Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Copernic, un jugement tardif, mais un vrai jugement quand même

27 Avril 2023 | 126 vue(s)
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Chronique de Bruno Halioua, diffusée sur Radio J, lundi 12 février à 9h20.

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Le 3 octobre 1980, l’attentat contre la synagogue Copernic avait entraîné quatre morts et de nombreux blessés. Il avait soulevé une émotion considérable avec une manifestation de 200 000 personnes dans les rues de Paris. Puis un long silence… Le jugement vient d’être rendu, 43 ans plus tard : Hassan Diab, Canadien d’origine libanaise, professeur émérite de sociologie dans une université d’Ottawa, a été condamné à la réclusion à perpétuité. 

 

Le Canada avait extradé Hassan Diab en France le 13 novembre 2014, six ans après le mandat lancé par le juge Marc Trévidic. Il n’y a pas qu’en France où les décisions de justice peuvent être lentes…

 

Incarcéré, Diab reste muet. Il n’accepte de répondre au juge qu’en 2016, en l’occurrence à Jean Marc Herbaut, successeur de Trévidic. Les parties civiles sont confiantes, mais le 13 janvier 2018, les juges Herbaut et Foltzer rendent une ordonnance de non-lieu et Diab libéré regagne le Canada le jour-même. 

Ce n’est que trois ans plus tard, en janvier 2021, que la chambre d’accusation de la Cour d’appel annule ce non-lieu, une décision confirmée par la Cour de cassation. Le 3 avril 2023 s’ouvre donc, in abstentia, le procès de Hassan Diab devant la Cour d’assises spéciale de Paris. 

Il y a fort à parier qu’il ne reviendra pas effectuer sa peine. Il veut passer pour un nouveau capitaine Dreyfus et réclame près de 100 millions de dollars de dommages et intérêts. Il bénéficie des revirements de la justice française, qu’il a accusée d’être inhumaine, d’un puissant comité de soutien au Canada et du parrainage d’Amnesty International.

Mais le verdict repose sur des bases solides et mieux vaut tard que jamais. Il faut rendre hommage au juge Trévidic, aux avocats des victimes et aux services de police qui n’ont pas classé l’affaire, contrairement à la police belge qui avait classé l’attentat contre une synagogue d’Anvers survenu exactement un an après celui de Copernic, à Simhat Torah aussi, attentat qui a entraîné la mort de trois personnes et dans lequel de lourds soupçons pèsent sur le même Hassan Diab et sur le groupe dont beaucoup d’arguments montrent qu’il en était un membre actif, à savoir le FPLP OS (OS pour opérations spéciales) issu d’une scission au sein du FPLP de Georges Habache, lequel était accusé d’être trop mou…

 

Sans entrer dans les détails de l’enquête (il faut là-dessus par exemple lire les précisions de Info-équitable et le livre très documenté de Clément Weill-Raynal paru avant le procès) on peut tenter un résumé.

L’élément central, c’est le passeport de Hassan Diab qui fut découvert (avec plusieurs autres passeports, dont certains se révéleront faux), lors d’une fouille de routine dans la serviette d’un passager qui, sur l’aéroport de Rome, ne pouvant donner aucune explication satisfaisante à cette collection d’un genre particulier et dont on saura plus tard qu’il était le neveu du chef du FPLP OS. 

La douane préfère expulser ce passager sans trop le titiller, lui rend ses nombreux passeports, mais en prend une photocopie. Cette photocopie deviendra l’élément clef du dossier.

Nous sommes un an après Copernic, mais aussi quelques jours avant l’attentat de la synagogue d’Anvers. 

 

À cette époque personne ne connaît le nom de Diab qui ne sera évoqué que vingt ans plus tard par les services allemands à leurs homologues français. On retrouvera alors la photocopie et on y verra que Diab était arrivé à Rome en provenance de Beyrouth le jour-même. Si son passeport, authentique, s’était trouvé si peu de temps après son arrivée dans la serviette d’un terroriste estampillé, on pouvait suspecter qu’un échange de passeports avait eu lieu dans l’aéroport même. Or, alors qu’on savait que l’Espagne avait servi de base arrière aux terroristes de Copernic, on lit aussi sur les tampons du passeport que le même Diab se trouvait à Madrid les jours d’avant et d’après l’attentat. 

 

Le modus operandi des terroristes de l’époque était d’utiliser pour leurs activités un faux passeport pour le pays de leur cible (passeport chypriote pour l’auteur de l’attentat de Copernic) et reprendre leur vrai passeport dès qu’ils s’étaient repliés dans un pays voisin (en Espagne en l’occurrence) avant de rentrer.

Le passeport de Diab était désormais repéré par Interpol, sa présentation aurait été désormais trop risquée. Restait à savoir si l’homme qui l’avait présenté à l'arrivée à Rome était le véritable Hassan Diab. Il devait en tout cas beaucoup lui ressembler car la photo n’avait pas été modifiée.

