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Publié le 29 Juillet 2020

Revue annuelle du Crif 2020 - L'amitié des Juifs et des Chrétiens : un rempart contre la haine, par Jacqueline Cuche

L’Amitié Judéo-Chrétienne de France, dont j’ai l’honneur d’être la présidente depuis 5 ans, a été fondée en 1948. On venait tout juste de découvrir l’horreur et l’ampleur de la Shoah, et, l’année précédente, dans le petit village suisse de Seelisberg, une conférence internationale de chrétiens et de juifs s’était tenue pour se pencher sur ce fléau de l’antisémitisme, voir comment le combattre et surtout comment le faire disparaître.

Le Crif bénéficie régulièrement de l’expertise et des contributions, analyses et articles de nombreux chercheurs.euses et intellectuel.eles sur les nouvelles formes d’antisémitisme, l’antisionisme, la délégitimation d’Israël, le racisme et les discriminations, les risques et enjeux géopolitiques et le terrorisme, notamment.

L’institution produit également des documents dans le cadre de sa newsletter, de la revue Les Études du Crif, sur son site Internet et sur les réseaux sociaux, en publiant régulièrement les analyses et les points de vue d’intellectuels. Des entretiens sont publiés également sur le site. Pour la collection des Études du Crif, plus de 130 intellectuels ont publié des textes.

Chaque année, nous demandons à plusieurs intellectuel.les de bien vouloir contribuer à notre revue annuelle.

Si les textes publiés ici engagent la responsabilité de leurs auteur.es, ils permettent de débattre et de comprendre de phénomènes complexes (laïcité, mémoire, antisémitisme et racisme, identité…).

Dans les semaines à venir, vous aurez le loisir de découvrir ces contributions ! Bonne lecture !

 

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L'amitié des Juifs et des Chrétiens : un rempart contre la haine, par Jacqueline Cuche

Jacqueline Cuche est présidente de l'Amitié Judéo-Chrétienne de France.

L’Amitié Judéo-Chrétienne de France, dont j’ai l’honneur d’être la présidente depuis 5 ans, a été fondée en 1948. On venait tout juste de découvrir l’horreur et l’ampleur de la Shoah, et, l’année précédente, dans le petit village suisse de Seelisberg, une conférence internationale de chrétiens et de juifs s’était tenue pour se pencher sur ce fléau de l’antisémitisme, voir comment le combattre et surtout comment le faire disparaître. Le grand historien juif Jules Isaac avait joué un rôle majeur au cours de cette conférence puisque c’est en s’inspirant fortement de ses travaux que les chrétiens présents ont rédigé la toute 1ère charte de dialogue judéo-chrétien, intitulée « Les Dix Points de Seelisberg ».

L’année suivante, en 1948, le même Jules Isaac fondait, avec quelques amis juifs et chrétiens, l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, la 1ère d’Europe, peut-être même du monde, pour mettre en pratique cette charte, pour qu’en France chrétiens et juifs unissent leurs forces afin de combattre l’antisémitisme et travaillent à transformer le regard que les chrétiens portaient alors sur les juifs, un regard négatif causé par une vision religieuse erronée. Car la grande découverte de Jules Isaac, aussitôt suivi par l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, puis plus tard par les Églises, c’est que c’est ce regard négatif porté sur le judaïsme, c’est cet «enseignement du mépris», comme il l’avait si bien nommé, qui avait pendant des siècles imprégné les esprits, préparé le terrain et permis ainsi à l’antisémitisme païen le plus odieux de se développer. C’était en fin de compte reconnaître la part de responsabilité des chrétiens dans la Shoah. Voilà donc le double combat que l’AJCF se donnait pour mission de mener : combattre l’antisémitisme et combattre l’antijudaïsme chrétien.

Cela fait 70 ans que l’Amitié Judéo-Chrétienne de France existe. Depuis, elle a essaimé, comptant maintenant une bonne quarantaine de groupes locaux dispersés à travers la France. Et, dans le monde, d’autres Amitiés lui ont emboité le pas, une quarantaine là encore, regroupées en une vaste fédération internationale, l’ICCJ. Peu à peu, les Églises ont suivi un chemin semblable, que ce soit l’Église catholique, avec la déclaration conciliaire « Nostra Aetate » de 1965 puis les nombreux documents, discours et gestes des papes successifs, ou les Églises protestantes (avec la belle déclaration « Église et Israël » de 2001) et, avec plus de lenteur, les Églises orthodoxes. L’enseignement qu’y reçoivent maintenant les chrétiens les engage à voir dans les juifs leurs frères aînés, comme aimait à les nommer le pape Jean-Paul II. De ce côté-là, des pas immenses ont été accomplis, signant la condamnation définitive de l’antijudaïsme chrétien.

