Actualités
|
Publié le 28 Janvier 2025

L'entretien du Crif – Mohamed Sifaoui : pourquoi « la fermeté doit s’imposer » face au régime algérien

Spécialiste de l’islamisme, du terrorisme et grand connaisseur de l’Algérie, l’essayiste Mohamed Sifaoui expose en détail pour nous les dérives du régime algérien, que ce soit dans sa répression de « tout opposant » en Algérie ou dans l’activation de ses relais agressif à l’encontre de la France, sur notre territoire : « Un citoyen engagé qui s’aventurerait à critiquer le régime sur les réseaux sociaux s’expose [en Algérie] à l’arrestation » et « sur le territoire français, les services algériens disposent de plusieurs relais : des associations, des lieux de culte, le réseau des consulats, des informateurs, des relais d’opinion, des opérateurs économiques, parfois des élus, des journalistes et j’en passe. Ce qui leur est demandé le plus souvent, c’est d’instrumentaliser la question mémorielle pour acculer la France et l’accuser de tous les maux ». Répondant aux questions de Jean-Philippe Moinet, ce journaliste très bien informé sur ce pays préconise des actions de fermeté dirigées contre les hauts responsables algériens, soulignant les limites dépassées : « les [dirigeants] algériens ne respectent plus rien. Ils ont voulu kidnapper des opposants en France et en Espagne. Ils ont cherché à intimider d’autres sur le territoire français. Un journaliste que je connais a subi une tentative d’assassinat ». Il ajoute qu’il ne faut pas faire d’amalgame : « l’écrasante majorité des Algériens de France vomit littéralement ce régime. Personne ne le dira ouvertement. Les Algériens savent que s’ils se mettent à critiquer le régime, ils ne pourront plus passer de vacances en Algérie… »

Le Crif : L’écrivain Boualem Sansal est détenu en Algérie depuis le 16 novembre 2024. Pour ses écrits et idées, il est accusé, à l’âge de 80 ans, de soi-disant « atteinte à Sureté de l’État et à l’intégrité du territoire » algérien… Que dit, que révèle selon vous cette arrestation ?

Mohamed Sifaoui : Il faut connaître à la fois la nature et les méthodes du régime algérien. Sa nature est autocratique. Il s’agit d’un système de gouvernance qui ne respecte pas ses propres lois, ni sa Constitution, ni les conventions internationales qu’il a signées. Pour autant, c’est un régime qui fait attention aux apparences et aux formes. C’est la raison pour laquelle lorsqu’il veut emprisonner un opposant ou un dissident, il essaye de trouver des motifs – fallacieux évidemment – qui lui servent d’habillage. Et ainsi, à travers ce juridisme, il essaye de donner un « caractère légal » à ses agissements illégitimes. Il y a en Algérie, on n’en parle pas, plusieurs détenus politiques, y compris d’anciens serviteurs du régime. Certains d’entre eux ont été graciés en novembre dernier lors de la commémoration du début de la guerre d’indépendance, d’autres sont toujours derrière les barreaux. Souvent, il s’agit de règlements de comptes politiques. L’Algérie n’est pas un État de droit. C’est le régime de l’arbitraire. L’Algérie est, à mon sens, l’un des rares pays au monde où lorsqu’un ressortissant traverse les frontières, il a une boule au ventre. C’est dire.

Pour revenir à Boualem Sansal, le pouvoir algérien voulait envoyer d’une part un message à tous les opposants mais aussi évidemment à la France, parce qu’il sait que l’écrivain, récemment naturalisé français, est apprécié à la fois par Emmanuel Macron et par plusieurs responsables politiques dans l’Hexagone, mais aussi par une grande partie de la société civile.

 

 

« En Algérie, toutes les libertés individuelles et collectives son piétinées »

 

 

Le Crif : Quel est le niveau de la répression, en particulier contre les écrivains et les journalistes actuellement en Algérie ?

