Jean Pierre Allali

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Lectures de Jean-Pierre Allali - Couvre-feux, par Clarisse Nicoïdski

11 Mai 2022 | 82 vue(s)
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Opinion

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Couvre-feux, par Clarisse Nicoïdski (*)

 

On ne remerciera jamais assez François Azar qui dirige les Éditions Lior, de permettre, par le biais des publications qu’il nous propose régulièrement, de maintenir vivace l’héritage judéo-espagnol. La collection « Leçons de vie judéo-espagnoles » qu’il dirige en témoigne. Avec ce beau roman de Clarisse Nicoïdski, il  conforte notre opinion.

Clarisse Nicoïdski (1938-1996) est née à Lyon au sein d’une famille juive originaire de Bosnie. On lui doit une vingtaine de romans dont certains ont fait sa célébrité. Dans « Couvre-feux », on découvre, avec les yeux naïfs mais curieux de tout d’une petite fille juive, Judith Naubim, ce que fut le quotidien des nombreux juifs réfugiés en France, à Lyon,  pour tenter d’échapper aux griffes de l’hydre nazie.

Judith, presque cinq ans, c’est la fille de Maurice Naubim, un tailleur qui travaille un peu « au noir » sur sa machine et de son épouse, Mathilde, née Milagro (un vrai miracle !). Les parents parlent souvent de Sarajevo et de la Yougoslavie. Mais c’est où çà, la Yougoslavie ? « Très loin, derrière les montagnes ». « Y a la mer ? ». « Oui ! ». « Alors, c’est l’Algérie ! ». « Mais non ! ». Oui, pour une petite fille qui, compte tenu de la situation et de l’extrême prudence imposée, n’est jamais allée plus loin que le parc de la Tête d’Or, c’est très loin Sarajevo. Et puis c’est quoi cette langue secrète que parlent parfois les parents et les tantes Xnia et Rifka, Isy Behar et Robin Lévy, les Vidal, les Katan, les Morhal et les Bruhel, une sorte d’espagnol, le djudezmo ?

Souvent, en remontant sa culotte qui n’arrête pas de tomber et en se fourrant un doigt dans le nez, Judith se promet, quand elle sera plus grande de vivre tout autrement que ceux de son entourage. Elle confie souvent ses pensées profondes à sa poupée-torchon. Car, enfin, mais c’est quoi tout ce bastringue : le loup, l’ogre, le croquemitaine, Hitler,  les nazis, la milice, la gestapo, les rafles, les couvre-feux, l’Amérique, les Alliés, De Gaulle … ?

Mathilde, elle, s’alourdit de jour en jour. Un bébé va naître bientôt.  Si c’est un garçon, on l’appellera Isaac-Samuel en souvenir des grands-parents. Pour les papiers officiels, on mettra Jacques en premier. Le bébé vient au monde le 8 novembre 1943, en pleine tourmente.
Et on va lui couper le zizi ! Mais pourquoi ? Chut parce qu’on est Juifs mais il ne faut le dire à personne !

Noël 1943. Au 15, Grande-rue de la Guillotière, on célèbre discrètement Noël en dépit de tout. Chacun aura son cadeau.

Le quotidien d’une famille juive pendant l’occupation allemande, la peur constante de la délation, la nécessité de changer parfois de domicile, la découverte de la vie à la campagne où on tue des lapins que l’on pend par les pieds et des cochons qu’on égorge.

Judith découvre aussi les églises et les crucifix. Elle ne sait pas se signer mais elle apprend vite.  Tout de même : un Bon Dieu cloué comme le coq du clocher ! On n’a jamais vu ça chez les Israélites.

C’est vraiment compliqué la vie. « Quand je serai grande, se promettait Judith avec ferveur, j’aurai un tampon juif, des rubans tue-mouche, des lapins pour des manteaux, un crucifix avec des feuilles d’herbe. Quand je serai grande, je serai une vraie Française qui parle français, je mettrai des souliers de satin. Rouge sang. Et je mangerai des cochons de lait. A la broche. Des œufs gobés. Quand… »

Très sympathique.

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions Lior. Septembre 2021. 404 pages. 20 €.