Tribune
|
Publié le 14 Janvier 2013

Le point de vue kabyle

Par Tahar Abane

 

Diplômé en droit, Tahar Abane est un journaliste kabyle, lecteur assidu de la Ména. Il exerce son métier dans la presse écrite et radiophonique en Algérie. Ses domaines de prédilection sont la couverture de l’actualité, l’analyse politique, les relations internationales et les sciences humaines. 

 

Située en Afrique du Nord, la Kabylie a toujours défendu jalousement sa spécificité culturelle et identitaire d’origine berbère1. Au-devant de la scène, dans tous les mouvements de revendications amazighes, la Kabylie est le fief incontournable de la lutte démocratique en Afrique du Nord.

Contexte géographique

 

La Kabylie est une région montagneuse, située à cinquante kilomètres à l’est d’Alger, la capitale politique de l’Algérie. Elle s’étire le long de la Méditerranée sur une distance de deux cents kilomètres, pour une superficie de plus de 30 000 kilomètres carrés.

 

La Kabylie s’étend sur un axe nord-sud, sur trois ensembles montagneux : le mont Tamgout, l’Akfadou au Nord, le Djurdjura, culminant à Lalla-Khadija, au Sud, entre les deux le bassin du Sebaou jouxtant le Djurdjura par le Sud-Est et les montagnes du massif de l’Agawa.

 

Administrativement, la Kabylie n’existe pas ; elle est divisée par des wilayas (l’équivalence des départements). Les trois principaux départements de la Kabylie sont Tizi-Ouzou (Tizi-Wezzu), Bejaia (Vgayet) et Bouira (Tuvirett).

 

D’autres départements incluent certaines régions de la Kabylie, comme Boumerdes au Nord, Jijel et Sétif vers l’Est. Les villages, cœur de l’organisation sociale en Kabylie, sont toutefois organisés de manière autonome et solidaire.

 

On estime aujourd’hui la population kabyle à environ dix millions d’habitants, dont sept millions vivent en Kabylie, deux millions en diaspora et un million réparti entre la capitale algérienne et le reste des régions algériennes.

 

 

Regard sur l’histoire de la Kabylie

 

En 1830, la France coloniale se lance à la conquête de l’Algérie ; à l’instar des autres régions de l’Afrique du Nord, la Kabylie tombe entre leurs mains. Ce n’est qu’après une résistance farouche des tribus kabyles et, particulièrement, après la bataille d’Icheriden en 1857, que la domination française s’établit sur l’ensemble du territoire kabyle.

 

Très vite pourtant, la résistance anticoloniale s’organise, la Kabylie ayant sacrifié ses meilleurs enfants pour sa liberté, et ce, dès la création de l’Étoile nord-africaine (ENA)2, dont la majorité des fondateurs étaient des Kabyles.

 

De Lalla Fatma N’Soumer, au Cheikh El Mokrani, passant par Krim Belkacem et Abane Ramdane, la présence des Kabyles s’est située à l’avant-garde durant toute la Guerre de libération de l’Algérie. Guerre qui s’est achevée en juillet 1962 par l’obtention de l’indépendance, après la signature des accords d’Evian et la proclamation du cessez-le-feu, le 19 mars 1962.

 

La Kabylie, nommée Wilaya III pendant cette guerre, a abrité, le 20 août 1956, le Congrès de la Soummam, qui fut l’acte fondateur de l’État algérien moderne.

 

La Kabylie après l’indépendance de l’Algérie

 

La rébellion du FFS

 

Depuis l’indépendance de l’Algérie, proclamée le 5 juillet 1962, la Kabylie faisait l’objet de plusieurs mouvements de contestation ; des mouvements qui étaient parfois armés, comme lors de la contestation du FFS (Front des Forces socialistes, parti politique à ancrage majoritaire kabyle), au lendemain de l’indépendance.

 

En effet, le FFS, conduit par son chef historique Hocine Ait-Ahmed, l’un des principaux leaders de la révolution algérienne, protestait contre la gouvernance unique du FLN (Front de Libération national), le parti au pouvoir. Cette rébellion armée a replongé la Kabylie dans la tourmente de la violence. Selon les historiens, plus de 400 morts ont été déplorés.

 

Le Printemps berbère

 

Survenus en avril 1980, de tragiques événements ont éclaté en Kabylie, des étudiants et intellectuels kabyles revendiquant publiquement la reconnaissance et la prise en charge de la langue et de la culture amazighes par l’État algérien.