Mohamed Sifaoui : Les choses sont claires, en Algérie toutes les libertés individuelles et collectives sont piétinées. Il ne s’agit pas d’écrivains ou de journalistes seulement. Même un citoyen engagé qui s’aventurerait à critiquer le régime sur les réseaux sociaux s’expose à l’arrestation. Une grande partie de la presse est aux ordres. Il y a de ce point de vue une régression terrible qui insulte la mémoire de tous les journalistes algériens morts pour la liberté d’expression.

De temps à autre, de façon cynique, le régime peut laisser deux ou trois figures s’exprimer plus ou moins librement car, comme je le soulignais, ce pouvoir a besoin de mettre les formes et prétendre qu’il serait respectueux de la liberté d’expression. Mais lorsqu’il le décide, il met fin aux récréations qu’il octroie lui-même de temps à autre. Je déplore qu’on ne passe pas plus de temps à étudier le fonctionnement – assez particulier – du pouvoir algérien qui est un système de mensonges et de manipulations.

Idem sur le plan politique. Toutes les oppositions ont été soit clientélisées, soit marginalisées. Le régime sait choisir y compris ses opposants. Par exemple, depuis quelques années, il fait monter la mayonnaise au sujet d’un mouvement autonomiste kabyle très marginal et qui n’a aucun véritable ancrage local et qui n’agit qu’à partir de l’étranger. En agissant de la sorte, non seulement il active les outils pour diviser la société, et notamment la Kabylie qui est une région frondeuse mais aussi berceau des luttes démocratiques et laïques, mais il se choisit un opposant de pacotille pour tuer politiquement les vrais opposants issus de cette région.

Idem avec l’islam politique. Le régime a choisi certains islamistes – les Frères musulmans notamment – pour en faire des partenaires du régime. Par ailleurs, il donne des gages, à travers la bigoterie et un excès de conservatisme, aux salafistes non-djihadistes et, dans la foulée, il fait mine de combattre le terrorisme islamiste alors que toute sa politique le nourrit.

 

 

« Les "influenceurs" sont des voyous qui agissent, en surfant sur une tonalité entretenue par ses véritables relais du régime »

 

 

Le Crif : Des « influenceurs » algériens se sont récemment illustrés pour lancer en France des appels à la haine et à la violence, à l’encontre des soutiens de Boualem Sansal. Ces tentatives d’intimidation sont-elles téléguidées par le régime algérien ?

Mohamed Sifaoui : Pour ma part, j’ai toujours refusé de les appeler « influenceurs » car ils n’influencent que des décérébrés comme eux. En vérité, ce sont souvent des petites frappes ou des voyous qui passent leur temps sur certains réseaux sociaux. Ce sont des profils qui, souvent, ont fui l’Algérie, son régime, mais qui sont sensibles aux discours ultra-nationalistes du régime. Première erreur ! Ce sont aussi des profils qui ont tout fait pour demeurer en France, même « sans-papiers ». Et pourtant, leur délire préféré, c’est d’insulter la France et les Français. Seconde erreur !

Je ne pense pas pour autant que ce sont des acteurs manipulés directement par le régime. Ce sont des voyous qui agissent, en surfant sur une dynamique lancée par le régime algérien et une tonalité entretenue par ses véritables relais. Ces derniers existent mais ce ne sont pas ces voyous qui s’expriment sur TikTok. Les relais sont plutôt des gens comme Mehdi Ghezzar, l’ancien chroniqueur des « Grandes Gueules » sur RMC ou Karim Zeribi qui s’exprime constamment sur CNews et qui ne cesse de faire des offres de service au régime algérien.

 

Le Crif : Globalement, quelles sont les informations dont vous avez pu disposer concernant l’activisme algérien sur le territoire français ?

Mohamed Sifaoui : J’ai publié récemment une enquête dans Le Figaro Magazine pour expliquer les coulisses de toute cette affaire. Au cours de mes différentes recherches, j’ai constaté que la situation était beaucoup plus grave qu’il n’y paraît. Je vais partager avec vous ce que je sais avec certitude. D’abord, la décision d’attaquer médiatiquement la France – à travers une propagande éhontée – a été prise au plus haut sommet de l’État, par Abdelmadjid Tebboune lui-même.

