieff précise aussitôt sa pensée. Pour lui, les « antisionistes éliminationnistes ne parlent pas du sionisme réel. Ils parlent d’une entité répulsive chimérique qu’ils chargent de tous les traits négatifs imaginables. Ils ne procèdent donc pas à une critique du sionisme tel qu’il a été défini par les fondateurs (Léo Pinsker, Théodor Herzl, Asher Ginsberg, Max Nordau, etc…), ils ne critiquent pas non plus la politique de tel ou tel gouvernement d’Israël (même s’ils font semblant de le faire, en dénonçant par exemple « l’apartheid » ou « le racisme » formules creuses de propagande), ils se battent contre une puissance démoniaque qu’ils ont inventée sur la base de diverses traditions antijuives (p.229). »

Et pour terminer, Pierre-André Taguieff de nous alerter : «  A l’instar d’autres Etats européens, les Français juifs ou non, n’ont jamais eu autant de raisons de s’inquiéter » et d’en énumérer les raisons. Et finalement et au bout du compte, le philosophe de (nous) prévenir :

« L’avenir probable ne sera pas une partie de plaisir (p.247) ».

Marc Knobel

 

Pierre-André Taguieff, Une France antijuive ? Regards sur la nouvelle configuration judéophobe. Antisionisme, propalestinisme, islamisme, Paris, CNRS Editions, 323 pages, 20 euros ; en vente dès le 15 mai 2015.