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Publié le 19 Janvier 2022

France - "L’Algérie sous Vichy", sur Arte, revient sur la stratégie pétainiste pour diviser les juifs et les musulmans d’Algérie

Comment l’Etat français, farouchement antisémite et partisan d’un empire colonial autoritaire, a rabaissé les juifs au rang d’« indigènes ». Un épisode douloureux et complexe de l’histoire de France.

Publié le 18 janvier dans Le Monde

Passionnant de bout en bout, riche en archives filmées inédites, en témoignages éclairants, et porté par la voix d’Eric Caravaca et la musique originale de David Konopnicki, ce documentaire, inspiré par le livre de Jacques Attali, L’Année des dupes. Alger 1943 (Fayard, 2019), dévoile un épisode douloureux et complexe de l’histoire de France. 

On y découvre comment, entre l’été 1940 et l’été 1943, les juifs et les musulmans d’Algérie ont vécu les discriminations et les persécutions d’un régime à la fois farouchement antisémite et partisan d’un empire colonial autoritaire.

En abrogeant, dès octobre 1940, le décret Crémieux, qui avait accordé aux juifs d’Algérie la citoyenneté française en 1870, les autorités tentent à la fois d’humilier les 130 000 « israélites », comme on disait alors, présents en Algérie, mais aussi de faire comprendre aux 7 millions de musulmans (90 % de la population) qu’ils ne devaient plus espérer obtenir cette citoyenneté française.

Traumatismes encore palpables

« Toute l’extrême droite française et de nombreux Européens d’Algérie militaient depuis toujours pour l’abrogation du décret », rappelle l’historien Benjamin Stora, précieux témoin qui raconte l’histoire de son grand-père, juif d’Algérie, dont tous les biens ont été spoliés.

De fait, en perdant la nationalité et en redevenant « indigènes », les juifs perdent le droit d’exercer dans la fonction publique, l’armée, la presse, le cinéma, ainsi que leurs biens, et leurs enfants sont privés de scolarité, ce qui provoquera des traumatismes encore palpables chez les témoins, enfants à l’époque, interrogés face caméra.

Malgré ses efforts pour diviser juifs et musulmans, le régime autoritaire en place à Alger n’y parvient pas. « En ôtant leurs droits aux juifs, vous n’accordez aux musulmans aucun droit nouveau. L’égalité que vous venez de réaliser entre juifs et musulmans est une égalité par le bas », déclare, en mars 1941, Messali Hadj, leader du courant indépendantiste.

La loi de programmation économique du 22 juillet 1941 organise la confiscation et l’« aryanisation » des biens juifs – sur le modèle de l’occupant allemand. Sur le sol algérien, de nombreux camps (de travail, d’éloignement) se remplissent d’« indésirables » : soldats juifs de l’armée française défaite, communistes, nationalistes algériens. Dans des conditions éprouvantes et indignes. A Bedeau (aujourd’hui Ras El Ma, près de Sidi Bel Abbès), dans un camp de tentes vétustes en plein désert, les détenus cohabitent avec scorpions, chacals et serpents.

Même après le débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord, en novembre 1942, l’idéologie pétainiste continuant à régner, le général Henri Giraud, rival de De Gaulle soutenu par les Etats-Unis, n’a aucunement l’intention de redonner leur citoyenneté aux juifs. Ce n’est qu’en octobre 1943 que le décret Crémieux sera rétabli, en catimini.

  • L’Algérie sous Vichy, de Stéphane Benhamou (Fr., 2021, 52 min). Sur Arte.tv jusqu’au 18 mars.

L'Algérie sous Vichy  (Arte) :  En archives et avec l’éclairage d’historiens, une traversée de l’Algérie coloniale sous Vichy, où persécutions des juifs et discriminations systémiques envers la majorité musulmane encouragent la lutte pour l’indépendance.