À ce sujet, je souhaiterais que les médias français et les commentateurs fassent évoluer leurs analyses par rapport à ce régime. Ce pouvoir a changé depuis quelques années. Il n’est plus entre les mains exclusives de l’armée et des services de renseignement. Ces derniers sont vraiment inféodés à la présidence désormais, non pas pour respecter une logique institutionnelle légaliste conforme à la Constitution mais parce que les chefs de l’armée, souvent des officiers sans grande envergure, sans charisme et sans conscience politique ont peur de contester les décisions ou même d’émettre un avis, car ils savent que désormais personne n’est à l’abri d’un emprisonnement, y compris eux. Je rappelle que plusieurs hauts gradés ont été emprisonnés au cours de ces dernières années. Certains d’entre eux sont toujours en détention.

D’autres part, certains patrons de cette armée et de ses services de renseignement doivent leur promotion à Abdelmadjid Tebboune. Disons qu’ils n’étaient pas prédestinés à occuper les postes qu’ils occupent actuellement. C’est dire que Tebboune, sur lequel personne n’aurait parier un seul kopek en Algérie il y a quelques années, est devenu l’homme fort du pays. Le chef d’état-major de l’armée, Saïd Chengriha, un homme usé, se maintient à son poste et lui apporte également un soutien critique. Sauf que ses critiques, il ne les exprime qu’auprès d’un cercle très restreint. Voilà le tableau général.

 

 

 

« De son désaccord avec Macron, Tebboune a fait une affaire personnelle. Partant de là, il mobilise tous les moyens de l’État algérien pour agir contre la France »

 

 

Pour revenir aux attaques contre la France, Tebboune et son directeur de cabinet, le très influent Boualem Boualem, ont lancé l’estocade contre la France. Au sein de la présidence, deux conseillers sont chargés de l’aspect opérationnel : Mohamed Chafik Mesbah, un ancien colonel des services qui s’occupe de la société civile mais qui a aussi ses entrées dans la presse et Kamel Sidi Saïd, le responsable de la communication, appelé à Alger, non sans ironie, « le directeur de l’insulte présidentielle ». Ils ont missionné les médias pour mener une longue campagne de dénigrement de la France, de son président et de ses institutions. Leur objectif vise à mobiliser la diaspora algérienne en la manipulant pour provoquer une fissure dans la société française. De son désaccord avec Macron, Tebboune en a fait une « affaire personnelle ». Partant de là, il mobilise tous les moyens de l’État algérien pour agir contre la France.

Sur le territoire français, les services algériens disposent de plusieurs relais : des associations, des lieux de culte, le réseau des consulats, des informateurs, des relais d’opinion, des opérateurs économiques, parfois des élus, des journalistes et j’en passe. Ce qui leur est demandé, le plus souvent, c’est d’instrumentaliser la question mémorielle pour acculer la France et l’accuser de tous les maux. L’objectif consiste à manipuler les binationaux et les résidents algériens présents sur le territoire français et les amener à haïr la France en construisant un discours qui laisse croire qu’il y aurait un continuum entre le système colonial d’hier et la France d’aujourd’hui.

Je pense que tous les responsables français doivent montrer de la fermeté. Et je suis convaincu que la société civile française devrait être davantage mobilisée et vigilante car cette discorde est aussi un piège. Il ne faut pas souhaiter, par exemple, que ceux qui donnent l’impression de défendre la République soient des figures de l’extrême droite, des nostalgiques de « l’Algérie française » et des partisans de l’OAS. Le pouvoir algérien – en vérité lui-même d’extrême droite car raciste, nationaliste et xénophobe – rêve d’un face à face avec l’extrême droite française ; car il s’en nourrirait.

 

Le Crif : L’ampleur de cet activisme algérien hostile à la France n’a jamais été si élevée, selon vos sources, bien informées. Comment expliquez-vous que cela ne soit pas davantage évoqué par les politiques et les médias français ? La prudence ? L’Algérie ferait-elle peur ?

