Tribune
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Publié le 20 Juin 2012

DSK lynché : veut-on réhabiliter le sacrifice humain ?

Par Florence Taubmann

 

C'est une des personnalités publiques qui a reçu le plus de couverture médiatique depuis un an et alimenté bien des conversations. Pour Florence Taubmann, pasteur de l’Église réformée de France et conjointe de Michel Taubmann, biographe de Dominique Strauss-Kahn, DSK est aujourd'hui un bouc émissaire, au sens donné par René Girard.

Une jouissance accusatoire contre DSK

 

Aurait-on, dans certaines sphères bien-pensantes, le regret de la peine de mort en place publique où la violence collective pouvait se déverser sur le condamné ? Deux livres en une semaine, une pièce de théâtre, un polar, un documentaire psychologique, des BD, sans compter les plaisanteries quotidiennes des humoristes radiophoniques...

 

Dominique Strauss-Kahn continue d’inspirer les faiseurs d’opinion et moralistes de tout poil qui, bénéficiant des moyens médiatiques modernes, ont supplanté les prêtres et pasteurs dans la dénonciation du "péché". Il y a en effet comme un phénomène religieux à l’œuvre dans l’entreprise de dénonciation et d’humiliation de DSK, un homme à terre, qui a perdu son statut professionnel, politique, social… et dont on aimerait manifestement que la chute se poursuive par le délitement de son couple, de sa famille, de son réseau amical.

 

Pourquoi cette haine ? Par haine du crime ? Il n'a pas été condamné par la justice. Des procédures sont en cours, laissons-les se poursuivre.


Par indignation morale et vertueuse ? Au nom d’une morale chrétienne qui a déserté la société et dont on ne garderait que les aspects les plus sombres, ceux de l’Inquisition ? Quelle misérable tartufferie ! Dénonçant les faiblesses d’un homme pour cacher les siennes propres, et jouant volontairement d’une confusion irresponsable entre droit et morale, on se vautre dans la jouissance accusatoire.

 

De quasi-messie à bouc émissaire

 

Sans le vouloir sans doute, on donne à Dominique Strauss-Kahn le rôle d’un bouc émissaire, tel qu’analysé par l’anthropologue René Girard

 

L’exécution du bouc émissaire, en canalisant la violence collective, aurait pour résultat de restaurer l’unité et la paix sociales. Mais pour cela, a montré Girard, il faut que la victime désignée soit consentante, qu’elle entre dans ce processus religieux de sa propre mise à mort destinée à sauver le groupe. Alors de paria elle peut devenir ou redevenir une sorte d’idole. 

 

Du temps de sa gloire Dominique Strauss-Kahn a pu apparaître comme le messie qui allait sauver notre pays... il est aujourd’hui désigné à la vindicte populaire par des journalistes, animateurs ou humoristes qui se comportent comme les prêtres tout-puissants de la plus archaïque religion du monde : celle qui pratiquait le sacrifice humain. Jusqu’où iront-ils ? Ne se rendent-ils pas compte que beaucoup de nos compatriotes, bien moins suivistes qu’ils ne le supposent, commencent à éprouver une véritable honte devant un tel acharnement ?

 

"Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre", disait Jésus dans l’Evangile de Jean à propos de la femme adultère. Ajoutons qu’un des plus profonds messages du judéo-christianisme vise la justice et la miséricorde. "L’Eternel ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se repente et qu’il vive". Ne privons pas notre société post-moderne de cette espérance à la fois personnelle et collective, qui refuse de condamner l’avenir au nom du passé, et d’enterrer un homme au nom de ses péchés supposés.

 

Laissons Dominique Strauss-Kahn à sa conscience, à sa famille et à sa vie. Si la religion de la haine et de la dénonciation l’emporte, notre société démocratique y perdra son âme et aucun d’entre nous n’y survivra.

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