Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Hanoucca, une fête aux significations multiples

14 Décembre 2023 | 131 vue(s)
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Opinion
Le 10 janvier 2023, Yonathan Arfi, Président du Crif, s'est rendu à la cérémonie en hommage aux victimes de la rafle de Libourne du 10 janvier 1944. Il a prononcé un discours dans la cour de l'école Myriam Errera, arrêtée à Libourne et déportée sans retour à Auschwitz-Birkeneau, en présence notamment de Josette Mélinon, rescapée et cousine de Myriam Errera.  
 
À l'occasion de la fête juive de Hanoucca, découvrez les vœux du Président du Crif, Yonathan Arfi.
 

La 12ème Convention nationale du Crif a eu lieu hier, dimanche 4 décembre, à la Maison de la Chimie. Les nombreux ateliers, tables-rondes et conférences de la journée se sont articulés autour du thème "La France dans tous ses états". Aujourd'hui, découvrez un des temps forts de la plénière de clôture : le discours de Yonathan Arfi, Président du Crif.

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Jeudi 14 décembre, 2 du mois de Tevet. Ce soir sera allumée la  dernière bougie de Hanoucca. La tradition de Hillel  a effacé celle de Shammai, qui préconisait d’allumer huit lumières le premier soir et une seule le huitième, les lumières provenant évidemment à cette époque d’huile d’olive et non de bougies de paraffine…

Ce n’est pas la seule divergence sur cette fête dont les sens ont évolué dans l’histoire, qui a longtemps été considérée comme une festivité mineure et qui au cours de ces dernières générations a acquis une importance culturelle considérable. À cet égard le retentissement de Hanoucca 2023, ou plutôt 5784, aura été inhabituel, et pas seulement en Israël. 

 

Que ce soit décembre 165 ou décembre 164 avant l’ère chrétienne, les spécialistes en discutent, à une époque où l’Empire séleucide dominait la Judée, Hanoucca correspond à un événement historiquement daté, celui du jour, 25 Kislev où, trois ans après l’édit du roi Antiochos IV dit Épiphane qui avait dépouillé et profané le Temple de Jérusalem, celui-ci fut rendu au rite juif grâce aux victoires de Judas Maccabée. 

 

L’inauguration du Temple restauré (Hanoucca signifie encore inauguration dans l’hébreu d’aujourd’hui), dura huit jours, aussi longtemps que la fête de Souccot au cours de laquelle, suivant la tradition, Salomon avait inauguré le Premier Temple et elle fut marquée, écrit Flavius Josèphe, par l’allumage de lampes et de torches qui lui valurent le nom de fête des Lumières.

 

Hanoucca commémore donc l’indépendance nationale conquise par des combattants qui luttent pour maintenir le judaïsme contre un ennemi puissant qui cherche à uniformiser l’Empire en l’hellénisant. Les historiens discutent aujourd’hui sur les motifs réels d’Antiochos et sur le rôle qu’ont joué les Judéens partisans, modérés ou extrêmes de l’hellénisation, mais on comprend que l’histoire de Judas et ses frères, les cinq fils du prêtre Mattathias, telle que décrite dans les deux premiers livres des Maccabées ait profondément parlé aux militants sionistes de l’entre-deux-guerres. 

 

La fête de Hanoucca prit alors une signification nouvelle, qu’elle a gardée aujourd’hui, celle d’une lutte nationale, avec, à une période si proche du solstice d’hiver, l’évocation des lumières cherchant à percer le manteau des ténèbres croissantes, image particulièrement puissante aujourd’hui aussi bien chez les Juifs qui perpétuent la tradition sans arrière pensée que chez ceux qui, reprochant à Dieu de n’avoir pas été présent le 7 octobre, allument les lumières en mémoire des victimes.