Contre les traces qui en persisteraient çà et là (car ce n’est pas en 50 ans que l’on peut faire disparaître des préjugés qui ont imprégné les esprits pendant près de 20 siècles), les membres de l’AJCF s’efforcent, par des rencontres, cours, sessions, conférences, de répandre partout où ils le peuvent une image positive du judaïsme et de la tradition juive et d’encourager la création de liens d’estime et d’amitié entre juifs et chrétiens.

En revanche, le combat contre l’antisémitisme semble encore loin d’être gagné. L’antisémitisme traditionnel, celui que les fondateurs de l’AJCF et à leur suite tous ses membres se sont engagés à combattre, non seulement n’a pas disparu mais semble même ressurgir avec force un peu partout en Europe. Multiplier les occasions et lieux de rencontre entre juifs et chrétiens, comme l’AJCF s’emploie à le faire, est sans doute encore un bon moyen de combattre les préjugés antisémites.

Mais quand vient les renforcer un antisionisme primaire, qui, épousant avec passion la cause palestinienne, se met à peindre sous les jours les plus sombres l’État d’Israël et à rejeter du même coup non seulement tous les juifs d’Israël mais finalement tous les juifs en général, alors l’AJCF se sent là aussi interpellée.

« Sur tes remparts, Jérusalem, j’ai posté des veilleurs », lit-on en Isaïe. Les chrétiens de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France se sentent investis de cette charge de veilleurs, dans laquelle ils s’efforcent d’entraîner tous les autres, chrétiens ou non.

Dénoncer l’antisémitisme sous toutes ses formes, être présents après des Juifs lors qu’ils sont éprouvés et leur affirmer une solidarité sans faille, voilà la tâche à laquelle ils se sont engagés.

Mais il leur revient aussi d’alerter les responsables des Églises lorsque la situation le demande, comme ce fut le cas lors des votes scandaleux de l’UNESCO, au printemps 2016. Et c’est pourquoi j’avais écrit en leur nom aux responsables des Églises mais aussi à la Directrice de l’UNESCO, pour protester contre ce vote infâme.

Être ferment de réconciliation, c’est aussi, de la part des chrétiens, dire du bien d’Israël. En dire du bien, non parce que c’est un État au- dessus de tout soupçon. On peut en effet en critiquer la politique, comme celle de n’importe quel autre État, mais dire du bien d’Israël, c’est défendre sans aucune ambiguïté son existence ; c’est aussi vouloir rétablir une vision de ce pays plus équilibrée que celle véhiculée par les médias, en montrant ce qui s’y passe de beau. Face au dénigrement continu de ce pays, l’Amitié Judéo-Chrétienne de France s’est donné pour tâche non seulement d’informer sur la complexité de la situation politique, mais aussi de faire connaître toutes les initiatives en faveur de la paix et du dialogue - plus d’une centaine, en d’innombrables domaines -, dans lesquelles, en Israël, juifs et arabes œuvrent ensemble au quotidien et font bien plus pour qu’advienne un jour la paix que tous les mouvements de boycott réunis.

Mais les membres chrétiens de l’AJCF ne pourraient rien faire sans le soutien, sans l’engagement sans faille de ses membres juifs, qui ont décidé de parier sur la confiance et l’espérance et de construire avec les chrétiens une amitié qui soit un rempart contre la haine mais aussi un témoignage, pour notre monde si divisé, que quel qu’ait été le passé la fraternité est possible. Un éminent responsable de communauté juive et grand ami de l’AJCF déclarait récemment : « Nous avons désormais tant besoin les uns des autres. Nous ne pouvons plus marcher que la main dans la main ».

Cette main que juifs et chrétiens nous nous prenons, nous, membres de l’AJCF, sommes bien décidés à ne plus jamais la lâcher.

 

Cet article a été rédigé pour la revue annuelle du Crif.

Nous remercions son auteure.