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Cette année,70 ans plus tard, l’inauguration des Chemins de la mémoire, en souvenir des massacres des détenus de la prison de Montluc, marque la volonté de donner plus de poids encore à cette cérémonie en rappelant le terrible trajet de ces 109 détenus extirpés par l’occupant les 17 18 et 21 août 1944 des geôles du fort Montluc, à la veille de la libération, pour effectuer de vains travaux de terrassement, désamorcer des bombes alliées, avant d’être lâchement assassinés.
Chemins de la mémoire… Cette appellation symbolique nous donne aujourd’hui l’occasion de nous interroger sur notre propre parcours sur le chemin de la mémoire…un siècle après la Première Guerre mondiale et 70 ans après la seconde.
2014, le temps est venu de la disparition des témoins.
Ceux de la Grande Guerre ne sont déjà plus parmi nous. Nos références sont leurs descendants pour autant que la mémoire familiale ait été entretenue, les objets et documents laissés par les poilus et déposés dans les musées, les livres, livres de témoignages, livres d’histoire.
Ceux de la dernière guerre s’éteignent à leur tour peu à peu.
Songeons par exemple que des 700 résistants cités à l’ordre des Compagnons de la Libération et survivants à l’issu de la guerre, seuls 19 sont encore en vie !
Il y a une certaine urgence à recueillir tous les témoignages, à les inscrire à jamais.
Prenons conscience encore que les fusillés de Bron, dont l’âge allait de l’adolescence à la 60aine, sont pour les enfants reprenant aujourd’hui même le chemin de l’école, au mieux les contemporains de leurs arrières grands-parents, voir même arrières arrières grands-parents.
Cette période si éloignée pour les écoliers du 21ème siècle s’inscrit dans l’histoire au même titre que celle de Jeanne d’Arc, alors que pour nous dans le contexte des tensions internationales, de la montée du populisme, de la résurgence de l’antisémitisme et la xénophobie, elle reste une référence pour mieux comprendre le présent.
Le culte de la mémoire et de la commémoration a pour honorable objectif celui d’apporter à tous la connaissance des épreuves de notre histoire collective et avec cette connaissance commune, de fédérer les hommes et les nations en vue de préserver la paix.
François Hollande en inaugurant le début des cérémonies commémoratives de ces deux dernières guerres a dit « il n’y a pas de reconnaissance plus forte que celle de la connaissance. La mémoire ne divise pas elle rassemble »…
Mais, cette mémoire peut avoir des destinées différentes.
À peine avait-on fêté la victoire de 1918 que les monuments aux morts s’érigeaient dans toutes les villes et les villages de France.
Les morts, le vrai visage noir des guerres, prenaient place parmi les vivants.
Qui n’a pas été horrifié à la lecture des noms sur les monuments aux morts de nos campagnes ? Les listes de noms de familles entières décimées !
Ce juste témoignage rendu aux morts, cette juste réalité de la guerre jetée au regard des vivants, cette juste mémoire n’a-t-elle pas eu un rôle dans le pacifisme d’après-guerre, dans cette posture aujourd’hui qualifiée de « Munichoise » ?
À l’inverse, elle aurait pu conduire, si les plus courageux des politiques avaient été à l’époque entendus, à des prises de position plus fermes face au régime nazi…qui auraient peut-être changé ce tournant de l’histoire… !
Mais de l’autre côté du Rhin, cette même juste mémoire, faite de frustrations et d’esprit de revanche a conduit à la prise de pouvoir du National-socialisme, avec les ravages que nous connaissons.
Et aujourd’hui, que constatons-nous ?
- Sur un fond de crise économique mondiale renaissent à nouveau de leurs cendres les frustrations, si mauvaises conseillères…
- Sur un fond de fausse concurrence des mémoires, entre dans la tête de certains de nos jeunes, le rejet voir la haine de l’enseignement de la Shoah, le retour des préjugés antisémites, la tentation des idées conspirationnistes, voir négationistes…
-Sous prétexte de conflit israélo-palestinien surgissent les dangereux amalgames pour ne pas dire les amalgames pervers qui à vouloir comparer tout avec n’importe quoi finissent par mettre la mémoire en danger… Ici, tel juste qui souhaite rendre sa médaille… Là, dans notre région, telle autre cérémonie de remise de la médaille des justes annulée pour cause d’opération « bordure protectrice » en Israël. Partout encore, des stèles et des mémoriaux à la Shoah, tagués et profanés tout au long de l’été.
Si certains s’interrogent sur « l’usage démesuré des commémorations, témoin d’une certaine vénération d’un passé morbide et de la difficulté à penser et bâtir le futur », à l’inverse la négation de la mémoire ou l’usage d’une mémoire édulcorée serait sans aucun doute risqués, voir dangereuse. Ainsi l’actualité toute récente d’il y a à peine quelques jours, nous en donne malheureusement l’illustration : le changement subreptice du texte gravé sur la plaque apposée au 93 de la rue Lauriston à Paris, ancien siège de la sinistre Gestapo française, et où la mention de la torture des résistants a été supprimée.
Alors que s’ouvrent les portes des écoles pour une nouvelle année, il est indispensable de veiller à poursuivre le travail engagé depuis toutes ces années.
Remercions encore, s’il en était besoin, le travail acharné de Serge et Beate klarsfeld et de l’association des fils et filles de déportés juifs de France, de la fondation pour la Shoah, des anciens combattants et résistants, de l’association des rescapés de Montluc qui œuvrent depuis tant d’années pour notre passé, notre présent et notre avenir…
Remercions l’engagement toujours plus fort de nos politiques, de nos institutions et des nombreux enseignants toujours plus motivés et acharnés à transmettre la mémoire.
Considérons que les mémoires, loin de se faire concurrence, en réalité se complètent. Rappelons que la mémoire de la Shoah n’a jamais éclipsé la mémoire de l’esclavage dans les livres d’histoire puisqu’avant la Seconde Guerre mondiale, elle n’y était pas plus présente qu’après. Considérons au contraire que l’exemple du travail mené sur la Shoah inspire par bien des aspects la transmission d’autres mémoires, et par exemple celle du génocide au Rwanda.
Considérons les réussites de ce travail et pas leurs échecs. Inspirons-nous des expériences positives entreprises dans bien des écoles et ailleurs… par exemple, ce projet mené avec des jeunes détenus de 16 à 18 ans, au départ dans le rejet et les a priori, à l’arrivée récompensés du prix Annie et Charles Corrin pour leur remarquable travail d’abécédaire sur les sportifs pendant la Shoah …
Ne baissons pas les bras, ne renonçons pas… Au contraire, continuons pour progresser à enseigner la vérité de cette histoire pour qu’elle ne soit comparée à nulle autre, à l’incarner pour la transmettre, à dialoguer et à favoriser les échanges plutôt que les non dits, les refus d’entendre et de savoir … Plus que jamais, la mémoire est notre présent. Écoutons-la, respectons-la avant qu’il ne soit trop tard…