Tribune
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Publié le 14 Novembre 2016

#Opinion - 13-Novembre - Gilles Kepel : "Les djihadistes ne pourront pas atteindre leurs objectifs en France, mais d'autres islamistes s'efforcent de tirer profit de la situation"

Le politologue revient sur la scission de la société française et sur le terrorisme islamiste.
Publié sur Atlantico le 13 novembre 2016
 
Dans quelle mesure les attentats du 13 novembre, et plus généralement ceux survenus depuis le début de l'année 2015, ont-ils contribué à aggraver la fracture qui divise la société française actuellement ?
 
Gilles Kepel : Les attentats du 13 novembre s'inscrivent dans la suite de l'attaque et du massacre à Charlie Hebdo comme à l'épicerie Hyper Cacher de la porte de Vincennes.
 
Ils annoncent le massacre de Nice du 14 juillet 2016 et les assassinats de policiers à Magnanville le 13 juin ainsi que celui du père Jacques Hamel à Saint-Etienne du Rouvray le 26 juillet. Tous ces phénomènes ont pour objet, dans la vision du monde de ces djihadistes de troisième génération qui visent prioritairement l'Europe, à fracturer profondément la société française par la multiplication des provocations meurtrières. Elles sont destinées à susciter des actions violentes antimusulmanes et plus généralement à faire monter le vote de l'extrême droite à cette même fin.
 
Même si les djihadistes, par l'horreur qu'ils suscitent dans l'immense majorité de nos compatriotes musulmans, n'ont guère de chances de les ranger sous leur bannière – contrairement à leur espoir – il existe d'autres acteurs islamistes qui s'efforcent de tirer les marrons du feu de cette situation. Ils  cherchent à faire croire à nos compatriotes musulmans que la France serait islamophobe et qu'il faut qu'ils se mobilisent autour de la lutte contre "l'islamophobie" pour constituer un lobby communautaire qui sanctionnerait dans les urnes, aux législatives 2017, les candidats en fonction du degré d'"islamophobie" qui leur serait attribué. 
 
La fracture en question oppose d'un côté ceux qui ont une conception identitaire, ethno-raciale de la France, et qui excluent, qui montrent au doigt nos concitoyens musulmans ; et de l'autre les communautaristes qui voudraient figer ceux-ci autour d'une conception fermée d'une religion rigoriste qui interdirait leur fusion dans la société française.
 
Quelles sont les stratégies mises en place par les djihadistes pour parvenir à monter les musulmans de France contre le reste de la société française ? Comment lutter contre elles en vue d'éviter cet embrigadement meurtrier ? 
 
Leur objectif c'est que les gens se vengent sur des individus musulmans, des lieux de cultes, et cætera, à la suite des attentats sanglants et qu'il y ait une sorte d'enchaînement du cycle de provocation-réaction-solidarité. 
 
Mais la société française s'est montrée d'une résilience extraordinaire en presque deux ans pendant lesquels il y a eu, rappelons-le, 239 morts. En revanche une partie des politiciens qui sollicitent nos suffrages pour 2017 activent cette fracture de manière à récolter des voix d'un électorat inquiet – et, bien sûr, l'élection de Donald Trump leur donne des ailes – ce qui ne les empêche pas parfois de faire des deal au niveau local avec salafistes ou frères musulmans pour gérer la paix sociale dans des quartiers difficiles.
 
Par ailleurs, la querelle indécente – à tous les sens du terme – sur le burkini cet été a permis au CCIF de construire une mobilisation communautaire avec de larges soutiens parmi les "défenseurs des droits de l'Homme". Elle a aussi permis de retourner curieusement le stigmate, faisant passer la France d'un jour à l'autre de victime des attentats à bourreau des musulmanes. C'était une occasion pour occulter complètement le phénomène djihadiste, ne pas le penser en particulier dans sa relation ambigue avec le salafisme... Lire l'intégralité.