 

Le régime en place répondit violemment à ces revendications pacifiques, réprimant fermement les manifestants et procédant à de nombreuses arrestations. À cette occasion, l’université de Tizi-Ouzou fut prise d’assaut par les forces de l’ordre. Le bilan fut lourd, on dénombra une centaine de morts et des milliers de blessés.

 

Le Printemps noir

 

Entre avril 2001 et avril 2002, de violentes émeutes éclatèrent à nouveau en Kabylie. Le 18 avril 2001, un jeune manifestant du nom de Guermah Massinissa fut assassiné par les forces de l’ordre. Massinissa, un lycéen, natif du village d’Ath-Duala, participait à une marche pacifique en commémoration du Printemps berbère. Il fut arrêté et livré, dans un premier temps, à une brigade de gendarmerie. Le jeune lycéen fut alors lâchement assassiné d’une rafale d’arme automatique par des gendarmes. Les commanditaires de cet assassinat restent impunis à ce jour.

 

Après l’assassinat de Guermah Massinissa, plusieurs mouvements de dénonciation ont vu le jour, d’autres manifestations pacifiques étant régulièrement réprimées par les forces de l’ordre, notamment par le corps de la gendarmerie, qui n’a pas hésité à tirer à balles réelles contre les contestataires. Le bilan du Printemps noir est estimé à au moins 126 morts et plus de 6 000 blessés, dont 300 handicapés permanents.

 

Politiquement, la Kabylie compte deux partis principaux : le RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie) et le FFS (Front des Forces Socialistes). Bien que le FFS et le RCD ne se définissent pas en tant que partis politiques kabyles mais nationaux, ces deux formations politiques reflètent un ancrage majoritairement kabyle.

 

À la suite des événements du Printemps noir, la Kabylie a enregistré la naissance du MAK (Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie), fondé par Ferhat Mehenni. Le MAK revendique la reconnaissance de la Kabylie comme nation, et des Kabyles au titre de peuple.

 

La revendication du MAK est celle d’un statut jouissant d’une large autonomie régionale pour la Kabylie ; il a toutefois été dépassé par la création d’un Gouvernement Provisoire Kabyle (GPK), survenue en juin 2010 à Paris.

 

Le GPK réclame le droit des Kabyles, peuple et nation, à l’autodétermination. En mai 2012, une délégation du Gouvernement provisoire kabyle a visité Israël. Elle a été reçue à la Knesset par son vice-président, M. Danny Danone. À l’issue de cette visite, le président du GPK, Ferhat Mehenni, déclarait qu’une relation de solidarité entre les deux peuples, juif et kabyle, venait d’être créée.

 

S’agissant du volet économique, la Kabylie repose sur l’arboriculture de montagne, fondée principalement sur l’exploitation de l’olivier et du figuier.

 

La diaspora kabyle demeure une source de complément indispensable pour de très nombreuses familles restées au pays.

 

Le développement régional de la Kabylie peine par ailleurs à décoller, le chômage atteignant une grande majorité de la jeunesse.

 

L’insécurité reste aussi un facteur d’éloignement pour les hommes d’affaires ; en Kabylie, en effet, en 2012, plusieurs d’entre eux ont été kidnappés par des groupes armés non identifiés. Une rançon est chaque fois exigée en échange de leur libération.

 

En octobre dernier, Ghilès Hadjou, un jeune homme de 19 ans, fils d’un entrepreneur local, a été exécuté par ses ravisseurs ; il a été retrouvé mort, les jambes attachées par une corde. Durant les deux dernières années, 71 cas de kidnapping ont été enregistrés dans notre région.

 

Notes :

 

1. Berbère, ou Imazighen (Amazigh) en tifinagh, l’alphabet utilisé par les Berbères et les Touaregs. À une certaine époque, les Berbères occupaient un vaste territoire s’étendant de la Vallée du Nil à l’océan Atlantique. Ils regroupèrent des peuples et des royaumes comme les Nubiens, les Maures et les Libyens.

 

Probablement d’origine sémite lointaine, ils subirent la conquête romaine, la christianisation, puis, finalement l’occupation par les musulmans qui les contraignirent à se convertir à l’islam.

 

Les Berbères constituent aujourd’hui un panachage issu de tribus juives, à l’instar des Chaouis, mais également des Phéniciens, des Vandales, des Byzantins, des Arabes, des Romains, et même de peuplades européennes et turques.

 

2. L’Étoile nord-africaine est une association fondée en France en 1926 par des travailleurs émigrés d’Afrique du Nord, rapidement devenue un parti politique proche du Parti Communiste Français. Sa principale revendication est l’autodétermination des peuples du Maghreb. Elle est dissoute par deux fois par le gouvernement français, en 1929 puis en 1937.