Deux ans après la mésaventure romaine, Diab fait une déclaration de perte à la police libanaise : son passeport était tombé du sac de son vélomoteur. La perte l’innocente de tout mésusage ultérieur du document. Deux ans, c’était alors avant Rome, mais c’était aussi après Madrid et Diab pourrait être interrogé sur ces tampons espagnols. Or, au juge parisien, Diab prétendra quelques années plus tard que, tout compte fait, son passeport avait disparu encore un an plus tôt, donc avant les attentats de Paris et il soutiendra qu’il n’avait jamais mis les pieds à Madrid. À la question qui s’imposait, pourquoi de tels délais pour déclarer la perte de son passeport, alors que dans ces cas on se hâte d’habitude d’informer les autorités, Diab répond qu’il n’avait pas le temps de se déplacer car il était trop absorbé alors par ses études de sociologie.

Croire cette histoire, c’est croire au Père Noël…

 

À cela s’ajoutent d’autres arguments, notamment le souvenir très précis que gardait de son visage un vigile parisien, aujourd’hui décédé, avec qui le faux chypriote s’était battu avant l’attentat. En effet, l’auteur de l’attentat de Copernic, qui ne semblait pas très rigoureux dans ses procédures de clandestin, avait tenté les jours précédents de voler une pince dans un grand magasin, probablement utile pour la mise en place de son explosif. Le vigile l’avait accompagné au commissariat parisien où l’affaire avait d’ailleurs été classée sans suite, mais il avait eu le temps de longuement le dévisager. Plus tard, confronté aux tests de reconnaissance de visages par la police française, il ne s’était jamais trompé : le visage qu’il gardait en mémoire était bien celui de Hassan Diab.

 

Quant aux déclarations de ses proches ou de ses anciens condisciples suivant lesquelles ce dernier se trouvait à Beyrouth, elles sont vagues, invérifiables ou suspectes par les liens sentimentaux du témoin avec Hassan Diab : il en est ainsi quand son ex-femme, avec laquelle il a gardé des relations très étroites vient, après des années de silence, se présenter à la police pour dire que le jour de l’attentat Hassan Diab l’avait accompagnée personnellement à l’aéroport de Beyrouth.

 

La mise en liberté de Hassan Diab avait entraîné une surprise assez générale ; il n’est pas habituel que le parquet fasse appel d’une telle décision et que celle-ci soit finalement annulée.

 

Les juges d’instruction ont mis sur le même plan des déclarations subjectives témoignant du vague souvenir que Diab s’était présenté aux examens de fin d'année de sociologie organisés on ne savait plus exactement quand (les archives libanaises n’existent plus), mais « probablement » à l'automne en raison du désordre de Beyrouth à l’époque de l’attentat et leur ont accordé un poids supérieur à celui de l’histoire à dormir debout du passeport perdu quelques années auparavant et de la perte qu’il n’avait pas eu le temps de déclarer ou sur la date à horaire variable où elle était survenue. Les juges ont considéré qu’il y avait donc des doutes sur l’implication de Hassan Diab et que ces doutes devaient lui profiter.

 

Le doute d’un juge d’instruction qui suffit à priver la société d’un procès indispensable, c’est exactement ce que nous avons vu pour Sarah Halimi…

 

Clément Weill-Raynal a utilisé pour son livre la formule « une enquête sabotée ». Elle l’a été à plusieurs titres.

Cette enquête a été techniquement difficile, la plupart des pays arabes en question, Liban, Syrie ou Jordanie n’éprouvant pas, c’est un euphémisme, un désir intense de coopérer et bien des complices sont restés en liberté.

Mais il y a autre chose ; c’est l’assurance avec laquelle la presse française de l’époque, mais aussi le pouvoir politique, ont accusé des néo-nazis d’être les responsables de l’ignoble attentat. Ces misérables et minables groupuscules n’y étaient pour rien, la police l’a su très vite, mais il ne fallait pas le dire et on a dirigé la colère contre la « peste brune ».

Il était malvenu en 1981 d’incriminer des mouvements pro-palestiniens dont le palmarès était pourtant éloquent. Le gouvernement giscardien avait, quelques années auparavant, fait libérer Abou Daoud, l’organisateur des attentats de Munich et évité son extradition en Allemagne ou en Israël, sous prétexte d’arguties juridiques douteuses. Il s’agissait avant tout de jouer l’apaisement en souhaitant que les organisateurs d’attentats déposent leurs bombes chez les voisins plutôt que dans notre pays.

Deux mois seulement avant l’attentat contre la synagogue Copernic, un membre de Abu Nidal avait tiré à Anvers sur des enfants juifs qui montaient dans un car. L’un d’entre eux, un petit parisien, avait été tué et l’assassin fut échangé contre des touristes belges pris comme otages. 

 

À Entebbe, quatre ans auparavant, l’action commanditée par le FPLP avait montré que l’organisation, que certains aujourd’hui encore qualifient de respectable, ne faisait pas de différence entre Juifs et israéliens. Mais dire cela n’était pas politiquement correct.

 

Est-ce que la situation a changé ?

 

On ne peut pas évoquer l’attentat de Copernic sans penser à la phrase de Barre fustigeant cet attentat qui « visait des Juifs et avait frappé des Français innocents », qui reste gravée dans nos mémoires.

Je laisse à d’autres le soin de déterminer s’il s’agissait d’un retour du refoulé ou si la langue du Premier Ministre avait fourché à cause de la tension nerveuse. L’homme était trop orgueilleux pour présenter des excuses. 

 

Ce qui est malheureusement certain, c’est que, face aux critiques, il s’est posé en victime et qu’il a fini sa vie indiscutablement antisémite…

 

 

Richard Prasquier, Président d'honneur du Crif 

 

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