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Publié le 15 janvier dans Libération
Lundi dernier à Managua, la capitale du Nicaragua, le président Daniel Ortega était investi pour son quatrième mandat consécutif depuis 2007, le cinquième en comptant sa présidence entre 1979 et 1990. Sa déplorable réputation d’autocrate (il a emprisonné tous les opposants crédibles avant le scrutin du 7 novembre) a fortement isolé sur la scène internationale le dirigeant sandiniste : seuls trois chefs d’Etat ont fait le déplacement. Ses alliés idéologiques de Cuba, Miguel Díaz-Canel, et du Venezuela, Nicolás Maduro, et curieusement son voisin du Honduras, Juan Orlando Hernández, pourtant très à droite, et qui transmettra le pouvoir dans deux semaines à Xiomara Castro, élue le 28 novembre.
D’autres partenaires tels que la Chine, la Russie, la Turquie ou la Corée du Nord avaient dépêché des représentants de moindre envergure. Pour l’Iran, c’est Mohsen Rezaï, le vice-président chargé des Affaires économiques, qui a été choisi. Cet ancien commandant en chef des gardiens de la révolution, une milice d’Etat classée par les Etats-Unis comme organisation terroriste, a dû regarder avec envie la longévité au pouvoir du dirigeant du Front sandiniste de libération nationale (FSLN). Lui-même s’est présenté trois fois, sans succès, à l’élection suprême en Iran, en 2009, 2013 et 2021 (son meilleur résultat avec près de 14 % des voix).
«Coopération pleine et entière»
Le déplacement de l’Iranien aurait pu passer inaperçu. Mais à 6 000 kilomètres au sud du Nicaragua, en Argentine, elle suscite une véritable colère. Dès le lendemain de la cérémonie, le ministère argentin des Relations extérieures publiait un communiqué virulent pour «condamner la présence de Mohsen Rezaï» lors de la cérémonie. «L’Argentine [déplore] cet affront à la justice et aux victimes du brutal attentat terroriste contre l’Association mutuelle israélite argentine (Amia), commis le 18 juillet 1994.» Le texte conclut : «Le gouvernement argentin demande une fois de plus au gouvernement iranien sa coopération pleine et entière avec la justice argentine pour permettre que les personnes accusées de participation à l’attentat soient jugées par les tribunaux compétents.»
L’attentat à la voiture piégée contre le bâtiment abritant une mutuelle de la communauté juive reste une blessure ouverte en Argentine : 84 personnes avaient été tuées et plus de 200 blessées. C’est l’action terroriste la plus meurtrière dans l’histoire du pays. Sous la présidence de Carlos Menem (1989-1999), une enquête erratique est menée, pleine d’irrégularités et d’incohérences. Il faut attendre 2006 pour que le procureur fédéral qui a repris le dossier, Alberto Nisman, fasse part de ses conclusions : le commanditaire du massacre est selon lui l’Iran, et l’exécutant le Hezbollah libanais. Téhéran aurait ainsi voulu punir l’Argentine, qui avait mis fin à un programme d’échanges sur le nucléaire.
«Notice rouge»
Parmi les dirigeants iraniens inculpés figurent l’ancien président Rafsandjani et le commandant en chef des gardiens de la révolution, Mohsen Rezaï, sur qui pèse encore aujourd’hui une «notice rouge» d’Interpol. Ce système, qui prévoit qu’une personne recherchée dans un pays doit être arrêtée où qu’elle se trouve dans le monde dès qu’elle est identifiée, aurait dû empêcher tout voyage, au Nicaragua ou ailleurs, du fonctionnaire.
Il y a presque sept ans, le 18 janvier 2015, le procureur Nisman était découvert mort à son domicile, d’une balle dans la tête. Le suicide était vraisemblable, mais le contexte explosif empêchait de donner crédit à cette thèse : quelques jours auparavant, le magistrat avait accusé la présidente Cristina Kirchner d’avoir permis aux accusés iraniens de se dérober à la justice, sous couvert d’un accord de coopération judiciaire signé en 2012 avec Téhéran. Approuvé par le Parlement, ce pacte prévoyait que des juges internationaux iraient interroger les suspects en Iran. Les autorités iraniennes n’ont finalement jamais respecté l’accord.
Le 19 janvier 2015, Nisman devait dévoiler devant une commission parlementaire ses preuves incriminant la Présidente pour entrave à l’enquête au profit de l’Iran. La monnaie d’échange supposée : des contrats commerciaux au bénéfice de l’Argentine, qui aurait fourni du blé contre du pétrole persan. La mort brutale du magistrat, quelques heures avant l’échéance, était en effet problématique.
Flaques de sang
L‘annonce du décès plonge alors le pays dans la stupeur, même si le personnage était controversé : playboy éternellement bronzé, il apparaissait régulièrement dans les magazines people. Les Argentins descendent dans la rue en exigeant la vérité. Un enchevêtrement de révélations, vraies ou fausses, et de pistes parfois farfelues alimente (ou empoisonne) l’enquête et les médias pendant des mois. Un moment marquant : la révélation des images prises par la police à son arrivée dans l’appartement. Ni les (trop nombreux) agents présents ni la procureure dépêchée sur place ne respectent la moindre procédure de relevés d’empreintes, tout le monde patauge dans les flaques de sang, et l’arme du crime (ou du suicide) passe de main en main.
Sept ans plus tard, l’enquête n’a toujours pas abouti. En octobre, Cristina Kirchner, actuelle vice-présidente, a bénéficié d’un non-lieu dans l’affaire de l’entrave à la justice. La brève apparition d’un suspect en Amérique centrale ne fera guère avancer l’enquête, toujours ouverte. L’avis général en Argentine, c’est qu’on se saura jamais la vérité sur la mort du procureur fédéral, ni sur l’attentat de l’Amia en 1994. Ni même sur celui qui, le 17 mars 1992, détruisit l’ambassade d’Israël à Buenos Aires, avec un bilan de 29 morts. Dans cette affaire aussi, il n’y a eu aucun procès.
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