Jean-Pierre Allali
Deux étés 44, par François Heilbronn (*)
Magnifique premier roman ! Pour son coup d’essai, François Heilbronn, professeur des universités et vice-Président du Mémorial de la Shoah, réussit un coup de maître. Quelle idée géniale de mettre en parallèle, à deux siècles d’intervalle, deux événements qui ont particulièrement marqué l’Histoire de France, la ville de Metz et les communautés juives du pays. Le 15 août 1744, à Metz, c’est la consternation dans l’Hôtel du gouverneur de la ville. La rumeur s’amplifie : « Le Roy se meurt ! ». Le Roy, en l’occurrence, c’est Sa Majesté Louis XV. Deux cents ans plus tard, le 15 août 1944, Henri Klotz, héros de la guerre 14-18, agonise dans une annexe du camp de Drancy. Quel rapport, dira-t-on. L’auteur, on le verra, se charge de l’établir. Dans ce roman familial qui a nécessité de nombreuses recherches, François Heilbronn nous permet de découvrir, avec délectation, un pan méconnu de l’Histoire de France.
Été 1744, donc, tout d’abord. Louis XV, Roi de France, jeune et bel homme, cinq pieds neuf pouces, soit, de nos jours un mètre soixante-dix-sept, tout à la fois érudit et sportif, a succédé à son arrière-grand-père, Louis XIV. Proclamé roi à l’âge de douze ans, il règne sur le pays depuis vingt-deux ans. Son épouse, la princesse polonaise Marie Leszcynska lui a donné dix enfants. En route pour rejoindre son armée en guerre et immobilisé en Alsace, le Roi parvient à Metz, ville rattachée à la France depuis 1561, le 4 août 1744. Il est reçu en grande pompe par le maréchal Belle-Isle qui ne manque pas de lui parler, entre autre, de la dynamique communauté juive de la ville et de ses dirigeants. Des Juifs qui, sous la conduite de leur Grand rabbin, Jonathan Eyebeschutz, vont défiler en cavalcade devant le souverain. Hélas, les réjouissances et les festivités vont rapidement tourner au cauchemar. Le 8 août, un samedi, le Roi est pris d’atroces douleurs. Il est fiévreux et son ventre est dur et spasmé. Médecins et guérisseurs, charlatans et courtisans, cabales de bigots et de dévots, se succèdent au chevet du Roi. Clystères et lavements, purges et saignements, émétiques et élixirs divers sont prescrits. Mais rien n’y fait. Il faut se rendre à l’évidence : la mort du Roi est inéluctable et imminente. Et, au dernier moment, grâce à l’intervention d’un médecin juif, Isaïe Cerf Oulman et à un subterfuge d’identité permettant de camoufler la judéité du praticien, le Roi échappe à la mort. Retrouvant toute son énergie, Louis XV va surprendre son sauveur en train de prier en hébreu et là, incroyable, le Roi de France se met à réciter le « Chéma Israël » . Le docteur Oulman refusera toute récompense personnelle, mais demandera « justice et honneur » pour son peuple, la Nation juive, injustement mise à l’écart de la Nation. Une requête difficile à satisfaire à l’époque.
Deux siècles plus tard. Lundi 31 juillet 1944. Henr Klotz, qui avait épousé Flore Hayem en 1897, est arrêté sur dénonciation à son domicile. Direction Drancy puis l’hôpital Rothshild, rue de Picpus à Paris, devenu une annexe de Drancy. En août 1944, alors que les nazis sont sur le point de perdre la guerre et que les Américains arrivent, Henry voit ses forces décliner. Plus tard, après sa mort, on découvrira bien des secrets dans sa malle cachée dans un grenier.
Une émouvante histoire familiale.
En fin d’ouvrage, un arbre généalogique des familles Hayem, Klotz et Heilbronn permet de comprendre la filiation de l’auteur avec son célèbre ancêtre.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Stock, février 2023, 336 pages, 20,90 €
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