Mohamed Sifaoui : L’Algérie fait peur parce qu’elle est dirigée par des irresponsables. Quand vous êtes face à des jusqu’au-boutistes inconscients, il y a de quoi avoir peur. La France a toujours voulu jouer ce rôle d’adulte dans la pièce face à des Algériens immatures et impulsifs. Au cours de ces dernières années, j’ai eu l’occasion d’échanger en privé avec certains hauts responsables français et à chaque fois on me rétorquait qu’il ne fallait pas « entrer dans leur jeu » ou « répondre à leur provocation ». C’est cela le problème.

En vérité, les responsables français connaissent mal les Algériens. Ces derniers ne comprennent que la force. Ils ne respectent que la force. Un exemple. Avez-vous entendu un responsable algérien ouvrir sa bouche lorsque Donald Trump reconnaissait la marocanité du Sahara lors de son premier mandat ? Aujourd’hui encore, pensez-vous qu’un responsable algérien va faire un commentaire pour condamner les outrances du président américain ?

Autre exemple, ils prétendent être de grands défenseurs des Palestiniens. Croyez-vous qu’ils vont dire quelque chose face aux Américains ? Ou encore ont-ils un jour critiqué Vladimir Poutine ou le régime chinois ? Le pouvoir algérien est un tigre en carton. Il est fort avec les faibles et faible avec les forts.

 

 

« Les relations franco-algériennes ont toujours été malsaines. Il faut tout casser et tout reconstruire sur des bases plus saines »

 

 

S’agissant des médias français, je trouve qu’il y a une vraie méconnaissance de la réalité algérienne. Regardez par exemple comment une partie de la presse érige en icône un militant proche des islamistes du mouvement Rashad, je parle de celui qui est présenté comme « opposant algérien qui a dénoncé les influenceurs », sans préciser d’où il s’exprime. Il y a quelques mois, il tenait un propos à la limite antisémite, insultant par ailleurs Gérald Darmanin. Outre le fait qu’il appelait à incarcérer Boualem Sansal. J’ai lu aussi un autre média ériger le responsable du mouvement autonomiste Kabyle en « opposant en chef ». Un autre média présentant un chef des services de renseignement – qui a quitté son poste depuis un an, suite à un AVC – comme un acteur central dans les attaques contre la France alors qu’il n’occupe plus les fonctions qu’on lui attribue. Il y a, de ce point de vue, des carences qu’il faut réparer.

Si vous ajoutez à cette méconnaissance, une peur – oui c’est le mot – de voir le régime algérien révéler ce qu’il sait à propos de certains responsables français ou de certains partis, vous aurez fait le tour. Le pouvoir algérien a une proximité trop grande avec certaines chapelles politiques et il y a des informations qui évoquent des liens, y compris de financements. Mais comme il n’y a pas de preuves à ce sujet, je ne vais pas aller plus loin.

Quoi qu’il en soit, si je devais qualifier les relations franco-algériennes, je dirais qu’elles ont toujours été malsaines. Il faut tout casser et tout reconstruire sur des bases plus saines pour avoir une relation d’État à État qui ne soit pas otage des questions mémorielles, du chantage ou de l’instrumentalisation de la diaspora. 

 

Le Crif : Un documentaire algérien, prétendant à une opération française de déstabilisation de l’Algérie, a été diffusé à la télévision algérienne, il met en cause (et à l’image) un responsable de la DGSE. Qu’est-ce qui a été recherché par cette diffusion qui, de l’extérieur, est apparue aussi ridicule qu’insignifiante ? Ce sont des raisons intérieures, cette thèse permettant d’alimenter une paranoïa propre à ce genre de régimes et d’inventer des menaces extérieures pour mieux légitimer des répressions ?