 

L’indépendance de la Judée survint après la mort au combat de Judas Maccabée. L’un de ses frères s’arrogea le titre de Grand Prêtre, un autre celui de Roi auxquels ils n’avaient techniquement pas droit. La dynastie hasmonéenne s’hellénisa progressivement et des conflits très graves l’opposèrent aux Esséniens (c’est l’histoire encore mystérieuse de l’exil du Maître de Justice) et surtout aux Pharisiens dont les disciples seront les auteurs du Talmud quelques centaines d’années plus tard et qui garderont la mémoire des terribles persécutions de certains rois hasmonéens. Leurs textes éclipseront la victoire militaire au profit de sa signification spirituelle, et le miracle de la petite fiole d’huile pure qui suffit à éclairer le candélabre du Temple pendant une durée de huit jours est décrit principalement dans le traité Shabbat du Talmud. Bien plus anciens, les deux livres des Maccabées, écrits pourtant par des Juifs pieux, n’en parlent pas ; ces livres n’appartiennent pas à la Bible juive, mais à la Bible catholique qui fut paradoxalement le vecteur de transmission des glorieux exploits des fils de Mattathias.

 

 

Pour les enfants, Hanoucca a depuis longtemps la signification d’une fête familiale et joyeuse, le pendant du Noël des chrétiens si proche chronologiquement et des cadeaux qui l’accompagnent, avec tous ces plats hypercaloriques délectables que la diététique réprouve : ponshkes, latkes, kugel ou soufganiot…

 

 

Cette semaine, la fête de Hanoucca fut commémorée par des soldats israéliens au combat pour lesquels la lutte des Maccabées avait un sens vraiment existentiel. 

Mais elle fut aussi dans le monde l’objet de manifestations inhabituelles.

 

Passons sur le 12 décembre en Pologne où, avant une cérémonie au Parlement avec des représentants de la communauté juive de Varsovie, un énergumène, député d’extrême droite, a tenté d’éteindre les bougies du chandelier avec un extincteur, en hurlant que les Juifs étaient une secte satanique. La condamnation de la classe politique fut heureusement unanime… 

 

À l’inverse, un événement quasiment burlesque, celui de l’accueil, avec un chandelier à la main, de Volodymyr Zelensky par le nouveau Président argentin Javier Milei dont certains disent qu’il serait sur la voie d’une conversion au judaïsme et qui est en tous cas un partisan enthousiaste d’Israël…

 

 

Faut-il associer dans la catégorie d’événements émouvants mais saugrenus l’allumage au Palais de l’Élysée, bastion de la laïcité, d’une bougie de Hanoucca ? 

 

Je sais que certains espaces de laïcité obligatoire ont une délimitation floue, que des édiles municipaux écornent parfois les principes sans qu’on trouve à y redire, et je comprends que l’ambiance chaleureuse lors de la remise d’un prix au Président Macron pour sa lutte contre l’antisémitisme ait pu abaisser le seuil habituel de sensibilité à la séparation entre l’Église (juive en l’occurence) et l’État. J’ai conscience aussi que pour plusieurs rabbins européens présents, la notion de laïcité est aussi intraduisible qu’impratiquable et je ne suis pas de ceux qui redoutent que demain on égorge un mouton dans la cour de l’Élysée.

 

Cela étant dit, je pense que nous sommes en danger et que la laïcité est une arme indispensable, car c’est le seul espace de dialogue qui offre aux citoyens de notre pays un avenir qui ne soit pas celui du conflit ou de la soumission. Si son niveau d’exigence baisse, en s’avançant sur la pente glissante des accommodements trop vite dits raisonnables, on tombera dans des considérations de « respect des religions », un domaine où les islamistes sont experts en victimisation auto-proclamée. Et on comprendra trop tard que ce qui semblait une contrainte superfétatoire était le garant de notre liberté collective et de l’éducation au progrès de nos enfants.

 

Je soutiens donc les réserves exprimées par le Président du Crif. J’ajoute que, survenue la veille du jour où la France a voté au Conseil de Sécurité un texte qui faisait silence sur la responsabilité du Hamas dans les massacres du 7 octobre, la séquence m’a laissé une impression pénible, car en ce qui concerne les Juifs, Antiochos Epiphane et le Hamas, c’est le même combat…

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif 

 

 

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