Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Bibi et Lula, frères ennemis ?

03 Novembre 2022 | 187 vue(s)
Catégorie(s) :
Opinion

Comme chaque été, de nombreux juifs ont décidé de quitter la France pour s’installer en Israël. On parle de 8000 à 10 000 pour l’ensemble de l’année 2015. J’ai moi-même fait ce choix en 2013  et pourtant j’ai, plus que jamais, envie de parler de ceux qui restent. 

Dov Maimon rejoint les auteurs du Blog du Crif !

Ce dernier détaille ici les multiples racines de l’antisémitisme, qui a explosé en France à partir de l’année 2000 et la première « intifada ». Et qui s’est fortement aggravé tout au long de l’année dernière. Marc Knobel évoque notamment l’origine idéologique – soulignée et étudiée par le philosophe et chercheur Pierre-André Tagguief – d’un antisémitisme qui découle d’un antisionisme extrême, lui-même alimenté depuis longtemps par les tenants de l’islamisme radical. Extrême gauche et extrême droite française en passant par « Dieudonné and Co » sont aussi, historiquement et actuellement, parmi les premiers diffuseurs de la haine antisémite en France. Description et analyse en huit points.

Partout en France, des crayons, des stylos et des feutres ont été brandis, les seules armes du courage et de la liberté contre d'autres armes qui tuent, qui souillent, qui meurtrissent à tout jamais.

Pages

Dans deux pays qui me sont chers à titre personnel, des élections ont eu lieu cette semaine: l’une au Brésil avec 156 millions d’électeurs, l’autre en Israël qui en a impliqué 25 fois moins. Elles n’ont rien à voir l’une avec l’autre, mais les deux vainqueurs  ont pourtant quelques similitudes…

Luiz Inácio Lula da Silva et Benjamin Netanyahu sont  connus dans le monde entier comme Lula et Bibi. Appeler par un surnom est fréquent pour les artistes, Prince, Bjork, Madonna et bien d’autres, les athlètes, comme un autre Brésilien, Edson Arantes do Nascimento dit Pelé, ou les écrivains,Molière, Voltaire ou Stendhal, mais le mononyme, comme disent les linguistes, est exceptionnel chez les hommes politiques, soit parce que c’est un terme affectueux que les adversaires veulent évidemment éviter, soit parce que le respect pour la fonction interdit le diminutif.

La généralisation de ceux de Lula et de Bibi indique qu’ils sont devenus des produits de consommation courante.

Il y a de quoi, d’ailleurs. Personne,  sauf des rois ou des dictateurs, n’est resté en ce siècle aussi longtemps que ces deux là au premier rang de la scène politique nationale. Lula parvient au second tour de la présidentielle de 1989, est battu en 92 et 96, gagne celles de 2002 et 2006, n’a pas le droit de se présenter en 2018 et gagne en  2022. Bibi représente Israel à l’ONU en 1984, est Premier ministre en 96, quitte la vie politique en 99, devient Ministre des Affaires Etrangères puis des Finances entre 2002 et 2005, et de nouveau Premier Ministre entre 2009 et 2021.

Tous deux ont été considérés comme politiquement finis, l’un a fait de la prison, l’autre en a été  menacé.

Lula, condamné   pour corruption à neuf ans et demi , puis  en appel à 12 ans de prison, y  a passé 20 mois, dans le courant de l’énorme enquête appelée Lava Jato au Brésil. Sa condamnation a été annulée en 2021, la Cour Suprême ayant considéré que le juge Sergio Moro avait agi avec partialité, mais le fond de l’affaire n’a pas été réglé.

Quant à Bibi, beaucoup d’observateurs pensaient que les accusations dans trois affaires de corruption lancées contre lui en 2016, la même année que commençait la procédure contre Lula, allaient sonner le glas de sa carrière .

Il n’en est rien, comme on le voit, et pas seulement parce que son allié Itamar Ben Gvir annonce qu’il fera une proposition de loi pour annuler le procès en cours. Une interférence aussi manifeste dans le cours de la justice serait contre-productive, d’autant que les volte-faces de l’ancien Directeur du Ministère des Communications, Shlomo Folber dans le plus grave des dossiers, celui qui a trait aux pressions exercées sur le site d’information Walla! ont augmenté la probabilité d’un acquittement.

Ainsi ressuscitent deux hommes d’une ténacité inhabituelle, qui sont convaincus d’être les seuls à même de réussir leur mission, lutter contre la pauvreté pour le Brésilien, assurer la sécurité de son pays pour l’Israélien.

Leurs électeurs votent pour eux parce qu’ils savent ce qu’ils ont fait et d’où ils viennent. Lula parce que cireur de chaussures puis ouvrier métallo, il sait ce qu’est être pauvre, Bibi, parce qu’il fut un membre éminent de la Sayeret Matkal, parce qu’il est le frère du héros de Entebbe et parce qu’il a défendu Israël devant tous les grands et les moins grands de ce monde.

Tribuns charismatiques, leaders cabossés, ils ont des personnalités clivantes, un facteur qui conduit à voter contre un candidat plutôt que pour un autre.

Mais au Brésil, le président sortant Bolsonaro est encore plus polarisant que Lula. En  Israël, en revanche, un autre repoussoir a été  l’inquiétude à voir un parti arabe accéder au gouvernement, qui a amené certains électeurs à voter  Netanyahu par ricochet.

Au Brésil s’est coagulée ainsi une coalition disparate de « tout sauf Bolsonaro ». Elle a gagné, moins facilement d’ailleurs que ne le prédisaient les sondages.

En Israël à l’inverse,  le bloc  autour de Bibi, incluant une extrême droite jusque-là infréquentable, l’a emporté,, de peu également en termes de voix, contre des partis anti-Netanyahu éparpillés, dont certains, comme prévisible, ne passent pas la barre des 3,25%.

Au total, les deux vétérans ont chacun gagné leur pari, mais tout  oppose  les deux hommes et le message de soutien de Benjamin Netanyahu à Jaïr Bolsonaro, dont l’épouse a voté avec un tee shirt aux couleurs d’Israël, ne va pas améliorer leurs relations.

Lula,  qui a promis de gouverner au centre, reste quand même un militant anti impérialiste fondamentalement hostile à l’ordre américain. S’il a été le premier chef d’Etat brésilien à visiter Israël, il  avait  refusé d’aller sur la tombe de Herzl et à sa place a déposé, keffieh sur le cou, une gerbe sur celle de Arafat à Ramallah. Espérons   qu’il ne cédera pas aux tentations d’une alliance mélenchono-vénézolano-poutino-palestino-iranienne.

Quant à Bibi, je reste confiant que sa lucidité et son habileté sauront  empêcher chez ses inquiétants partenaires toute tentative de faire dériver la précieuse démocratie israélienne vers une mainmise théologique catastrophique et contraire à l’enseignement de son maitre en sionisme, Zeev Jabotinsky...

Richard Prasquier