Mohamed Sifaoui : On ne peut pas parler à proprement dit de « documentaire ». C’est davantage un programme de propagande, réalisé d’ailleurs, selon mes informations, par un chargé de mission à la présidence. Un certain Mounir Boudjemaa qui fut journaliste dans le passé. Naturellement, j’ai pris le temps de regarder ce programme qui est une injure au travail journalistique. Oui, son objectif est, d’une part, de manipuler les Algériens, leur faire croire que la France est un pays ennemi qu’il leur veut du mal, d’autre part, de viser les institutions françaises, notamment la DGSE, en divulguant l’identité et l’image de l’un de ses fonctionnaires en poste en Algérie. Ce qui ne se fait jamais entre services. Question d’éthique, enfin en théorie, puisque à l’évidence les [dirigeants] algériens ne respectent plus rien. Ils ont voulu kidnapper des opposants en France et en Espagne. Ils ont cherché à intimider d’autres sur le territoire français. Un journaliste que je connais a subi une tentative d’assassinat. Ce sont des affaires documentées, certaines font l’objet de procédures judiciaires ou d’enquêtes de police.

 

 

« Pour le régime algérien, l’ennemi intérieur ce sont tous les Kabyles et les démocrates. Et l’ennemi extérieur, les Français, les Marocains et évidemment les ”sionistes”, leur obsession »

 

 

Naturellement, il est connu que les régimes autocratiques ont besoin de manipuler principalement deux notions : celles des ennemis intérieurs et extérieurs. Pour le régime algérien, l’ennemi intérieur ce sont tous les Kabyles et les démocrates, francophones notamment. Et l’ennemi extérieur, ce sont les Français, les Marocains et, bien évidemment, les « sionistes », leur obsession. C’est la raison pour laquelle le pouvoir d’Alger instrumentalise la question des autonomistes kabyles dans le but de stigmatiser tous les Kabyles et jeter sur eux l’opprobre. C’est la raison pour laquelle ce régime fait régulièrement des amalgames entre des déclarations de figures de l’extrême droite française et de la France officielle. Dans ce climat, les personnes conscientes de la réalité ne peuvent même pas exprimer une nuance [en Algérie], elles seraient immédiatement réprimées.

 

Le Crif : D’un point de vue général, que préconisez-vous à ce stade pour à la fois faire face efficacement aux méthodes d’intimidations du régime algérien, contribuer à la libération de Boualem Sansal et sortir de cette crise qui oppose l’Algérie et la France ? Si rapport de force supplémentaire il doit y avoir, que doit-il viser précisément ?

Mohamed Sifaoui : Premièrement, il convient d’éviter quelques pièges : ne pas pénaliser les Algériens ou les Franco-algériens en général en pensant punir le régime. Il faut savoir qu’en vérité l’écrasante majorité des Algériens de France vomit littéralement ce régime. Personne ne le dira ouvertement ou très peu. Les Algériens savent que s’ils se mettent à critiquer le régime, ils ne pourront plus passer de vacances en Algérie ou s’y rendre pour régler des questions administratives ou voir leurs proches. Le pouvoir algérien a fait main basse sur tous les attributs de la souveraineté et il a fait de ce pays une sorte de propriété privée dans laquelle il a quasiment droit de vie et de mort sur chaque Algérien, à tout le moins un droit de liberté et d’emprisonnement sur chaque citoyen. Le Français moyen qui n’a jamais vécu en dictature ne peut pas comprendre comment se traduit ce que j’essaye d’expliquer. Je crois donc qu’il ne faut pas faire d’amalgames entre les Algériens et le régime qui continue de créer leurs malheurs.

 

Le Crif : Mais de quels leviers disposent la France ?

Mohamed Sifaoui : Pour moi, si le pouvoir politique français fait preuve de courage politique et de cohérence, il pourra tordre le bras d’Abdelmadjid Tebboune et de son régime en deux jours. Voilà quelques propositions concrètes que j’adresse au Président Emmanuel Macron et au Ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau (qui, soi-dit en passant, a raison d’exprimer une totale fermeté à l’égard du régime algérien).

D’une part, je proposerais de mettre une équipe pour enquêter, à partir de la loi sur les « Bien mal-acquis », sur les caciques algériens qui détiennent, directement ou indirectement, des biens en France. Comment des fonctionnaires qui gagnent, en Algérie, tout au plus l’équivalent de 2 500 euros (en dinars non convertibles) ont-ils réussi à acquérir des biens en France, parfois d’une valeur inestimable.

D’autre part, je proposerais de s’interroger sur la présence en France, avec des cartes de séjour complaisamment accordées, d’enfants et de proches des caciques de ce même régime. Dans quel cadre le fils de Saïd Chengriha, le chef d’état-major de l’armée algérienne, a-t-il obtenu une carte de séjour ? Qui le lui a délivré ? Je m’interroge d’autant plus que je sais que des personnes étrangères en règle et intégrées, des médecins ou d’autres cadres, ont du mal parfois à renouveler leurs documents administratifs. Qui a permis au fils du Président du Sénat algérien, lui-même pilier du régime, de résider légalement en France ? Un ancien Ministre des anciens combattants, très hostiles à la France, a pu également installer ses enfants dans l’Hexagone. Et la liste est très longue. Le fils d’Abdelmadjid Tebboune lui-même dispose d’un visa longue durée pour venir en France. Donc, au lieu de pénaliser tous les Algériens, il faudrait peut-être penser viser les figures de ce pouvoir et les cercles concentriques qui gravitent autour de ce régime mafieux.

 

 

« Il faut également prendre en considération l’influence qu’a la Turquie d’Erdogan sur l’autocrate algérien Tebboune »

 

 

On parle des « accords de 1968 » pour la procédure de délivrance des visas. Cela ne me pose aucun problème que ces accords soient rediscutés, revus et corrigés, mais je puis vous assurer que ce n’est pas leur remise en cause qui va empêcher Tebboune et son régime de dormir. Il faut les viser eux, directement et leur famille ainsi que la clientèle du régime, car ceux-là ont spolié l’Algérie et ses richesses pour se garantir de surcroit un cadre de vie en dehors de ce pays qu’ils prétendent défendre. Leurs soins, leurs emplettes, les études de leurs enfants, leurs loisirs, leurs matériaux de construction, leurs voitures et même leurs propres vêtements, si ce n’est pas en France qu’ils les achètent, c’est dans d’autres pays européens. Ces gens ont vraiment un dédoublement de personnalité. Ils aiment détester la France ou ils détestent ce qu’ils aiment le plus en vérité.

Je crois enfin qu’il faudrait que les autorités françaises se mettent à écouter davantage les démocrates algériens et qu’elles arrêtent de faire dans l’approximation. Pour finir, il faut également prendre en considération l’influence qu’a la Turquie d’Erdogan sur l’autocrate algérien. Ce dernier, qui fustige à tour de bras tous les opposants en les traitant de « vendus à l’étranger », a en vérité lui-même un fil à la patte avec le pouvoir turc.

Mais au-delà de tout, l’Algérie – y compris le régime d’ailleurs – paye aujourd’hui plusieurs années de nivellement par le bas et de médiocratie. Quelqu’un comme Tebboune n’avait rien pour être président. Mais le pire c’est qu’il n’y a plus d’alternative au sein du système, qui n’a pas su renouveler ses serviteurs, ni les former. Ils sont tous plus médiocres les uns que les autres. Qui plus est, toutes les élites algériennes ont été poussées vers l’exil ou ont été poussées prématurément à la retraite. Je crois que personne en France ne mesure le désespoir qui traverse ce pays qui est isolé plus que jamais. Même la Mauritanie lui tourne le dos. Ne lui reste comme allié proche que la pauvre Tunisie dirigée par cet autre autocrate de Kais Saied. En perdant diplomatiquement la France, l’Algérie perd en vérité son meilleur allié. N’en déplaise à l’autocrate d’Alger.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -

Nous diffusons des cookies afin d'analyser le trafic sur ce site. Les informations concernant l'utilisation que vous faites de notre site nous sont transmises dans cette optique.En savoir plusOK